Par Sanford Ikeda (*), de New York, États-Unis
Article publié en collaboration avec Un Monde Libre
La science économique nous enseigne les vertus du marché impersonnel. En effet, si nous avions à connaître tous ceux qui ont contribué à faire notre pain quotidien avant que nous puissions le manger, nous serions tous affamés. Cependant, en même temps, lorsque nous dirigeons notre attention depuis le fonctionnement merveilleux du système économique dans son ensemble vers l’action humaine au niveau « micro », une autre vertu du marché libre apparait dans la façon dont il nous permet de créer et de détruire des liens sociaux. Sans cette capacité, un vaste échange volontaire ne serait pas possible non plus.
Impersonnel au niveau macro
Il n’y a pas de meilleure explication de la façon dont la coopération large et impersonnelle fonctionne que l’essai classique de Leonard Read Moi, le crayon, dans lequel il démontre que personne ne peut connaître tout ce qui est intégré dans le processus de fabrication d’une chose en apparence aussi simple qu’un crayon : un crayon est la partie émergée d’un iceberg d’un processus de production immense, dont une seule des racines remonte, par exemple, aux mines de fer qui fournissent un seul input pour seulement l’un des outils qui entre dans la fabrication de la scie qui coupe le bois dont une partie est utilisée pour faire la gaine d’un crayon. La vraie merveille dans tout cela : pas une seule personne n’a besoin de savoir. Des dizaines de milliers de personnes qui ne se rencontreront jamais, travaillent néanmoins ensemble pour faire un crayon unique.
Les prix qui émergent de l’achat et de la vente de fer, de bois, de force de travail, des outils, du savoir-faire, etc, ainsi que le prix du marché du crayon lui-même, sont essentiels pour guider les décisions à chacune des nombreuses étapes de la production. Encore une fois, personne ne peut connaître, et personne n’a besoin de connaître, toutes ces étapes.
Pourtant, chaque travailleur, investisseur, constructeur, financier, etc. se doit de connaître, et avec compétence, les gens avec qui il a à traiter dans les étapes en amont et en aval de sa propre position dans le processus.
Personnel au niveau micro
La plupart d’entre nous n’embaucherait pas un plombier sans la recommandation d’une personne de confiance, et encore moins ferait un investissement majeur dans une entreprise sans avoir consulté un certain nombre d’amis, de collègues et de conseillers professionnels d’un type ou d’un autre. Dans nos affaires quotidiennes l’aspect personnel joue un rôle indispensable.
Mon père a vendu les produits de sa ferme sur le même marché à Phoenix pendant de nombreuses années. Je me souviens que pendant que chaque livraison était déchargée et pesée, il s’asseyait et mâchait de la gomme avec les propriétaires et les gestionnaires de ce marché de produits, alors que moi, j’attendais avec impatience de repartir à la maison. A l’époque je ne réalisais pas à quel point ces quelques minutes de socialisation étaient une part importante des affaires, pour maintenir un climat de confiance et être au courant des dernières nouvelles et des diverses opinions – des informations qui signifiaient beaucoup plus provenant de ces gens-là que si elles provenaient d’une source anonyme.
Au niveau macro, qui englobe tout le processus de production d’un crayon (ou d’oignons verts), les marchés sont très impersonnels. Mais à chacune des étapes multiples de ce processus très complexe, entre par exemple les acheteurs et les vendeurs de cèdre ou de colza ou de carbone brut, il y a une relation qui est nécessairement personnelle, à un degré ou un autre.
Bien sûr, les relations personnelles volontaires ne peuvent résoudre seules l’énorme problème des connaissances que F. A. Hayek et d’autres ont identifié. En même temps, cependant, ce que les individus doivent connaître au niveau local, malgré l’aide des prix établis sur les marchés libres, est considérable. Alors que tout cela peut paraître évident à la plupart d’entre nous, il est particulièrement important pour ceux d’entre nous qui sont engagés à comprendre et à expliquer le processus du marché, de ne pas perdre cela de vue (ce que nous sommes parfois enclins à faire lorsque nous nous émerveillons devant l’impersonnalité du marché).
Ensuite, la concurrence, en freinant la propension de certains acheteurs et vendeurs à agir malhonnêtement, peut soulager beaucoup de nos soucis quotidiens concernant la fiabilité de ceux avec qui nous faisons des affaires. Et ce qu’Elinor Ostrom appellerait peut-être « les bases non marchandes de la procédure de marché », telles que les normes de réciprocité, les conventions de fair-play, etc., ont en quelque sorte le même effet. Mais comme les sociologues Nicolas Christakis et James Fowler l’ont récemment écrit, les normes et les conventions sont transmises et renforcées par les réseaux sociaux. Il en est de même pour les prix.
Les réseaux sociaux et la liberté économique
Des liens informels comme ceux décrits plus haut peuvent bien sûr exister au sein de sociétés moins libres et plus enrégimentées. Mais la liberté de s’associer avec des étrangers, qui est une partie importante de la liberté économique, donne lieu à tant d’autres connexions de ce genre. La vraie liberté ne signifie pas seulement d’être capable de tisser des liens avec de nouvelles personnes et nouveaux réseaux sociaux, cependant, mais aussi la liberté de briser les liens avec des partenaires commerciaux et anciens clients, ainsi que de quitter des réseaux sociaux, y compris ceux d’amis, de famille et de communautés
La capacité de former et de dissoudre des liens avec des réseaux sociaux donne un meilleur accès à une gamme de divers goûts et connaissances – dont beaucoup ne seraient peut-être pas très utiles, mais dont certains le sont sans aucun doute, tout en élargissant la gamme de cette diversité, en stimulant de nouvelles idées dans les entreprises, la science et la culture. La liberté encourage le progrès économique et la diversité sociale en donnant à chacun la liberté de mouvement, pas seulement d’un endroit à un autre, mais aussi d’un réseau social à un autre.
Cette liberté de mouvement, dans l’espace physique et social, est l’essence même de la société libre.
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(*) Sanford Ikeda est professeur associé d’économie au Purchase College à l’Université d’État de New York. Cet article a été initialement publié en anglais sur www.thefreemanonline.org.
Traduction www.UnMondeLibre.org.
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