Viticulture, le temps des vaches maigres

Entre surproduction et concurrence accrue, l’industrie viticole française fait face à une crise historique.

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Viticulture, le temps des vaches maigres

Publié le 20 novembre 2023
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Avec 45,6 millions d’hectolitres de vin produits en 2022, juste derrière l’Italie (49,8) et devant l’Espagne (35,7), la viticulture française représente un secteur économique majeur pour notre pays.

Le marché des vins et spiritueux regroupe plus de 700 000 emplois, soit 2,3 % de la population active en 2022. Il se traduit par un chiffre d’affaires de 22,82 milliards d’euros pour cette même année. Avec 17,2 milliards d’euros issus de l’exportation, le secteur est un acteur majeur dans notre économie, sachant que la balance commerciale globale française accuse pour cette année 2022 un déficit record et abyssal de 164 milliards d’euros.

 

Un avenir inquiétant

Dans un univers mondial où l’offre et la demande font et défont les marchés, il est intéressant de regarder l’état des équilibres.

Sur ces deux graphiques superposés dans les valeurs et dans le temps, il apparaît clairement que la production est en moyenne excédentaire de 14 % sur la consommation.

La variabilité annuelle des productions s’explique par les conditions climatiques et les variations extrêmes résultent des aléas de la météo (gelées printanières, grêle, excès de sécheresse, attaques de mildiou, oïdium ou insectes ravageurs). Il semble qu’avec des excès météo cumulés, l’année 2023 atteigne des records de baisse de rendements. Les vignerons du sud-ouest ont subi d’énormes pertesà cause de la grêle et le mildiou. Les parcelles conduites en Bio ont été les plus sensibles, les fongicides systémiques leur étant interdits. Les vignerons ont été pris en ciseaux entre la nécessité de traiter plus souvent pour pallier le lessivage du cuivre par la pluie, et la dose de ce dernier limitée par la réglementation.

Le 8 novembre dernier, les 122 députés présents ont voté à l’unanimité un amendement qui permet la mise en œuvre d’un fonds d’urgence sous minimis de 20 millions d’euros pour accompagner les viticulteurs victimes des dégâts du mildiou. Cette aide est plafonnée à 20 000 euros sur trois années glissantes.

 

Les vignerons bordelais en crise

Durement touché par une baisse de 32 % de consommation du vin rouge, (93 % des consommateurs préfèrent le vin blanc), le vignoble bordelais, composé à 85 % de cépages rouges, a subi de plein fouet cette récession.

En accord avec l’interprofession, une cellule de crise à la préfecture de la Gironde a permis de décider le 17 avril 2023 un arrachage de crise qui concernera un tiers des vignerons. Ce projet sera financé à hauteur de 38 millions d’euros par l’État, 10 millions par la région, et 9 millions par l’interprofession qui s’appuiera sur un prêt remboursable en 20 ans.

Le vignoble de Bordeaux comprend 117 500 hectares de vignes répartis en 37 AOC. Ce plan 2023 concernera l’arrachage d’environ 9500 hectares de vignes en capacité de produire à hauteur de 6000 euros par hectare. En effet, la crise qui dure depuis plusieurs années a conduit certains vignerons à laisser des parcelles à l’abandon pour limiter les frais et tenter de retarder la faillite. Si les besoins dépassent le budget alloué, les quelques 333 viticulteurs s’étant déclarés décidés à arrêter, représentant 6400 hectares, seront servis en priorité. Un plan d’assainissement du vignoble qu’a déjà connu l’appellation Cognac il y a quelques années.

L’abandon d’entretien de leurs vignes par certains a d’ailleurs aggravé la situation des vignerons voisins, car non préservées des maladies et des insectes ravageurs (mildiou, cicadelles de la flavescence dorée), ces parcelles ont été des ilots de contamination et de propagation. 2023 a vu la récolte de certaines parcelles totalement anéantie par le mildiou.

 

Changement des habitudes des consommateurs

Le cliché du Français avec son béret, sa baguette de pain et sa bouteille de rouge a vécu. Les goûts des consommateurs évoluent au gré de la publicité, des messages gouvernementaux et des influences des réseaux sociaux.

