Enfin un vrai chef d’établissement à la tête d’une école primaire ?

Le récent décret relatif aux directeurs d’école laisse espérer qu’ils vont enfin bénéficier d’une véritable autonomie. Malheureusement, il n’en est rien.

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Enfin un vrai chef d’établissement à la tête d’une école primaire ?

Publié le 5 septembre 2023
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Le décret publié le 14 août dernier pouvait le laisser espérer ! Mais une fois encore, ce n’est qu’un timide pas en avant !

Rappelons que, dans tous les pays européens qui nous entourent, le directeur d’école primaire a des fonctions équivalentes à celles des chefs d’établissement du secondaire. Du fait du nombre d’écoles primaires largement supérieur au nombre de collèges, leurs associations professionnelles sont d’autant plus puissantes auprès de leurs ministères d’éducation respectifs.

Le directeur d’école français aura-t-il désormais pour mission de diriger son école ?

Si l’on se réfère au fonctionnement de ses collègues européens, il s’agit d’être responsable de la gestion des ressources humaines, de la répartition et de l’utilisation du budget horaire et du budget financier.

À la lecture de ce décret, un lecteur peu averti pourrait le croire, mais il n’en est rien.

À l’instar de son collègue du secondaire, il est censé diriger. Mais la formulation, spécifiquement française ne correspond qu’à des coquilles vides, car il n’a pas les moyens de son action :

« Il veille à la bonne marche de l’école […] a autorité sur l’ensemble des personnes présentes dans l’école pendant le temps scolaire. Il réunit et préside le conseil d’école et le conseil des maîtres […] il répartit les moyens d’enseignement et arrête, après avis du conseil des maîtres, le service des enseignants […] il organise le travail des agents communaux et doit assurer la sécurité des personnes et des biens, l’hygiène et la salubrité de l’école sur le temps scolaire. »

Prenons l’exemple de ce qui fut appelé à tort « Rythmes scolaires ».

C’était une excellente initiative qui, aujourd’hui encore, pourrait apporter bien des remèdes aux souffrances que produit notre système scolaire.

Il s’agirait alors, non pas de proposer du soutien scolaire à ceux qui déjà tolèrent difficilement nos méthodes, qui restent pour eux improductives, mais de conserver le même objectif de remédiation, et notamment d’acquisition des fondamentaux, mais par un travail conçu différemment, en dehors du cadre scolaire.

Pour le mettre en place, un directeur d’école a besoin de fixer lui-même le cap en fonction des ressources humaines présentes (et non avec l’obligation d’employer les agents communaux), en élaborant des partenariats qu’il juge fructueux pour l’élève (projets scientifiques avec des entreprises, par exemple…) en étant maître de l’évaluation des acquis en fin de parcours. Il n’en fut rien ! Dans une grande majorité des cas, cette initiative prometteuse fut une caricature de ce que peut produire le système scolaire français qui ignore la prise de responsabilités au niveau local, le bottom up.

Malheureusement, une telle carence ne concerne pas seulement les activités périscolaires, mais également le quotidien du travail effectué à l’école.

 

Que lit-on à ce sujet dans le nouveau décret ?

« Le directeur conduit le projet pédagogique de l’école […], il anime et coordonne l’équipe pédagogique […] Il veille à la diffusion des instructions et programmes officiels, ainsi qu’au bon déroulement des enseignements. »

Il reste donc un Primus inter pares et un exécutant.

Comme à l’accoutumée, il pourra donc aisément être recruté parmi les candidats enseignants. Ne seront pas testées ses qualités de leader, puisqu’en tout état de cause il n’aura pas à diriger, à piloter une organisation.

Depuis des décennies, il s’agit de se poser la question du recrutement de ces personnels de direction, de leur formation, de leur rémunération, de manière à assurer un vrai pilotage de l’école primaire, et une véritable prise de responsabilité du chef d’établissement.

Or, combien de directeurs actuels en poste, et ceci est malheureusement valable également pour les chefs d’établissement du secondaire, n’ont aucune des compétences nécessaires pour diriger une organisation d’une importance aussi déterminante pour l’avenir de nos élèves et de notre pays ?

Le leadership est banni dans notre pays. Cette position idéologique a déjà démontré par le passé combien son absence peut être préjudiciable à l’élève.

On se souvient de la jeune martyre Marina Sabatier tuée par ses parents. Le procès en assises, au Mans, n’a pas fait évoluer notre institution. La responsabilité est tellement partagée, diluée, entre les acteurs qu’au final, nul n’est responsable. Qu’en est-il dans ce cas de la protection de l’enfance ?

Le nouveau décret ne mentionne pas de modalités de recrutement qui modifieraient la donne et éviteraient « les erreurs de casting ». Il ne mentionne pas davantage une formation adéquate des directeurs d’école, qui devrait bien entendu être conçue sous forme de modules, de manière à prendre en compte leurs compétences déjà acquises – dans l’industrie par exemple.

