Comment nous sommes surpris : une analyse de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 en Israël

La surprise stratégique n’est pas toujours le fruit d’un manque d’information, mais parfois celui de croyances profondément ancrées. Analyse des raisons pour lesquelles Israël a été pris au dépourvu.

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Source : Chuttersnap sur Unsplash

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Comment nous sommes surpris : une analyse de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023 en Israël

Publié le 1 novembre 2023
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L’attaque surprise est la plus vieille tactique militaire de l’humanité. Elle repose sur l’idée que la stratégie est un paradoxe, c’est-à-dire qu’il peut être payant de faire quelque chose qui va sembler totalement illogique à l’adversaire. Elle repose aussi sur l’idée de tromperie, qui nécessite une fine compréhension de l’adversaire et de ses croyances. Ce sont ces croyances qui rendent la surprise possible.

Regardons-le sur un exemple tragique, celui des attaques terroristes toutes récentes du Hamas contre Israël le 7 octobre dernier.

Ces attaques constituent sans aucun doute une surprise stratégique. Surprise, parce qu’il ne fait aucun doute que l’intégralité de l’appareil d’État israélien a été totalement surpris, et stratégique, parce que l’attaque a une ampleur extrêmement importante, par son nombre de victimes (environ 1400), par sa nature (atrocités commises sur des civils) et par ses conséquences.

Dans mon ouvrage Constructing Cassandra, je définis une surprise stratégique comme « la prise de conscience soudaine que l’on a opéré sur la base d’une estimation erronée rendant incapable d’anticiper un événement ayant un impact significatif sur ses intérêts vitaux ».

Autrement dit, nous sommes surpris parce que nous avons basé notre compréhension du monde sur un modèle mental, c’est-à-dire un ensemble de croyances erroné, et les conséquences sont très importantes.

Quel était le modèle, côté Israélien, le 7 octobre ?

Martin Indyk, un haut responsable de la diplomatie américaine spécialiste du Moyen-Orient, a été l’un des tout premiers à essayer d’analyser les raisons de la surprise des Israéliens dans un entretien qu’il a accordé au magazine Foreign Affairs juste après l’attaque. Cet entretien nous permet d’identifier au moins cinq croyances aveuglantes.

 

Cinq croyances aveuglantes

Un mur solide va nous protéger des incursions

La croyance est que les franchissements ne seront que des incursions sporadiques relativement improvisées. Le jour où les entrées sont une attaque délibérée avec des moyens lourds, le mur ne protège plus. Comme pour la ligne Maginot, le problème vient de ce que l’adversaire ne se comporte pas comme nous l’avions supposé. À l’extrême, le mur oblige l’adversaire à concevoir une attaque massive, les incursions sporadiques n’étant plus possibles. Autrement dit, l’excès de protection limite les petites attaques, mais rend plus probable une attaque massive, et celle-ci a plus de chance de réussir. C’est un effet pervers classique de la protection.

Si nous laissons le Hamas se renforcer, cela va diviser les Palestiniens, et donc renforcer notre sécurité

Diviser son ennemi paraît la logique même, mais renforcer l’une de ses factions peut conduire à un effet pervers, surtout quand on en comprend mal la véritable nature (voir cinquième croyance).

Nous savons ce que font les Palestiniens grâce à nos moyens d’espionnage sophistiqués, donc nous ne serons pas surpris

Nous avons là l’hubris, c’est-à-dire l’excès de confiance, propre à celui qui se sent ultra-dominant grâce à ses moyens, notamment technologiques. Un modèle mental associé, et qui permet cette hubris, c’est de croire que tout savoir d’un adversaire permet d’en anticiper le comportement. Ce qui n’est malheureusement pas vérifié dans l’histoire. Les Américains savaient tout de la marine impériale japonaise en 1941; et ont pourtant été totalement surpris par l’attaque de Pearl Harbor.

Jamais le Hamas n’osera lancer une attaque majeure

Ici la croyance est que le Hamas sait qu’il serait battu à plate couture, que la population palestinienne se retournerait contre lui à cause des conséquences. Le modèle mental consiste à projeter sa propre rationalité sur celle de l’adversaire, à croire qu’il pense comme nous. Ces deux croyances sont contestables : d’une part, dans son attaque, le Hamas ne cherche pas à envahir Israël, mais peut-être simplement à provoquer une sur-réaction de ce dernier pour le pousser à la faute (un gigantesque massacre de Palestiniens qui retournerait l’opinion internationale) ; d’autre part, le Hamas a les moyens de dominer cette population au besoin de façon violente, comme il l’a montré de nombreuses fois.

