L’hypertrophie de l’État en Belgique et en France

Une nouvelle étude de l’Institut économique Molinari montre que les salariés belges et français subissent la plus forte pression fiscale et sociale d’Europe.

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L’hypertrophie de l’État en Belgique et en France

Publié le 28 juillet 2014
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Par Patrick Aulnas

imgscan contrepoints 2013-2096 impôts et taxesLa Belgique et la France détiennent le record d’Europe de la pression fiscale et sociale. L’État, les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale absorbent dans ces pays largement plus de la moitié de la richesse produite chaque année. Pire, la part qu’ils prélèvent sur la richesse nationale continue à augmenter. On ne peut manquer de mettre en relation l’importance de ce prélèvement et le recul de la compétitivité industrielle. On peut aussi se demander si à partir d’un certain niveau de prélèvement public on ne quitte pas la démocratie pour s’orienter vers un régime plus collectiviste, voire totalitaire, où l’individu n’a plus de pouvoir de décision.

 

La pression fiscale et sociale en Belgique et en France

Dans son étude pour 2014 du fardeau fiscal et social de l’employé moyen1, l’Institut Économique Molinari calcule le « salaire complet » qui serait versé à un salarié moyen en l’absence de tout prélèvement obligatoire. En retirant de ce salaire l’ensemble des prélèvements obligatoires, on obtient le « pouvoir d’achat réel » net de charges sociales et fiscales. Le salaire complet est un concept particulièrement intéressant et rarement utilisé par les statisticiens. Il comprend presque la totalité des charges que doit supporter un employeur pour l’emploi d’un salarié. Ces charges comprennent le salaire brut et les cotisations sociales à la charge de l’employeur2. Les chiffres sont les suivants pour la Belgique et la France :

Salaire complet annuel et pouvoir d’achat réel de l’employé moyen (€)

salaire complet

Parmi les 28 pays de l’Union Européenne, la Belgique est celui qui a le salaire complet moyen le plus élevé : 61 122 euros par an. Cela est probablement dû à l’indexation des salaires sur les prix, qui subsiste encore dans ce pays pour des raisons purement politiques. Le parti socialiste, presque toujours membre de la coalition au pouvoir, s’oppose radicalement à la suppression de cette indexation. Cela ne signifie pas pour autant que les Belges bénéficient du pouvoir d’achat le plus élevé d’Europe, il s’en faut de beaucoup. En effet, la Belgique est également championne d’Europe de la pression fiscale et sociale avec un prélèvement moyen de 36 432 euros. Il reste donc au salarié moyen 24 690 euros. La pression fiscale et sociale représente ainsi 59,6 % du salaire complet et il ne reste au salarié en termes de pouvoir d’achat que 40,4 % de son salaire complet. La Belgique se situe ainsi au huitième rang pour le niveau du pouvoir d’achat net (le Luxembourg est au premier rang). Le jour de « libération fiscale et sociale » du salarié belge se situe le 6 août, record d’Europe. Cela signifie que du 1er janvier au 6 août, le salarié belge travaille pour financer le fonctionnement de l’État-providence. Le reste de l’année, soit du 6 août au 31 décembre, il travaille à proprement parler pour assurer son pouvoir d’achat.

Avec 55 314 euros par an, la France arrive en quatrième position en Europe pour le salaire complet (derrière la Belgique, le Luxembourg et la Suède). Mais sa pression fiscale et sociale est la deuxième de l’UE, avec 31 622 euros prélevés, ce qui l’amène à la dixième place pour le pouvoir d’achat. La pression fiscale et sociale représente en France 57,17 % du salaire complet et il ne reste au salarié en termes de pouvoir d’achat que 42,83 % de son salaire complet. Le jour de « libération fiscale et sociale » du salarié français se situe le 28 juillet, avant-dernier rang, juste avant la Belgique.

 

Les prélèvements poursuivent leur inexorable croissance

Comme le montre le graphique suivant, proposé par l’Institut Molinari, la pression fiscale et sociale continue à augmenter en Europe.

Taux de pression fiscale & sociale

Quinze des 28 pays étudiés ont augmenté leurs prélèvements obligatoires entre 2013 et 2014. C’est évidemment le cas de la Belgique et de la France. Cette tendance se poursuivra très probablement dans les années à venir. Il faudra en effet résorber des déficits publics considérables. La diminution des dépenses publiques se réalisant de façon homéopathique et la croissance économique étant faible, seule l’augmentation des prélèvements obligatoires permettra la réduction des déficits.

 

Y a-t-il une limite à cette croissance des prélèvements obligatoires ?