Leur statut et la rémunération qui en découleraient ne sont pas davantage pris au sérieux. Ils restent des enseignants : «  ils poursuivent leur carrière dans leur corps […] et bénéficient d’une bonification d’ancienneté de trois mois par année de service dans l’emploi de directeur d’école. »

Aucun gouvernement ne se risque à affirmer que les fonctions d’enseignement et de direction sont de nature différente.

Le processus de recrutement par le moyen de la liste d’aptitude qui correspond à la méthode utilisée pour le recrutement des chefs d’établissement du secondaire avant la mise en place du concours en 1989, est en revanche une très bonne méthode qui devrait permettre de sélectionner les bons profils, à condition bien sûr que les candidats soient nombreux :

« Il est établi chaque année par département une liste d’aptitude à l’emploi de directeur d’école […] Les candidatures aux emplois de directeur d’école sont soumises à l’avis d’une commission départementale présidée par le directeur académique des services de l’Éducation nationale ou son représentant, et comportant un inspecteur de l’Éducation nationale, ainsi qu’un directeur d’école justifiant d’une expérience professionnelle suffisante en cette qualité. »

J’ai été recrutée comme chef d’établissement en 1987/1988, juste avant la mise en place du concours.

La sélection s’opérait en deux temps, d’abord au niveau du département en présence de l’inspecteur d’Académie, de l’inspecteur pédagogique national vie scolaire, d’un chef d’établissement particulièrement investi dans la formation de ses pairs. À l’issue de cette sélection, un deuxième jury au niveau académique, constitué de sept personnes, en présence du recteur d’Académie, permettait de sélectionner, comme en entreprise, lors d’un entretien très approfondi, les bons profils, jugés sur ce qu’ils étaient capables de faire, et non sur leur capacité à s’exprimer à l’écrit, comme le concours actuel le permet.

Depuis plus de 30 ans, nous recrutons des chefs d’établissement dans le secondaire qui n’ont pas nécessairement les compétences requises pour diriger le personnel, prendre des responsabilités au niveau pédagogique et financier. À quoi bon, me direz-vous, puisque leur statut fait d’eux des exécutants, et que leurs syndicats se contentent visiblement depuis trois décennies de cet état de fait ?

Une bonne formule par conséquent pour le recrutement des futurs directeurs d’école ?

Oui, mais…  il faudrait ensuite, comme c’était le cas en 1988, organiser leur formation en tenant compte des connaissances et des compétences déjà acquises. La formation à laquelle j’ai eu la chance de participer pendant sept mois lors de mon recrutement en 1987/1988, était organisée sur le principe des modules, car la liste d’aptitude comprenait des chefs d’établissement chevronnés, candidats à une promotion en lycée. Elle comprenait pour tous un stage en entreprise de six semaines, réparties sur six mois : j’ai ainsi pu participer aux sessions de recrutement de Hewlett-Packard au siège de la société alors domiciliée à Évry, et étudier le fonctionnement des services, recrutement, formation, communication, S.A.V…

L’aberration culmine dans ce décret avec la méthode d’évaluation de directeur d’école !

On pourrait s’attendre à tout, sauf au fait qu’il sera évalué par l’inspecteur de l’Éducation nationale de sa circonscription ! Et de quelle manière !

« Les directeurs d’école sont évalués au plus tard après trois ans d’exercice dans leurs fonctions, puis au moins une fois tous les cinq ans. L’évaluation est conduite par l’inspecteur de l’Éducation nationale de la circonscription dont ils dépendent. Elle donne lieu à un entretien portant sur la mission spécifique de directeur d’école et sur ses conditions d’exercice. Cet entretien fait l’objet d’un compte rendu écrit. »

Aucune volonté de changement donc !

Alors qu’il serait opportun de s’interroger sur cette fonction d’inspecteur de l’Éducation nationale qui ne correspond plus à rien, de même que celle des conseillers pédagogiques ! Tout le système serait à revoir, à partir du moment où les enseignants seraient placés réellement sous l’autorité de leur chef d’établissement, et non de leur inspecteur. Trop périlleux !

Cette dichotomie, que l’on retrouve dans le secondaire, et qui n’a pas permis un fonctionnement satisfaisant pour les familles va donc perdurer.

L’autorité du chef d’établissement tel qu’elle est décrite dans les textes ne lui permet pas de réellement piloter l’organisation pédagogique de son école, de son collège, de son lycée.

C’est une évidence partout en Europe et ailleurs, mais en France on continue à penser que la liberté pédagogique de l’enseignant est primordiale, que son évaluation ne peut en aucun cas dépendre de celui ou celle qui le voit travailler au quotidien ! L’inspecteur pédagogique dans le secondaire, l’inspecteur de l’Éducation nationale dans l’enseignement primaire conservent la responsabilité de l’évaluation des personnels enseignants !