Le Hamas a intérêt à investir dans une paix de long terme dont tout le monde bénéficiera

Ici, le modèle mental consiste à penser que ce que veut tout mouvement « politique » est la paix. Or, tout mouvement n’est pas nécessairement politique, et ce que veut le Hamas, c’est la destruction d’Israël. On a ici une incapacité à comprendre la véritable nature de l’adversaire, à croire que ses modèles sont les nôtres, alors que ses intentions sont parfaitement explicites depuis toujours.

 

Il y a naturellement d’autres croyances à examiner, mais les cinq ci-dessus illustrent bien le mécanisme de génération de la surprise : elle ne résulte pas d’un manque d’informations, mais du sens que l’on donne à ces informations, et ce sens résulte du filtre de nos croyances.

 

Une discipline impérative : revisiter ses croyances

Il ne s’agit évidemment pas ici d’établir des conclusions définitives sur les causes d’un événement encore très récent, et sur lequel l’information est donc nécessairement limitée. Il s’agit de montrer le rôle que jouent nos modèles mentaux, c’est-à-dire nos croyances, dans la génération d’une surprise.

On peut le résumer ainsi :

Ce par quoi nous sommes surpris dépend de ce que nous croyons.

Car si la surprise résulte en partie de l’intelligence tactique de l’attaquant, bien sûr, elle repose aussi et peut-être surtout sur un enfermement dans des croyances fausses ou obsolètes de la victime. Même si toutes les surprises ne sont pas inévitables, il est indispensable pour toute organisation, qu’elle soit privée ou publique, civile ou militaire, d’organiser un examen systématique et régulier de ses croyances fondamentales pour éviter cet écueil. Cela doit constituer une discipline à part entière.

Sur le web.

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  • Et Israël à perdu la guerre. Cet État est en train d’être mis au ban des accusés par sa réaction à chaud. Pourtant il aurait pu la gagner s’il n’avait pas combattu le Hamas par les armes.
    Il aurait pu gagner la guerre des opinions simplement en faisant un blocus sur la bande de Gaza et en exigeant 3 points pour le lever :
    1) libération des otages
    2) livraison de tous les combattants, des armes et des responsables du Hamas y compris ceux à l’étranger pour jugement
    3) autorisations d’incursion dans la bande de Gaza pour y détruire tous les tunnels et caches d’armes
    Ces 3 points étant supervisés par l’ONU.
    Cela aurait obligé les instances internationales à soutenir ce plan car elles auraient été responsables de la levée du blocus et de ses impacts sur la population.

    -6
    • 4) que les dirigeants du Hamas et les dirigeants israëliens se font l’accolade et s’embrassent.

      Ce que vous proposez ne résoud rien car ça ne touche pas aux fondamentaux ! Ce n’est pas en désarmant son ennemi qu’il deviendra votre ami.
      Ce n’est pas non plus un problème de religion ou d’idéologie.
      La question de fond est la reconnaissance mutuellle, celle qui vous situe à égalité psychologique. Dans une situation d’infériorité, rajoutez une dose de mépris, et vous activerez toutes les personnalités radicales, perdants muet en temps apaisé, qui se sentiront investi sans limites dans les moyens. Ce n’est pas propre aux palestiniens, on l’observe partout dans nos sociétés, individuellement ou collectivement (cependant c’est toujours une affaire personnelle).
      Fondamentalement, c’est presque toujours une question de troubles psychologiques et souvent même pas au niveau de classement psychiatrique.