Nous quittons ici le constat objectif pour aborder les opinions concernant le futur. Le sujet relève de la philosophie politique et nous nous limiterons à quelques observations de base.

1. Deux tendances idéologiques principales

Apparemment, mais seulement apparemment (voir point 2 ci-après), deux tendances fondamentales s’affrontent, le socialisme et le libéralisme. Il s’agit aussi de deux conceptions de la démocratie : celle qui privilégie la décision collective et celle qui privilégie la décision individuelle. Pour les socialistes ou sociaux-démocrates, la démocratie existe à partir du moment où des assemblées électives représentant tous les citoyens prennent les décisions. Il n’y a pas vraiment de limite au champ de telles décisions collectives et, depuis le XIXe siècle, leur domaine n’a cessé de grandir par un interventionnisme public croissant. Pour les libéraux, au contraire, il existe une limite à la collectivisation des décisions et l’on quitte la démocratie lorsqu’on franchit cette limite. Autrement dit, pour un libéral, l’individu doit conserver la possibilité de réaliser des choix purement individuels, alors que pour un socialiste, il suffit qu’il ait la possibilité de porter au pouvoir par des élections libres ceux qui décideront pour lui.

2. Les politiques tirent leur pouvoir de l’argent public

Qui sont précisément ceux qui décident dans le domaine politique ? Ce sont des élus provenant presque exclusivement de partis politiques et ayant un intérêt personnel à l’augmentation des ressources publiques. Celles-ci sont à la base de leur pouvoir puisqu’ils décident de leur affectation : construire une autoroute, embaucher des fonctionnaires, accorder une subvention, etc. L’observation de l’histoire des finances publiques depuis une trentaine d’années montre d’ailleurs qu’il y a beaucoup moins de différences entre la gauche et la droite dans la pratique du pouvoir que dans les discours électoraux3. La raison en est simple : qu’ils soient de gauche ou de droite, les élus tirent leur pouvoir de l’argent public et accroissent leur pouvoir en augmentant les prélèvements obligatoires.

3. Le pouvoir politique cherche toujours à accroître son influence

La réponse à la question de la limite de l’interventionnisme public est donc philosophique. Les hommes d’action auront toujours tendance à accroître leur pouvoir. Bertrand de Jouvenel a brillamment montré dans Du pouvoir. Histoire naturelle de sa croissance que le pouvoir politique est toujours, inéluctablement, à la recherche de sa propre croissance. L’histoire des derniers siècles est à cet égard éloquente : même lorsque la démocratie est instaurée (élections libres et décisions prises par des élus), la croissance du pouvoir politique se poursuit. Au début du XXe siècle, les prélèvements obligatoires représentaient moins de 10 % du PIB. Nous en sommes aujourd’hui à plus de 45 %. Si le pouvoir était plus autoritaire et souvent arbitraire sous la monarchie absolue, il était bien moins influent car il disposait de moyens très faibles.

4. Vers le totalitarisme ?

L’État au sens large recycle presque 60 % des richesses produites dans certains pays européens (en France les dépenses publiques représentent 57 % du PIB en 2013). Chacun admettra qu’une société (théorique) où ce chiffre atteindrait 100 % serait une société totalitaire : aucune décision ayant un impact financier ne pourrait plus être prise sans l’aval d’un organe politique. Même si cet organe politique était issu d’une élection, tout le pouvoir économique et financier étant entre les mains du secteur public, les élections ne pourraient pas être libres puisqu’elles seraient entièrement contrôlées financièrement par le pouvoir politique en place. C’est à peu près la situation des États communistes : ex-URSS, Chine, Corée du Nord. Nous pouvons donc évoluer progressivement vers le totalitarisme en accroissant démesurément la sphère publique et, corrélativement, en privant l’individu de toute capacité de décision. Nous aurons alors atteint notre destination sur La route de la servitude4.

5. Croissance des prélèvements obligatoires et inflation normative

La croissance des prélèvements publics s’accompagne toujours d’une augmentation du nombre de fonctionnaires et de la création de services publics nouveaux, au sens large du terme (y compris caisse de retraite obligatoires, organismes de sécurité sociale, etc.). Cette sphère publique génère également toujours une inflation législative et règlementaire qui enserre l’individu dans un carcan procédural : toute activité suppose alors une démarche formelle plus ou moins complexe qui décourage l’initiative et tue la créativité.

Les possibilités de créer quoi que ce soit sans une autorisation administrative disparaissent peu à peu.

