Démocratie en péril : le FBI et la surveillance abusive

Le FBI, jadis considéré comme gardien de la loi, est accusé de violer la vie privée de ses propres concitoyens par une utilisation abusive de la loi FISA. Yannick Chatelain analyse les dérives persistantes du service et appelle à un réexamen critique des méthodes de surveillance.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 2
Image générée par IA

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Démocratie en péril : le FBI et la surveillance abusive

Publié le 13 août 2023
- A +

Que les pays se dotent de méthodes et d’outils pour espionner les puissances étrangères « ennemies », voire les pays « alliés », on est jamais trop prudent ; qu’ils puissent même envisager d’utiliser ces méthodes et outils pour espionner des citoyens étrangers, des personnalités publiques comme des journalistes, des politiques, des opposants… à mon avis cela choquerait à peine l’opinion publique internationale, hormis naturellement la diplomatie du ou des pays cibles, qui s’insurgeraient, cela va de soi.

Cependant, que les services de renseignements d’une nation retournent leurs outils d’espionnage destinés à la surveillance étrangère contre leur propre peuple, c’est là une tout autre affaire ; d’autant plus si ces pratiques peuvent s’opérer quasi légalement, sans en référer à aucune autorité judiciaire, sans le moindre mandat !

C’est là que « l’affaire 702 » que je vais évoquer interroge sur la réalité du respect des valeurs de nos démocraties puisqu’elle émane d’un pays qui se targue de figurer parmi les plus grandes démocraties du monde…  Avec au cœur de ce nouveau dérapage attentatoire à la vie privée le « sulfureux » et mondialement renommé Federal Bureau of Investigation (FBI).

L’objet de cet article n’est certainement pas de dresser une liste exhaustive des affaires dans lesquelles les pratiques du FBI ont été remises en cause, mais de faire un focus sur les affaires qui ont concerné la surveillance illégale des citoyens américains.

Il ne s’agit pas non plus de m’acharner sur le FBI, l’anti-américanisme primaire. Je souhaite plutôt ériger le FBI en une sorte d’étude de cas, que les lecteurs comprennent qu’il n’est pas de services de renseignements sans failles, fut-ce des services de renseignement de démocraties.

 

Du BOI au FBI… un peu d’histoire

L’ancêtre du FBI, le « Bureau of Investigation » (BOI) a été créé le 26 juillet 1908 par le Français  Charles Joseph Bonaparte, petit-neveu de Napoléon Ier et procureur général des États-Unis sous la présidence de Théodore Roosevelt.

Sa mission première : lutter contre le crime organisé. On ne peut pas aborder l’histoire du BOI rebaptisé United States Bureau of Investigation en 1932, puis FBI en 1935, sans évoquer J. Edgar Hoover, un homme qui se révélera être la clé de voûte de cette institution emblématique, dont la devise est : Fidelity, Bravery, and Integrity, soit en français « Fidélité, Bravoure, et Intégrité ».

Par-delà cette devise utilisant habilement des mots pour former le sigle FBI, permettez que j’émette quelque doute pour le dernier : l’intégrité de ce service.

Edgar Hoover fut nommé directeur du BOI le 10 mai 1924, à l’âge de 29 ans. Il demeura en poste jusqu’à sa mort en 1972… Sous sa direction, qui durera 48 ans, et celle de ses successeurs, le service – tout du moins des membres de ce service – se sont retrouvés de façon récurrente au cœur de scandales d’État, pour avoir outrepassé leurs prérogatives et violé les droits des citoyens américains sous couvert de mener à bien leur mission.

 

Parmi les scandales les plus prégnants ayant entaché l’image du BOI, devenu FBI, la plus ancienne, mais également la plus longue et la plus grave est indéniablement l’affaire Cointelpro, qui commencera en 1956, pour prendre fin en 1971. Bien que datant de plus de soixante-dix ans, elle n’est pas sans rappeler l’affaire Snowden.

Enfin, j’évoquerai la plus récente dérive, qui pourrait être baptisée « l’affaire de l’article 702 », révélée dans un rapport inquiétant remis en juillet 2023 au Congrès par le comité consultatif du président (PIAB) et son conseil de surveillance du renseignement (IOB).