    • Ne soyons pas naïfs. L’attaque terroriste du Hamas montre qu’Israël était condamné d’avance, sinon un acte aussi répugnant n’aurait pas eu lieu. Israël fait les frais de la réconciliation entre l’Iran et l’Arabie Saoudite, qui fait disparaître les querelles entre ses ennemis, et de la guerre d’Ukraine qui montre la faiblesse de ses amis (et du monde occidental en général). Ils n’ont pas voulu le voir venir, pas plus que Macron ou Ursula ne voient qu’en cédant à des preneurs d’otages, on se condamne à être les prochains otages. La France et l’UE, en cas de blocus, se seraient précipités pour fournir tout (armes comprises) au Hamas dans des couloirs humanitaires pour le plaisir de parader avec un seul couple d’otages libérés. Israël a perdu le jour où l’OTAN a fait capoter l’armistice ukrainien en mars 2022 et le jour de mars 2023 où Iran et Arabie Saoudite ont décidé d’échanger des ambassadeurs. Ils auraient pu ne pas être surpris, mais qu’est-ce que ça aurait changé ? L’identité de quelques morts…

      • L OTAN a fait capoter l armistice ukrainien en mars 2022
        Quelle imagination fertile navigue dans les cerveaux souverainistes pro russes !!!!
        Les idiots utiles de Wladimir !!!!

  • Je dirais plutôt : « Ce par quoi nous sommes surpris dépend de ce que nous avons envie de croire »

    • Les croyances ne sont pas le fruit de la volonté consciente, elles sont ancrées en nous de façon involontaire, et c’est pourquoi il nous est difficile de nous en débarrasser, et même pour commencer de seulement les discerner et les identifier. Elles font partie de la psyché, donc individuelle, mais elles peuvent être aussi collectives, culturelles et tout aussi inconscientes. D’autant que toute croyance n’est pas mauvaise, elles peuvent être fondées sur de solides postulats philosophiques.
      S’il était si facile d’avoir conscience de toutes ses croyances personnelles ou culturelles, on ne serait jamais surpris, jamais émeut même, comme les psychopathes par exemple…

      • «..elles peuvent être fondées sur de solides postulats philosophiques.»
        Cela me paraît fort peu probable si les croyances sont inconscientes.
        Il semblerait que les croyances soient un mélange impénétrable d’insconcient et de conscient. A ce titre, les postulats philosophiques sont eux-mêmes fondés (ou influencés) sur les croyances bien que retravaillés, arrangés et formalisés, pour imprégner ensuite les croyances et ainsi de suite. Certaines croyances deviennent progressivement des normes sociales, alors que beaucoup d’autres occupent les vides.
        Idem pour la science.

      • @dr slump « Les croyances ne sont pas le fruit de la volonté consciente, elles sont ancrées en nous de façon involontaire » : voilà l affirmation de la négation du libre arbitre , c est votre point de vue , pas le mien. « Fondé sur de solides postulats » : un postulat est indémontrable (par définition )c est donc un choix . Le libre arbitre consiste à faire ces choix en conscience. On peut vivre toute une vie sans choisir quoi que ce soit , je vous l accorde , pour moi c est au mieux de la paresse au pire de l obscurantisme ; exercer son libre arbitre est difficile, parfois douloureux, responsabilisant , mais aussi c est le coeur de la vie . Les paresseux et les veules préfèrent dire qu il n existe pas , ça les excuse de tout .

  • Petite remarque incidente :
    Singapour 760 km2 avec 5,5 millions d’habitants soit 7 mille habitants au km2.
    Bande de Gaza 360 km2 avec 2,2 millions d’habitants soit 6 mille habitants au Km2.

    • Certes avec une nuance toutefois :
      Les habitants de Singapour peuvent aller et venir, pas ceux de la Bande de Gaza.

      • La véritable différence est que les habitants de Singapour veulent commercer avec leurs voisins, et leurs voisins avec eux, tandis que les habitants de Gaza n’envisagent qu’un seul business : celui de l’assistanat, du marché noir et de la corruption.

  • Comme montré avec l’exemple de Pearl Harbor, pour des services de renseignement ou des strateges il n’y a pas vraiment de surprise.

    En fait, le probleme c’est la remontée des informations et leur traitement. Qui osera sonner l’alarme dans la hierarchie sachant que ca peut etre mal vu s’il ne se passe rien? Quel plan d’action pour contrer sachant que la simple mobilisation montre qu’il y a eu une fuite ? Avec quel argent sachant que rien n’est gratuit ? Comment faire accepter dans l’opinion des mesures de sécurité exceptionnelles en temps de paix ?

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