Par Jacques Garello.

L’essentiel, c’est que les magistrats français n’inspirent qu’une confiance limitée, l’essentiel c’est aussi que la Constitution de la Vème république ignore les droits individuels.
Or, ce n’est pas de l’essentiel que l’on débat aujourd’hui, mais de l’efficacité de la police et des limites imposées à ses initiatives. Ce sont les considérations sécuritaires et politiques qui priment, alors que le plus important est de savoir si, oui ou non, la France vit en état de droit.
Considérations sécuritaires : pouvoir faire des perquisitions sans mandat, de nuit comme de jour, fouiller les voitures, organiser des écoutes, prolonger la garde à vue seraient, dit-on, des moyens de lutter contre le terrorisme. Il est vrai que le tableau de chasse des forces de l’ordre depuis vendredi 13 novembre accrédite la thèse suivant laquelle la police est quotidiennement bridée dans sa mission. Trois Français sur quatre estiment que l’état d’urgence est nécessaire quand la nation est en guerre.
Considérations politiques : bras de fer à l’intérieur de chaque camp. À gauche, Hollande et Valls voulant faire plier les frondeurs et les verts, plutôt en faveur de l’arrêt de l’état d’urgence, mais aussi les communistes et la gauche de la gauche, devenus défenseurs zélés des droits de l’homme. À droite, les positions ne sont pas sans rapport avec les primaires, Sarkozy veut la prolongation, donc ses adversaires multiplient les objections.
Mais quant au fond, la question est bien plus sérieuse : les conditions requises pour qu’une nation soit réputée en état de droit sont-elles réunies en France ? L’état de droit est une situation dans laquelle les droits individuels sont respectés parce que la vie, la liberté et la propriété sont garantis à tout citoyen. Ce n’est pas, comme on le croit, la légalité de l’État qui est décisive, car ce « Rechtsstaat » (État de droit, avec un E majuscule) a permis à des États constitutionnellement établis de violer sans problème les droits individuels. Ce qui est en cause, ce sont donc bien les droits individuels (appelés à tort droits de l’homme). Les dispositions de la Magna Carta (1215) garantissaient entre autres l’inviolabilité du domicile et l’intervention d’un juge à l’occasion de toute arrestation (habeas corpus).
L’intervention d’un juge : nous y voici. Au fond, les magistrats français – toutes catégories confondues – ont perdu beaucoup de leur crédibilité auprès d’une grande partie du peuple. Les délinquants ou criminels arrêtés par la police ne seront pas inquiétés très longtemps : il se trouvera un juge qui leur rendra leur liberté, ou un juge d’application des peines qui les relâchera, même s’ils sont récidivistes. De telles histoires sont rapportées (parfois avec exagération) par la presse quotidienne. Parallèlement les policiers sont bien vite accusés de « bavures », qui vont défrayer la chronique pendant longtemps. Aujourd’hui l’état d’urgence apparaît dans l’opinion publique comme la revanche du policier sur le juge !
Mais d’où vient ce juge ? De l’école Nationale de la Magistrature, où on apprend depuis soixante-dix ans qu’un coupable mérite indulgence, parce que c’est la société qui est responsable, à cause des injustices créées par la lutte des classes. La magistrature ne redorera son blason que du jour où les magistrats cesseront d’être politisés et syndiqués. L’idée même de syndicalisation de la magistrature est ubuesque : contre quel patron les salariés du ministère de la Justice sont-ils en lutte ?
En fait le sort des magistrats a été scellé dans la Constitution de la Vème République, qui n’a cure des droits individuels, même pas évoqués dans le texte (et simplement cotés dans le préambule qui vise la déclaration de 1789). On dit, à tort, que la séparation des pouvoirs est plus importante que la référence aux droits individuels. Mais il n’y a pas non plus de séparation véritable entre l’exécutif et le judiciaire, puisque les juges sont fonctionnaires et que le Conseil National de la Magistrature est l’arbitre final des décisions qui concernent l’organisation de la justice et le sort réservé aux juges.
Pour nous résumer, dans un État de droit, il ne s’agit pas de donner les pleins pouvoirs à la police, mais de soumettre l’action de la police et du pouvoir exécutif à l’intervention d’un magistrat. Et le jour où la magistrature sera respectée parce qu’elle se fera gardienne des droits individuels au lieu de se politiser et de se syndiquer, l’État de droit sera enfin rétabli. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Pour l’instant, la France est de loin le pays le plus souvent condamné par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Retrouvez sur Contrepoints tous les articles de Jacques Garello
—
“La constitution de la république ignore les droits individuels”
Voilà une évidence, j’y ajouterais : elle ignore le droit de vivre de la petite et moyenne entreprise.
En privilégiant un pouvoir politique centralisateur, elle néglige et diminue le pouvoir économique des structures politiques et économiques de nos régions françaises.
Un pouvoir politique centralisateur qui voudrait se calquer sur une Europe économique téléguidée par l’Allemagne; une orientation qui génère en France la misère des paysans de nos campagnes et la perte de nos capacités productives dans bien des secteurs industriels.
concernant la justice et les magistrats, vous ne proposez guère de solution…
Concernant le “justice” et la magistrature qui est sensée en assurer le service, je pense qu’il faut introduire dans la constitution une obligation de réserve stricte s’appliquant à cette corporation débridée qui s’est arrogée le droit à l’arrogance.
Il faudrait également que les manquements professionnels de ces mêmes magistrats fassent systématiquement l’objet de sanctions avec retenues sur salaires.