France Inter : radiographie d’un média d’État

La réaction d’Adèle Van Reeth, qui a refusé de reconnaître que France Inter est un média de gauche, est le symbole des problèmes posés par les médias publics.

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Source : wikimedia

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France Inter : radiographie d’un média d’État

Publié le 29 décembre 2023
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Le 12 décembre dernier s’est tenue une nouvelle édition de l’Assemblée des Idées, un cycle de débats bimestriel organisé à la Galerie des Fêtes de l’Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui préside également cette série de colloques.

Après le logement, le rôle de la France à l’international, l’intelligence artificielle ou encore la morale, la chambre basse a accueilli plusieurs dirigeants de médias pour débattre du pluralisme et de l’indépendance de ceux-ci.

Animé par le journaliste de TF1 Paul Larrouturou, le débat a réuni Isabelle Roberts, présidente des Jours, pure player lancé en 2016, le président du directoire du groupe M6 Nicolas de Tavernos, le président du groupe Les Échos-Le Parisien Pierre Louette, et la directrice de France Inter Adèle Van Reeth.

Répondant à une question sur l’orientation à gauche de la station dont elle est directrice depuis septembre 2022, Adèle Van Reeth a été courtoisement mais fermement recadrée par ses contradicteurs issus du privé.

 

L’art de la langue de bois

En cause : l’exercice de langue de bois qu’a été la réponse de la dirigeante publique. Une séquence reprise dans la foulée sur X (ex-Twitter) où Adèle Van Reeth explique qu’à ses yeux, France Inter n’est pas une radio de gauche, mais que son histoire, ses auditeurs et certaines émissions ont cette tendance. De plus, France Inter ne serait pas une radio de gauche car elle ne serait pas une radio d’opinion mais une radio publique qui appartiendrait, non à l’État comme dans un régime autoritaire, mais aux citoyens.

https://twitter.com/DocuVerite/status/1737502165256589606

Face à ce cafouillage manifeste, d’autres intervenants ont tenu à apporter des clarifications.

Nicolas de Tavernost a ainsi rappelé que la principale concentration de médias était celle du service public. Son propos a été appuyé par Pierre Louette qui a rappelé que cette concentration n’a jamais été aussi faible qu’à une époque où créer un média n’a jamais été aussi aisé.

 

Radio France est une radio d’État

Cet échange pose notamment la question de la nature du paysage radiophonique public.

En effet, Adèle Van Reeth distingue très nettement les chaînes appartenant aux citoyens de celles appartenant à l’État. Cette distinction est évidement factice, car les citoyens évoqués sont avant tout des contribuables, et donc des financeurs de l’État.

On ne peut réellement saisir l’erreur, sans doute volontaire, qu’est cette distinction sans comprendre la nature même de France Inter, station de radio propriété de Radio France.

Radio France est, elle, une société anonyme à capitaux publics héritière de l’ORTF dont 100 % des actions sont détenues par l’État français.

Sa fiche sur le site de l’Annuaire des Entreprises, disponible publiquement comme celle de toute entreprise française, détaille ses dirigeants et bénéficiaires effectifs, personnes physiques possédant plus de 25 % du capital ou des droits de vote, ou exerçant un contrôle sur les organes de direction ou de gestion.

Parmi les 15 dirigeants recensés, on retrouve cinq administrateurs, deux commissaires aux comptes et huit administrateurs. L’éclectisme y est roi, puisque les profils vont du député au directeur général d’entreprise publique, en passant par l’ingénieur et la dirigeante associative.

S’agissant de l’unique bénéficiaire effective, nous retrouvons Sybile Veil. L’épouse d’un des petit-fils de Simone Veil et maître des requêtes au Conseil d’État est elle-même énarque, conseillère d’État et surtout PDG de Radio France depuis le 16 avril 2018, après avoir été nommée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui n’était pas encore devenu l’Arcom par sa fusion avec Hadopi au 1er janvier 2022.

Rappelons que le CSA comme Hadopi, et aujourd’hui l’Arcom, sont des autorités administratives indépendantes (AAI) agissant au nom de l’État. Comme le constatait un rapport sénatorial paru en 2017, les AAI n’ont généralement pas de personnalité morale propre distincte de l’État, et leurs membres sont désignés soit par le président de la République, les présidents des assemblées ou des ministres, soit par de hautes autorités juridictionnelles. Entendez par là, par exemple, le vice-président du Conseil d’État ou le premier président de la Cour de cassation, postes nommés directement par le président de la République.

 

Naïveté et manipulation

En d’autres termes, ce qui distingue chaînes publiques et chaînes d’État est le caractère prétendument démocratique des États des premiers.

Cette nuance est encore plus complexe lorsqu’on analyse le niveau de démocratie des institutions françaises, plus proches des démocratures d’Europe de l’Est que des démocraties parlementaires avoisinantes.

