Les trois leçons de la mésaventure woke de Disney

Le glissement vers le militantisme de Disney a pour effet de créer des personnages moins attachants. La baisse de qualité des productions a conduit à une baisse de performance et de légitimité pour la firme américaine.

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Les trois leçons de la mésaventure woke de Disney

Publié le 14 décembre 2023
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La dérive de Disney, commencée il y a plusieurs années, est illustrée par Samuel Fitoussi, dans Woke fiction, son ouvrage sur les fictions. Il compare l’évolution du caractère de Mulan entre la version de 1998 et celle de 2020.

Il écrit :

« Dans la version de 1998, le personnage éponyme, jeune femme courageuse, se déguise en homme et s’engage dans l’armée pour défendre son pays. Plus frêle et plus faible que toutes les autres recrues, elle est d’abord une piètre combattante […]. Déterminée, elle progresse, compense ses lacunes physiques par une intelligence tactique supérieure, et finit par gagner le respect de tous. Dans le remake 22 ans plus tard, Mulan est, dès le début du film, la meilleure guerrière de Chine. Elle ne doit plus gagner le respect des autres, ce respect lui est dû. Elle n’a plus besoin d’évoluer, ce sont tous les autres personnages qui doivent cesser de la sous-estimer. Avec cette nouvelle Mulan, les scénaristes pensent sans doute avoir créé un rôle modèle féminin ; en réalité, la Mulan de 1998 était sans doute beaucoup plus inspirante : elle enseignait le pouvoir du dépassement de soi et de la persévérance. La Mulan de 2020 ne doit ni surmonter ses propres failles (ce qui impliquerait le besoin de s’entraîner dur, de consentir à certains sacrifices) ni vaincre des antagonistes ou des rivaux redoutables (ce qui impliquerait le besoin de cogiter, de trouver des solutions audacieuses ou de coopérer avec d’autres personnages) mais batailler contre « la société » qui l’empêche de donner la pleine mesure de son potentiel. Dans ce type de films, la protagoniste n’est souvent pas très attachante. »

Si Disney crée des films dont les personnages ne sont pas attachants, alors l’entreprise est en danger, car c’est sa raison d’être même, et ce qui a fait son succès depuis un siècle.

Autrement dit, l’entreprise a sacrifié sa raison d’être au militantisme, et les résultats ne se sont pas fait attendre. Depuis 2021, le groupe a perdu la moitié de sa valeur boursière. Et ce ne sont pas que les résultats financiers. Son image de marque en a aussi pris un coup. Alors qu’elle a longtemps été une icône américaine, Disney ne se situe plus aujourd’hui qu’à la 77e place des 100 firmes les plus admirées aux États-Unis, selon un sondage Axios-Harris. Elle a perdu plus de dix places en seulement un an ! Elle a même été classée cinquième marque la plus polarisante de l’année. Le paradoxe est qu’en voulant être inclusive, Disney a profondément divisé son audience et l’a perdue.

 

Les leçons de la mésaventure woke de Disney

On peut tirer trois leçons de cette mésaventure.

La majorité des gens ne souhaitent pas que les entreprises se politisent

Ils ne souhaitent pas que visiter un parc Disney ou manger une glace Ben & Jerry soit un acte politique. Contrairement à une doxa insistante, ils n’attendent pas une prise de position des entreprises sur les grands sujets sociétaux.

Le militantisme des entreprises a sans doute peu d’impact

Il est même probablement contre-productif en polarisant un débat public qui n’en a vraiment pas besoin, et en sombrant parfois dans le ridicule (dans le prochain Blanche-Neige et les septs nains, il n’y a plus… de nains pour ne pas offenser cette minorité). Sans compter que l’entreprise n’a aucune légitimité démocratique pour prendre position sur des sujets de société. Elle n’est pas élue. De même, le fait qu’un PDG prenne position sur de tels sujets contrevient également au principe démocratique. Il n’a aucun mandat pour cela ; il abuse simplement de sa position économique pour imposer ses vues parce qu’il a, au contraire d’un citoyen normal, accès aux médias.

Le rôle de l’entreprise est la performance

C’est sans doute la plus importante. Le chercheur en management Peter Drucker observait que pour qu’une société pluraliste comme la nôtre puisse fonctionner, il faut que les institutions autonomes qui la composent, et notamment les entreprises, soient performantes.

Pour lui, la clé de la performance d’une entreprise est la concentration sur une tâche spécifique, celle de son objet social, sa mission première – produire des voitures, soigner des malades ou construire des logements. Il ajoute que si la performance économique n’est pas la seule responsabilité d’une entreprise, c’est néanmoins la première, et la condition sine qua non de son existence. Par sa performance, l’entreprise peut fournir durablement des produits et des services qui répondent aux besoins des gens. La performance est donc éthique : c’est le service que rend l’entreprise aux membres de la société au travers de l’atteinte des objectifs qu’elle s’est librement fixés. C’est sur cette atteinte que l’entreprise est jugée, et c’est elle qui justifie a posteriori l’autonomie qui lui est accordée. La performance est donc la responsabilité de l’entreprise, et la clé de sa légitimité.

En s’aventurant sur le terrain sociétal et politique, l’entreprise néglige cette mission première. Ses performances s’en ressentent : Disney ne cherche plus à distraire mais à éduquer. Ce n’est pas la même chose, les priorités ne sont plus les mêmes. Or, comme l’observe l’éditorialiste Adrian Wooldridge dans un article sur les crises institutionnelles, se disperser alors que l’on ne parvient pas à remplir sa mission première est la garantie d’une crise de légitimité. Mais se disperser, notamment sur le terrain politique et social, est aussi l’une des raisons pour lesquelles on n’arrive pas à remplir cette mission.

La boucle est ainsi bouclée : l’entreprise distraite par ses engagements politiques néglige sa mission première. Sa performance décroît, et donc sa légitimité aussi, y compris celle de son militantisme, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes.

 

Chacun à sa place

La mésaventure Disney suggère que nous arrivons peut-être à la fin d’une période un peu folle où les entreprises ont été encouragées à penser qu’en vertu de leur puissance économique, elles pouvaient peser sur le débat public, et qu’elles en avaient même l’obligation morale, au lieu de rester politiquement neutres ; qu’un PDG avait plus de légitimité pour « régler les problèmes du monde » qu’un député.

Qu’elles prennent conscience aujourd’hui des risques considérables qu’une telle croyance fait courir à la société démocratique, mais aussi à elles-mêmes, est salutaire. Le message du public semble en effet assez clair : chacun à sa place, et les vaches seront bien gardées.

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