Ce graphique démontre clairement que si la consommation de spiritueux a peu varié depuis 62 ans, la consommation de vin a chuté de 71,5 %. Mais celle de la bière a tendance à augmenter depuis 2016. Les Français consomment moins et privilégient les signes de qualité (AOC, HVE, Bio) dont le prix limite la quantité dans les budgets.

Cette tendance n’est pas sans incidence pour les vignerons. En effet, les contraintes liées aux labels, notamment en Bio, augmentent les coûts de production, limitent les rendements (phytos et fertilisants limités ou bannis) et entraînent des frais de certification quelquefois conséquents et toujours répétitifs.

 

La concurrence étrangère

Tous les producteurs étrangers soutiennent des actions de promotion dynamiques, tant au niveau de la qualité que du marketing. Un accord commercial exonère des droits de douane l’importation en Chine de vins australiens, alors que les vins français sont taxés à 14 %. Il en résulte une augmentation de 60 % de l’importation des vins australiens en Chine.

Les producteurs étrangers bénéficient de conditions de production plus favorables. Les réglementations environnementales sont généralement moins contraignantes, les salaires et les charges sociales moins élevés, la lutte antialcoolique moins prégnante.

Les facteurs de compétitivité des prix sont détaillés dans une étude de France-Agrimer (p18-22). Il en ressort pour les principaux : coût de la main-d’œuvre plus élevé, des pratiques culturales, exigences environnementales excessives, taxation foncière et successorale ruineuse.

La nouvelle réglementation des ZNT (Zones Non Traitées) est un lourd handicap pour l’agriculture française, et encore plus pour la viticulture. Les vignes voisines d’habitations (dont certaines ont été construites sans distance de retrait) ne peuvent être protégées des maladies et des prédateurs sur des distances de 10 à 20 mètres selon les produits phytos utilisés. Les surfaces concernées doivent être arrachées pour ne pas devenir des noyaux de contamination et de propagation.

 

Une éclaircie passagère

Le remède de cheval du Bordelais a déjà été appliqué dans le vignoble du cognac.

En 1997, un plan d’adaptation viticole d’arrachage, de surgreffage ou de diversification pour épurer 15% de la superficie du vignoble et les écarter de la surproduction de cognac avait été mis en place par l’interprofession. L’arrachage définitif, sans droit de replantation avait été financé par des primes de l’État et de Bruxelles.

L’équilibre n’a été retrouvé qu’une dizaine d’années plus tard. Puis, la conjoncture économique étant devenue favorable, le négoce de l’interprofession a fait pression sur la famille viticole d’abord pour augmenter le quota de production qui a atteint 14,73 hectolitres d’alcool pur par hectare en 2022, pour une production réelle de 12,86 Hl/AP/Ha.

Mais les arbres ne montent pas au ciel. L’euphorie d’une dizaine d’années de croissance des ventes est en train de produire les effets habituels :

 

Comme on le voit ci-dessus, lorsque la production est trop excédentaire par rapport aux ventes, les cours s’effondrent.

Sur le second marché de la place de Cognac (transactions hors contrats avec les grandes maisons) on voit déjà les cours s’effondrer de moitié. Certains viticulteurs en contrat avec les grandes maisons se voient en 2023 refuser des échantillons. Le « mauvais goût de surproduction » est mortifère. Et ce n’est qu’un début…

Malgré l’écart délétère du graphique, l’interprofession s’est accordée depuis 2018 16 836 hectares de plantations nouvelles, soit une augmentation de plus de 20 % de son potentiel de production. Ces plantations ne sont pas encore toutes en production. Le delta production/ventes s’aggravera d’autant, et la viticulture charentaise risque de plonger dans les affres de sa voisine bordelaise. Les hommes ont la mémoire courte, et les anciens ne sont pas écoutés. La production des 30 000 hectares de plantations en appellation cognac des années 1970 a mis vingt années à être écoulée, malgré les arrachages massifs qui avaient suivi.

Si faire et défaire c’est toujours travailler, bien gérer c’est prévoir et anticiper.

 

 

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  • Des quatre qualifications citées en conclusion aucune ne fait partie du quantum de l’énarque. Son seul atout c’est de dépenser l’argent des autres contribuables pour satisfaire des revendications catégorielles.
    Bonne journée

  • Je me demande dans quelle proportion la PAC a causé cette débandade…

  • Les commentaires sont fermés.

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