Distinguer arbitrairement et par pur soutien à un narratif social-démocrate médias d’États et médias publics relève donc au mieux d’une naïveté coupable à ce niveau de responsabilité, et au pire d’une manière de prendre ses auditeurs pour des imbéciles.

 

Un auditorat de gauche

Adèle Van Reeth a toutefois reconnu dans sa réponse que l’auditorat de France Inter était de gauche. Cet état de fait est corroboré par une étude conjointe entre le journal Marianne et l’Ifop, révélant en 2012 que l’auditorat de France Inter votait à 72 % à gauche, dont la ligne relève de la gauche caviar lorsqu’elle est pas tout simplement assimilable « à un tract de la CGT  » pour reprendre les mots de l’ancienne directrice de la station Laurence Bloch après avoir décidé de supprimer l’émission « Comme un bruit qui court », critiquée pour son militantisme y compris par Les Inrocks, eux-mêmes sur la ligne de la gauche bobo.

 

Un financement politique contestable

En réalité, Adèle Van Reeth a été gênée par la question posée, car elle sait que son intervention relève d’une question autrement plus fondamentale, dans une société se voulant démocratique, qu’est le consentement à l’impôt.

Admettre que France Inter est de gauche, c’est admettre que l’argent des contribuables sert à financer une information orientée politiquement, alors même que cette orientation n’est pas celle des contribuables en question.

Pour rappel, en 2022, seuls deux Français sur dix se positionnait à gauche ou à l’extrême gauche, contre le double à droite ou à l’extrême droite.

Reconnaître que France Inter est de gauche contribuerait à confirmer une réalité qui saute aux yeux de quiconque s’intéresse un minimum à ces sujets : il existe un décalage entre ce que souhaitent les contribuables et ce qui leur est proposé, décalage qui n’existerait pas sur un marché libre où le payeur d’impôt serait un consommateur à satisfaire comme un autre et non une poche dans laquelle se servir au nom d’une solidarité fantasmée.

 

Concentration et conspirationnisme

Cette intervention pose également la question de la concentration des médias.

Sur le sujet, le ministère de la Culture lui-même donne raison à Nicolas de Tavernost et Pierre Louette, puisqu’un rapport paru en juillet 2022 estime que France Télévisions est le premier acteur du marché.

Cette position, justifiée aussi bien en termes d’audience que de chiffre d’affaires, montre une tendance nette depuis 20 ans : la part de chiffre d’affaires de France Télévisions a explosé, alors même que son audience s’est effondrée.

Cependant, et comme le notait justement Pierre Louette, créer un média n’a jamais été aussi simple qu’aujourd’hui. Une liberté salutaire mais qui pose aussi la question de la qualité de cette information et de la montée des discours conspirationnistes que seuls la transparence publique et le respect du consentement démocratique permettront de combattre.

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  • Mais pour un gauchiste, les médias français du service public ne sont pas de gauche. Ils seraient même de centre droit. Tant qu’un média n’est pas à l’image de ceux de l’URSS, il n’est pas de gauche. Il en va de même pour tous les autres pans de notre société. Par exemple, pour un gauchiste, les LR sont à l’extrême droite et le RN à l’ultra droite.
    La démocratie du gauchiste s’arrête au socialiste. Tout le reste est extrême droite. Mélenchon, admirateur de Castro et Maduro, est seulement de gauche. L’extrême gauche n’existe pas. Pol Pot n’existe pas. Mao et Staline sont des gens de bien dont la responsabilité des 50 millions de morts russes et 50 millions de chinois incombe aux USA si toute fois il y a eu ces morts.

    13
    • C est exactement le même raisonnement a l extrême droite ou tous les autres sont considérés sans nuance comme des communistes

      -1
  • bah..de gauche.. pas si clair que cela…je veux sire la gauche est un machin trop flou.. je ne vais pas dire que je sui opposé à quelque chose car partagé par la droite la gauche ou les extremes..

    le problème général reste la liberté d’expression et le liberté d’entreprendre qui est en péril.

    que des « journalistes pensent qu’un média financé par l’état est capable d’etre neutre politiquement est une farce…

    ce genre de personne est un caricature du progressiste , elle est le camp du bien. elle ne doute pas..

    elle sera pour la censure, si elle est le censeur..elle rêve d’un despote éclairé..

    de droite ou de gauche n’est pas un sujet..

    -2
    • Financé par l’Etat… Ben oui, mais s’il était financé par ses auditeurs, il ferait faillite en trois coups de cuillère à pot.

      • Peut être, mais le fait que ce soit de gauche est un non sujet…
        le seul sujet politique est l’existence d’un média publique..

        on s’interroge toujours sur la mission.. qui doit être de fournir ne information neutre.. mais en réalité non influencée par les pouvoirs d’argent… privé… ce travers touche aussi le conflit d’interet dans les publications scientifiques, l’argent publique est « neutre politiquement..ce qui est un comble!!!!

        droite et gauche…je rappelle que la défense de la liberté d’expression est devenu un marqueur de l’extreme droite!!!! alors..

        gauche ne me dit rien..mais par exemple partisan..

