Industrie : l’Université d’été d’Aix-en-Provence éclaire la France

Il faut tirer les enseignements de l’Université d’été d’Aix-en-Provence pour réformer notre industrie.

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Industrie : l’Université d’été d’Aix-en-Provence éclaire la France

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 7 septembre 2023
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La dernière Université d’été d’Aix-en-Provence s’est tenue les 20, 21 et 22 juillet 2023, et comme à l’accoutumée elle fut un réel succès;

Plus de 150 personnes ont suivi les conférences et les débats. Elle a réuni bon nombre de grands noms français et étrangers de diverses disciplines, et tout spécialement des économistes très connus. Le thème de cette année portait sur « Comment gérer le risque ».

Comment les conclusions auxquelles sont parvenus tous ces experts s’appliquent au cas français ? Nous allons voir qu’il en ressort que les dirigeants de notre pays ont très mal géré le risque.

Dans un article paru sur Contrepoints le 16 août dernier, Pierre Garello, qui a été le président de cette grande manifestation a indiqué, brièvement, les conclusions qui se sont dégagées de ces débats.

Elles sont au nombre de trois :

  1. Savoir reconnaître une situation de crise
  2. Prendre une décision
  3. Avoir des connaissances

 

Pierre Garello nous dit :

« Dans le monde actuel, le déni est en train de devenir une spécialité européenne : on essaie de cacher la crise sous le tapis ».

Ainsi, dans le cas de notre pays, nos grands dirigeants ont très longtemps refusé d’admettre que l’économie était en crise. Donc, aucune mesure n’a été prise pour y remédier, et lorsqu’ils en ont pris conscience, les connaissances ont manqué pour prendre les bonnes décisions.

Comment nos gouvernants ont-ils agi, et où en sommes-nous actuellement ?

 

Ne pas savoir identifier une situation de crise

Le service des statistiques des Nations unies a publié il y a quelques années les résultats d’une étude montrant comment ont évolué sur une longue période les économies d’un certain nombre de pays, en se référant pour cela à l’évolution des PIB/capita, cet indicateur caractérisant bien la richesse des pays et leur évolution.

Nous reproduisons ci-dessous ces données, pour quelques pays européens, en ajoutant le cas d’Israël qui est tout à fait exceptionnel :

PIB/tête en dollars courants (ONU : Statistics Division)

                                1980       2000      2017       Multiplicateur

Israël…………..      6 393      21 990    42 452            6,64

Espagne……….     6 141       14 556     28 356           4,61

Suisse…………..  18 879       37 937     80 101           4,25

Danemark……   13 881       30 734     57 533           4,13

Allemagne……   12 091       23 929    44 976            3,71

Pays-Bas………  13 794       20 148    48 754             3,52

Suède…………..  16 864       29 292    54 043            3,21

France…………. 12 669       22 161      38 415            3,03

 

 

Tout au long de cette période, les performances de l’économie française ont été très mauvaises, ce qui n’a pas vraiment préoccupé nos responsables politiques.

Ils s’en sont tenus, chaque fois, à des données portant sur le court terme.

En effet, les tableaux publiés par l’INSEE ne font jamais que comparer les derniers chiffres de PIB à ceux de la même période de l’année précédente, et on raisonne donc, soit sur des données trimestrielles soit, au mieux, sur des données annuelles. On est donc en permanence sur des problèmes conjoncturels, et non pas sur des analyses de fond portant sur le long terme.

On n’a donc pas vu, ou voulu voir, que l’économie française fonctionnait mal.

Le seul signal d’alerte était le taux du chômage en permanence bien plus élevé que partout ailleurs, un taux que nos dirigeants se désespéraient de ne pas pouvoir réduire, mais sans chercher à comprendre quel en était la cause réelle.

Les quelques acteurs conscients de la situation n’ont pas été écoutés, car s’attaquer à des problèmes de fond est toujours difficile, il est plus facile de les mettre sous le tapis.

C’est la crise sanitaire liée au Covid-19, début 2020, qui a fait prendre conscience à nos dirigeants que le pays souffrait de désindustrialisation, ne produisait plus grand-chose, et qu’il importait énormément de l’étranger, y compris les médicaments !

Même la crise des Gilets jaunes qui avait éclaté en novembre 2018 n’avait pas servi de révélateur, alors qu’elle était l’illustration même d’une crise causée par la désindustrialisation du pays : chômage très important, appauvrissement d’un grand nombre de personnes dans les campagnes, et désertification du territoire dans les périphéries urbaines.

Et lorsque nos gouvernants ont pris conscience de la grave désindustrialisation du pays ils n’ont considéré que le problème de la sécurité de nos approvisionnements, manquant celui de l’appauvrissement général du pays. Un pays qui se désindustrialise, s’appauvrit.

 

Prendre une décision

Dans son article, Pierre Garello écrit :

« C’est à travers les crises que l’on affirme sa volonté, que l’on trace un nouveau cap compatible avec notre objectif à long terme ».