Ce rapport accablant fait état de dérives persistantes du turbulent FBI, usant et abusant de l’article 702 du Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA), une loi du Congrès des États-Unis datant de 1978 « décrivant les procédures des surveillances physiques et électroniques, ainsi que la collecte d’informations sur des puissances étrangères, soit directement, soit par l’échange d’informations avec d’autres puissances étrangères ».

Cette loi sera amendée à plusieurs reprises depuis les attentats du 11 septembre 2001, et cet article, dont le FBI a usé et abusé bien au-delà de ses autorisations, a conduit le comité consultatif à demander au Congrès la mise en place urgente de nouveaux (énièmes) garde-fous.

 

1956 – 1971 : l’affaire COINTELPRO

De l’année 1956 jusqu’à l’année 1971 le FBI a initié un programme secret, qui sera révélé au grand public en 1971, et intitulé COINTELPRO pour Counter Intelligence Program.

Ce programme était destiné à surveiller, infiltrer, déstabiliser un certain nombre de mouvements considérés par le pouvoir comme radicaux.

Il ratissait large : des groupes de l’extrême gauche révolutionnaire comme le Weather Underground, le Black Panther Party, le Parti communiste des États-Unis d’Amérique ; les militants du Mouvement afro-américain des droits civiques : mouvement Black Power, Conférence du leadership chrétien du Sud, des Amérindiens de l’American Indian Movement ; mais aussi d’éminentes personnalités, comme Léonard Peltier, Jean Seberg, et Martin Luther King.

Certains historiens et observateurs de l’époque affirment que, dans le cadre de ce programme, des dizaines d’Afro-Américains ont été purement et simplement éliminés.

Le programme ciblait également les groupes de l’extrême droite conservatrice, réactionnaire et nationaliste, comme le Ku Klux Klan ou le Parti nazi américain.

Ce programme aurait vraisemblablement continué sans le cambriolage des locaux du FBI en 1971 par la Citizens’ Commission to Investigate the FBI, un groupe d’activistes opérant aux États-Unis. La finalité de ce cambriolage était de récupérer des documents confidentiels…

Le scandale COINTERPRO était alors sur le point d’éclater.

Par-delà les dénégations du pouvoir alors en place, ce programme totalement illégal finira par être  enfin officiellement reconnu et révélé au grand public par la Commission d’enquête sénatoriale Church ou Commission Church durant ses travaux de 1975 à 1976, « provoquant l’instauration de nombreux garde-fous démocratiques par la suite. »

Notons que ce groupe d’activistes n’avait jamais été retrouvé, jusqu’à ce que cinq des huit membres décident en 2014, soit 43 ans plus tard, de sortir de l’ombre et de raconter leur histoire.

 

2013 : l’affaire Snowden

Si l’affaire COINTELPRO demeure à ce jour l’une des plus sombres affaires connues ayant durablement entaché l’image du FBI, si cette dernière avait à l’époque initié la mise en place de multiples garde-fous, le temps a passé.

Avec le basculement progressif dans l’ère technologique, les méthodes de surveillance des renseignements ont drastiquement changé, générant de nouveaux risques de dérive.

Après les attentats du 11 septembre 2001, la mise en œuvre du Patriot Act « promulguée par le Congrès américain en octobre 2001 à la demande du président d’alors, George W. Bush », et le déploiement de multiples outils de surveillance tels que Prism (autrement nommé US-984XN) ont occasionné un dévoiement de leur emploi par le FBI, ce que démontrera Edward Snowden, ancien agent de la CIA et consultant de la NSA.

Ce dernier a mis en lumière l’implication du FBI dans la surveillance de masse des citoyens américains, une surveillance parfaitement illégale.

L’affaire commence début juin 2013, lorsque l’ancien agent transmet au Guardian, et au Washington Post des documents confidentiels accablants et prend attache avec Glenn Greenwald (un journaliste controversé) et Laura Poitras, une documentaliste/réalisatrice. Avant d’être divulgués puis  feuilletonnés, les dérapages les plus graves sont rapidement rendus publics à savoir : la preuve de la captation de données de connexion des appels téléphoniques aux États-Unis, la mise en place de systèmes d’écoute sur Internet grace à de nombreux programmes de surveillance dont PRISM, XKeyscore, Boundless Informant et Bullrun du gouvernement américain, mais aussi l’usage de programmes de surveillance du gouvernement britannique tels que Tempora, Muscular et Optic Nerve.