Les collègues étrangers que j’ai souvent invités à participer en France à des conférences, à des débats, pourront continuer à s’étonner et à poser la question :

« Comment se fait-il que les parents français puissent se satisfaire d’une telle situation ?

Peut-on alors prétendre qu’un pas de plus est franchi pour aller vers la création d’un vrai corps de personnels de direction dans l’enseignement primaire ?

Oui, si l’on considère que le modèle enviable est le statut du chef d’établissement français du secondaire. Non, si l’on sait que le modèle dont il s’inspire ne permet en aucun cas de diriger un établissement. Et les parents d’élèves des collèges et lycées publics français le savent !

Un vrai pilotage qui permettrait aux parents d’élèves d’exiger d’une seule et unique personne bien identifiée de rendre des comptes n’existe toujours pas, puisque ce chef d’établissement n’a qu’une responsabilité très partielle dans la gestion des ressources humaines, des moyens horaires, des pratiques pédagogiques, et des ressources financières.

Une vraie réforme supposerait que l’on mette un terme à des pans entiers de l’institution Éducation nationale. Elle remettrait en cause le fonctionnement de l’inspection à tous les étages – de l’Inspection Générale à l’inspecteur de l’Éducation nationale – ce qui permettrait, entre autres, de sortir du carcan des disciplines en ce qui concerne le secondaire, et de promouvoir l’interdisciplinarité.

Est-il permis d’espérer que Gabriel Attal, premier ministre à s’adresser réellement, officiellement, dès la rentrée aux chefs d’établissement, soit l’artisan d’une réelle transformation de son ministère qui a fait la preuve de son incapacité à s’adapter aux nouvelles exigences de l’école du XXIe siècle ?

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  • « Le décret publié le 14 août dernier pouvait le laisser espérer ». Non, aucune chance, et j’avais déjà commenté sur ce fait. Toute nouvelle aptitude du directeur est faite pour que le rectorat et le ministère puisse se défausser sur lui. Mais il n’aura aucune marge de manœuvre réelle: pas de choix des profs, de leur rémunération, du programme, du budget.
    Enfin, s’il y a vraiment une délégation des vrais pouvoirs, ce ne sera pas sur le directeur. Mais quelqu’un de politique. Un nouvel échelon créé sur mesure, au niveau de la ville par exemple. Et les inspecteurs ne se laisseront pas départir d’une once de leur pouvoir. Les syndicats ne feront rien, car ils ne s’opposent jamais au pouvoir (toute manifestation est une joute théâtrale).
    Quant aux discussions sur l’entreprise privée, cela m’a fait rire. Déjà qu’on se fait engueuler si on dit aux élèves qu’il faut bien travailler à l’école pour avoir un bon travail plus tard. Parler de l’entreprise privée, vous n’y pensez pas!

  • Dans la majorité des écoles primaires en milieu rural, il n’y a que un, deux ou trois enseignants au maximum. J’ai un peu de mal à voir l’interet qu’il y ait un poste de directeur à part entière dans ces conditions. C’est pour ca qu’il existe les décharges partielles ou totales.

    Difficile aussi de faire des regroupements car il n’y a pas toujours une masse suffisante d’eleves du fait de la disparité du territoire.

    Il n’y a pas pire également que des directeurs qui ne sont plus ou pire n’ont jamais été des enseignants. A force ils perdent la réalité du terrain. Ils ne deviennent plus que des administratifs comme les autres avec des kpi et des directives à suivre. C’est justement ce qui est reproché aux inspecteurs et autres grands pédagogues. Ils décident de tout comme si tout allait bien, que tout allait bien se passer et que tout n’était qu’une question de salaire.

    Là où il y aurait un point d’amélioration, ce serait sur l’autonomie effective des établissements face à l’inspection. Car justement le rectorat donne plus raison aux parents qu’aux enseignants en cas de conflit. #pasdevague. C’est ce qui gangrene le systeme educatif dans le primaire et le secondaire. C’est ce que les enseignants et directeurs reprochent le plus.

  • Vous oubliez une chose importante : nos « directeurs » d’école n’ont pas envie d’être autonomes. Ils préfèrent gérer le quotidien au jour le jour et laisser leur chef se dém** erder. « Pas des vagues, pas de responsabilités, et rentrons chez nous sans soucis le soir ».
    Ils sont entrés à l’éducation nationale avant tout pour être fonctionnaire, avoir 4 mois de vacances, et travailler 4 jours par semaine. La récente proposition de Macron le confirme : on ne va tout de même pas rentrer de vacances 10 jours plus tôt pour améliorer le sort des élèves. Faut pas exagérer camarade.

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