Donc, dès la prise de conscience de la très grave désindustrialisation du pays, des mesures pour le réindustrialiser ont été prises, mais sans percevoir que la réindustrialisation était l’élément clé du redressement de l’économie française.

En 2021, le gouvernement a lancé le Plan France 2030 en y consacrant un budget de 30 milliards d’euros. C’est un bon début, mais très insuffisant. Ce n’est évidemment pas avec un budget de 30 milliards d’euros que sera redressée une situation qui n’a pas cessé de se dégrader depuis une quarantaine d’années, c’est-à-dire depuis la fin des Trente Glorieuses.

Précédemment, du fait de la crise sanitaire, le Plan France Relance a été lancé en septembre 2020. C’est le volet français d’un vaste plan européen (la NextGenerationEU : plan de Relance pour l’Europe), destiné à faire redémarrer les économies des pays européens mises en sommeil à cause de la crise liée au covid.

C’est à cette occasion que l’Union européenne a contracté pour la première fois un vaste emprunt européen.

Le plan français a été doté d’un budget de 100 milliards d’euros, dont 40 milliards de l’Union européenne, et il a comporté trois volets :

  1. La transition écologique
  2. La compétitivité
  3. La cohésion des territoires

 

Lorsque le Plan France 2030 a été lancé, il restait un solde de 24 milliards d’euros disponibles qui a été intégré dans le nouveau plan.

Le Plan France 2030 comporte 10 objectifs, dont :

  • faire émerger des réacteurs nucléaires de petite taille (SMR) ;
  • devenir le leader de l’hydrogène vert ;
  • décarbonner l’industrie ;
  • produire un avion bas carbone.

 

Il s’agit donc, enfin, d’un plan centré sur l’industrie.

Mais il y avait aussi deux autres préoccupations : « investir dans une alimentation saine et durable », et « placer la France en tête de la production de contenus culturels et créatifs ».

Nous en sommes donc là actuellement.

La réindustrialisation du pays est en route, mais à un rythme totalement insuffisant, alors qu’il y a urgence à redresser notre économie. On estime qu’il y a aussi d’autres priorités, parmi lesquelles la lutte pour le climat et la réduction des inégalités sociales.

En 2022, 35 000 emplois nouveaux ont été créés dans l’industrie, dont 5000 dans de nouvelles usines. C’est très insuffisant pour redresser la situation du pays.

 

Avoir des connaissances

Ce qui a donc manqué à nos dirigeants, c’est la connaissance du rôle clé joué par l’industrie dans la création de richesse des pays.

En effet, jusqu’à une période toute récente, ils étaient adhérents à l’idée qu’une société moderne est une société post-industrielle, c’est-à-dire une société dont l’économie est fondée exclusivement sur des activités tertiaires.

C’est la conclusion erronée à laquelle étaient parvenus les sociologues à partir des travaux de Jean  Fourastié, dont le livre, Le grand espoir du XXe siècle publié en 1952, a fait grand bruit. Il y démontrait qu’à mesure qu’un pays se développe, il passe du secteur primaire, l’agriculture, au secteur secondaire, l’industrie, puis ensuite du secteur secondaire au secteur tertiaire, celui des services.

Ils n’ont pas compris que Fourastié avait raisonné sur les emplois, et non sur des valeurs ajoutées : certes, dans un pays moderne, les emplois industriels diminuent, mais du fait de la croissance rapide de la productivité dans l’industrie la valeur ajoutée par travailleur augmente très vite. Le secteur industriel continue donc à tenir une place relativement importante dans le PIB des pays.

En 1969, Alain Touraine, une figure majeure alors de la scène intellectuelle française, avait publié La société post-industrielle, et diffusé ce nouveau concept.

Ainsi, pendant des dizaines d’années, a été admise la thèse de ce grand sociologue, ce qui explique que nos dirigeants successifs ne se soient pas émus, comme ils auraient dû l’être, du déclin de notre industrie. La France est aujourd’hui le pays d’Europe le plus désindustrialisé, la Grèce mise à part.

La corrélation est de 0,94, ce qui est excellent. Avec une production industrielle faible de 6432 dollars par habitant, le PIB/capita de la France est de seulement 39 030 dollars ; avec un ratio bien meilleur de 12 279 dollars, le PIB/capita de l’Allemagne est de 46 208 dollars ; avec un chiffre record de 22 209 dollars, la Suisse dispose d’un PIB/capita de 87 097 dollars, le plus élevé d’Europe.

Les effectifs industriels français n’ont pas cessé de fondre depuis la fin des Trente Glorieuses. Le secteur de l’industrie ne contribue plus, aujourd’hui, que pour 10 % à la formation du PIB (industrie manufacturière, hors construction), alors que ce taux devrait se situer au moins à 18 %.

Il ne fait aucun doute que c’est du fait de l’amenuisement de notre secteur industriel que l’économie de notre pays a crû moins vite depuis la fin des Trente Glorieuses que celle des autres pays européens.