La mesure de cette inflation normative est aisée : ainsi, en France, le Recueil des lois de l’Assemblée nationale est passé de 433 pages en 1973 à 3721 pages en 20045. Les exemples cocasses d’immixtion de l’État dans tous les domaines de la vie des individus abondent. En France, il n’est plus possible de faire garder un enfant contre rémunération sans faire appel à une assistante maternelle agréée par l’autorité publique. À Bruxelles, pour abattre un arbre dans une propriété privée il faut demander un permis d’urbanisme ; un fonctionnaire vient sur place pour apprécier si l’arbre peut ou non être abattu. L’inefficacité et le coût exorbitant de telles procédures conduisent à une société rigidifiée, sclérosée. Les individus tétanisés et découragés sont à la merci d’administrations surabondantes et omnipotentes.

 

Conclusion

Le XXIe siècle ne sera pas à l’image du XXe dans le domaine de l’interventionnisme public. C’est une simple question d’arithmétique. Nous sommes passés en un siècle d’un niveau de dépenses publiques inférieur à 10 % du PIB à un niveau avoisinant les 60 % du PIB dans certains États. L’exploit ne pourrait être réédité qu’en aboutissant à une société totalitaire. Il est donc de plus en plus question de réduire les dépenses publiques, mais entre la parole et les actes apparaît une difficulté majeure : réduire les dépenses, c’est réduire le pouvoir économique et financier de la gouvernance politique pour le transférer aux individus et à des entités non politiques. Il faudra une forte pression sur les dirigeants des démocraties pour qu’ils acceptent une telle dépossession.

  1. Étude de Cécile Philippe, Nicolas Marques et James Rogers : Fardeau social et fiscal de l’employé moyen au sein de l’UE 2014, 5e édition, disponible sur le site de l’Institut Économique Molinari.
  2. Cette méthode est totalement en harmonie avec la pratique de la comptabilisation des salaires dans une entreprise. Le salaire brut (avant retenues obligatoires) est comptabilisé dans un compte de charges (N° 641 en France) et les cotisations à la charge de l’entreprise, qualifiées couramment de « patronales », sont comptabilisées simultanément dans un autre compte de charges (N° 645 en France). C’est donc bien le total salaire brut + cotisations patronales qui constitue la charge salariale de l’employeur. S’y ajoutent les impôts assis sur la masse salariale (par exemple la taxe professionnelle en France). Mais leur comptabilisation est totalement distincte de celle des salaires et ils représentent une charge beaucoup plus faible que les cotisations patronales. En faire abstraction ne change pas grand-chose aux résultats statistiques.
  3. Voir notre article : Politique et finances publiques : double jeu.
  4. Titre d’un essai du philosophe et économiste Friedrich Hayek paru en 1944 : The Road to Serfdom.
  5. Conseil d’État, Rapport public 2006.
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  • en admétant qu’il y est à peu prés 26 millions d’actifs en france , hé bien ma foi , il faut bien que cette population de travailleurs soient ponctionnés pour que les autres puissent vivre ; ( retraités , chomeurs indemnisé , rsa , cmu , ame ….sans parler de ces métiers subventionnés par l’état ( médias par exemple ) , les élus dont les salaires et nombreux avantages sont payés via l’argent des contribuables , cet argent qui est d’ailleurs dilapidés bêtement le plus souvent….bref , je crains fort que lés prélèvements obligatoires ne fassent un bond , surtout dans un pays en faillite ;

    • En France, nous avons la chance d’avoir en plus instauré la retraite par repartition, formidable instrument d’asservissement socialiste de la population puisqu’il est un cauchemard à demanteler.

  • Excellent article qui montre bien le fond des choses.
    Effectivement , l’Europe et, dans une moindre mesure, les USA, qui partent de plus loin, ont cette facheuse tendance à aller vers une société totalitaire. Mais pour notre bien, soyez-en certain!
    Il a fallu aux USA un Reagan et en Angleterre une Thatcher qui a pu accéder au povoir grâce à la déliquescence du « management socialiste » anglais (le FMI était à Londres juste avant) pour que, pendant deux mandats chacun, l’état recule sous leur impulsion.
    Ce sont les deux seuls exemples depuis la dernière guerre mondiale.
    Il me semble que, seul, un crash généralisé pourrait conduire à la révolution copernicienne qui permettrait
    de repartir à zéro, c’est à dire avec un état rabougri, une prise de risque récompensée et un entrepreneuriat choyé.

    • Délire. Un « crash généralisé » est d’abord un crash, une catastrophe, et jamais le libéralisme n’est sorti d’une catastrophe économique. Reagan et Thatcher sont des produits d’une réaction nationaliste face à un abaissement international vécu comme insupportable, pas les produits d’un crash économique.
      l’Argentine ou la Russie, au choix, montre ce qui se produit en cas de crash économique : toujours plus de socialisme …

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