        PAS DE MEDIA PUBLIC… sauf mission claire et définie.. largement consensuelle. typiquement un truc comme le JO est un média..acceptable.

        de gauche , non sujet..

  • Je dois financer, en tant que contribuable, chaînes et radios d’Etat.
    Je note cependant que ce pourrait être pire. Je pourrais avoir l’obligation de les regarder/écouter !
    Dans sa grande mansuétude, l’Etat me laisse encore la liberté d’aller voir ailleurs. Ce que je ne me refuse pas.
    Finalement, le plus détestable chez ces gens-là n’est pas qu’ils me piquent mon pognon, c’est qu’ils méprisent leurs concurrents privés et leurs auditeurs.
    Sans doute en dignes adeptes de Francis Blanche :
    – Tout en vous laissant le libre choix de vos opinions, je n’admettrai jamais qu’elles s’opposent aux miennes.

    10
  • Je trouve surtout qu’ elle est devenue une radio plus que médiocre, animée par des plus que médiocres, ce qu’ elle n’ a pas toujours été.
    En écoutant autour de moi, beaucoup de gens s’ en sont détournés en évoquant  » une radio devenue insupportable à écouter » et en concluant: « elle est sympathique quand le personnel est en grève »…

  • Dans une démocratie, aucun media ne devrait appartenir à ceux qui contrôlent l’État, aucun ne devrait être financé par l’impôt, car même la pseudo démocratie politique nécessite la liberté totale d’expression, qui seule permet le pluralisme et le débat contradictoire indispensables à un vote éclairé des électeurs. Idem pour l’éducation et pour tout autre moyen d’information. Prétendre que les médias contrôlés par les gens de l’État appartiennent aux citoyens est un mensonge car être propriétaire, c’est avoir le pouvoir décider de l’affection de ce qu’on possède. Or la majorité des citoyens, n’a évidemment pas ce pouvoir puisque les idées inlassablement répétées sur ces médias ne sont pas les siennes et y sont même radicalement opposées. On a ici l’illustration d’un pseudo concept cher aux socialistes de tous bords : forcer les gens à payer pour ce qui ne leur appartient pas.
    Contrairement à ce qu’affirme l’auteur, créer et faire prospérer un média libre, indépendant et autonome n’a jamais été aussi difficile sur le plan de l’insécurité juridique. Il n’est qu’à voir les embûches qui sont mises en travers de la liberté d’expression chez le nouveau X pour s’en convaincre. Enfin, si on comprend la conclusion, la transparence publique et le respect du consentement démocratique (qui, rappelons le, ne peut être atteint que via un financement volontaire des moyens d’informations) n’auraient d’autres but que d’éviter « la montée des discours conspirationnistes » (quesaco ?) et non tout simplement d’être l’une des conditions nécessaires au fonctionnement la pseudo démocratie politique.

    • Il n’y a en effet, en France, pas d’entreprise appartenant « aux français ». Cela serait possible, il suffirait de transformer ces médias en société par actions, et de distribuer ces actions équitablement à tous les français.
      Je sens, cependant, que ces actions ne vaudraient pas bien cher… Je ferais bien ça avec EDF, la SNCF d’ailleurs. La gauche ne pourrait pas dire que ces entreprises « n’appartiennent pas aux français » du coup…

      • C est ce qui a été fait en russie dans les années 90 avec les entreprises d état……résultats…..les oligarques sont nés et ont tout raflé en rachetant à vil prix toutes ces actions
        Ah yakafokons…..

      • Il me semble que France Inter est la radio la plus écoutée de France et de très loin (France Info est 3e).

        • Tout à fait.
          Au classement audimat de Novembre dernier, France Inter est 1er avec presque 34 millions « d’écoutes actives » (quid?) contre un peu plus de 23 millions pour RMC et 15 millions pour France Infos.

          Quand on voit les chiffres, il ne faut pas s’étonner des résultats électoraux en France. La propagande étatique antiliberale et gauchisante a encore de très beaux jours devant elle.
          La situation sociale et économique de la France n’est pas prête de changer…

          • Les audiences des radios et celles des TV sont mesurées séparément
            France inter 1 ère radio recueille seulement 12,5 % très loin d etre hégémonique….
            TF1 est la 1ère chaîne de TV avec 18 %
            Attention aux jugements attifs basés sur du sable…..

    • Créer un média indépendant sur la toile demande peu de moyens…..
      De nombreux exemples le prouvent tres régulièrement
      X ( ex Twitter lancé en 2006) n est pas un nouveau média mais a seulement été racheté par E Musk pour qq milliards d euros

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