Le redressement de l’économie française passe par la reconstitution de son secteur industriel.

Le Plan France 2030 va bien dans le bon sens, mais il est très insuffisant, et trop sélectif pour les projets pouvant bénéficier d’une aide de l’État : 54 milliards d’euros sont prévus pour cela.

Pour remonter à 18 % le taux de participation de l’industrie à la formation du PIB, il faudrait permettre à l’État d’accorder des aides à l’investissement très substantielles, quel que soit le type d’industrie, soit environ 150 milliards d’euros d’aides publiques. Mais on buterait alors sur les règlementations européennes qui n’autorisent des aides à l’investissement que dans des cas très limités.

Nos gouvernants devront convaincre la Commission européenne que ces aides sont indispensables. La  France est un pays sinistré, le redressement de l’économie du pays requiert le recours à des mesures exceptionnelles, faute de quoi il continuera à s’endetter un peu plus chaque année, ce qui est contraire aux intérêts de toute la zone euro.

Actuellement, les investisseurs se précipitent aux États-Unis pour profiter du Inflation Reduction Act lancé en août 2022 par le gouvernement de Joe Biden, doté d’un budget de 370 milliards de dollars.

Le président américain avait déclaré pour convaincre le Congrès de la nécessité de son plan :

« Un pays peut être transformé : c’est ce qui se passe aujourd’hui ».

Il va maintenant falloir agir avec la même lucidité que Joe Biden : notre pays est à transformer, et il est temps de le faire.

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  • J’éprouve quelques difficultés à croire qu’une université d’été présidée par Pierre Garello aboutisse à la nécessité d’augmenter la fiscalité générale au profit de subventions aux entreprises industrielles, en prenant le gouvernement de Joe Biden comme modèle.

  • Le plan France 2030 est un plan de dérentabilisation de l’industrie française, en plus de payer quelques coûteuses danseuses à nos politiciens.
    Les SMR, c’est pour beaucoup parler du nucléaire et sortir des centaines de procédures administratives plutôt que de construire des centrales rentables.
    L’hydrogène vert, la thermodynamique et la physique garantissent que ce ne sera jamais rentable.
    La décarbonation de l’industrie, c’est par définition non rentable.
    L’accélération de la révolution agricole sur laquelle la France est leader, c’est plus cher pour le producteur et plus cher pour le consommateur, pas vraiment ce qu’on appelle rentable.
    L’avion bas-carbone, c’est forcément moins rentable que l’avion normal.
    Les véhicules électriques, c’est moins rentable que les véhicules normaux.
    Placer la France en tête de la production des contenus culturels et créatifs, dois-je vraiment préciser ?
    C’est de déverser des déluges d’argent public à faire pour plus cher ce que nous savions faire de manière classique qui nous coule, et empêche d’émerger les innovations qui produiraient mieux et à pas cher ce dont nous avons envie ou besoin. Si ça va mal, ça n’est pas que nous n’en ayons pas déversé assez ! STOP !

  • J’ai appris que pour réussir, il fallait développer ce qu’on faisait mieux que les autres, en exploitant les possibilités que les autres n’ont pas, et laisser tomber le reste. Le meilleur atout de la France c’est certainement son agriculture. Mais des écolos stupides prétendent, et veulent mettre partout dans la tête des gens qu’il faut développer une agriculture « paysanne », avec des exploitations surtout pas trop grandes. (Et des revenus à l’avenant pour l’exploitant). C’est une gigantesque bêtise. La France peut redevenir une puissance agricole de premier plan à condition de laisser tomber ces idées mortifères. En agrandissant les exploitations et en modernisant les équipements, l’agriculture française peut probablement remplacer l’industrie qu’elle a perdu et qui ne reviendra pas. L’exemple des Pays-Bas nous le prouve.

  • « Nos gouvernants devront convaincre la Commission européenne que ces aides sont indispensables. »
    On ne peut être plus clair : le pouvoir est au main des eurocrates et on peut légitimement se demander à quoi il sert encore de voter. En supposant par ailleurs que décarbonner signifie diminuer les émissions de cet horrible gaz, le CO2, et multiplier à cet égard les réglementations, l’UE progresse effectivement avec ses lubies écologiques dans sa course à l’abîme. Pour ce qui est de l’industrialisation, par contre, c’est beaucoup moins clair :

  • « Nos gouvernants devront convaincre la Commission européenne que ces aides sont indispensables. »
    On ne peut être plus clair : le pouvoir est au main des eurocrates et on peut légitimement se demander à quoi il sert encore de voter. En supposant par ailleurs que décarbonner signifie diminuer les émissions de cet horrible gaz, le CO2, et multiplier à cet égard les réglementations, l’UE progresse effectivement avec ses lubies écologiques dans sa course à l’abîme. Pour ce qui est de l’industrialisation, par contre, c’est beaucoup moins clair : https://www.youtube.com/watch?v=8-x5gGjn4zs

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