Considéré comme un traître par les uns, un héros pour les autres, Edward Snowden sera inculpé le 22 juin 2013 par le gouvernement américain sous les chefs d’accusation d’espionnage, de vol et d’utilisation illégale de biens gouvernementaux.

Pour justifier ses révélations, il avait alors déclaré :

« Mon seul objectif est de dire au public ce qui est fait en son nom, et ce qui est fait contre lui ».

Quoi que l’on puisse penser de sa démarche, le fait est que cela a profondément inquiété les citoyens américains, comme ceux du monde entier, eu égard à la violation avérée de la vie privée par des services de renseignements en terre démocratique.

Si vous souhaitez en savoir davantage sur l’affaire Snowden, elle a fait l’objet d’un documentaire, Citizenfour, réalisé par Laura Poitras qu’elle a présenté en avant-première le 10 octobre 2014. Ce documentaire traite de la surveillance mondiale généralisée et retrace l’histoire d’Edward Snowden, de Hong Kong à Moscou. Ce travail recevra en 2015 l’Oscar du meilleur documentaire.

 

2023 : le FBI et son usage dévoyé de la loi FISA 

Outre ces précédents, le FBI demeure très turbulent, et si l’on en croit le rapport réalisé par le comité consultatif de la Maison-Blanche, il semble persister à prendre ses aises, notamment dans sa lecture très personnelle de l’article 702 de la loi sur la surveillance du renseignement étranger que j’ai eu l’occasion d’évoquer : le Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA).

Cette loi – qui a évolué depuis son adoption par le Congrès en 1978 – était originellement destinée à suivre les espions étrangers et les terroristes potentiels. L’article 702 sur lequel s’est penché le comité permet entre autres aux forces de l’ordre d’obtenir un accès sans mandat des enregistrements téléphoniques, des e-mails des Américains, et autres communications électroniques.

En juillet 2023, le comité consultatif du président (PIAB) et son conseil de surveillance du renseignement (IOB) qui conseillent le président sur la légalité des opérations de renseignements en pays étranger produisaient un rapport à destination du Congrès avec ses recommandations en vue d’une « réautorisation » de l’article 702 … Ce rapport a révélé que le laxisme, l’absence de procédures appropriées, et un volume extrêmement élevé d’activités du FBI s’étaient appuyés sur cet article.

Le comité pointait que cet état de fait avait conduit le FBI à avoir une « utilisation inappropriée » de ce dernier. Partant de ce constat, parmi les recommandations les plus importantes, le comité recommande au Congrès :

 

  • Que l’utilisation par le FBI des bases de données créées par l’article 702 soit limitée aux enquêtes portant sur le renseignement étranger – la même norme que celle utilisée par les autres agences de renseignement ayant accès à ces données.

 

  • Que l’utilisation de l’article 702 par le FBI soit limitée aux seules fins de renseignement étranger et que le personnel du FBI reçoive une formation supplémentaire sur ce qu’implique le renseignement étranger.

 

Enfin, le comité consultatif recommande au Congrès d’imposer de nouvelles restrictions de l’accès du FBI aux outils de surveillance dédiés à la surveillance étrangère afin d’empêcher le bureau d’y avoir recours pour espionner les communications électroniques des Américains.

 

Pour conclure

Si le FBI fait souvent la Une, et fait autant parler, le service paye, il me semble, son immense notoriété. Les autres services de renseignements en terre démocratique ne sont certainement pas exempts de dérapages similaires…

Pour information, de nombreux pays en Europe se sont dotés de Pegasus, un logiciel espion développé par NSO, et vendu sous contrôle des autorités israéliennes. Dans cette approche cyberdiplomatique, la solution aura permis à de nombreux pays de surveiller de nombreuses personnalités du monde politique, des affaires et des droits de l’Homme.

Selon Chaim Gelfand, l’avocat général de NSO Group, « la solution aurait été utilisée par « au moins » cinq pays de l’Union européenne ».

Un quantitatif que ne confirme pas la commission d’enquête du Parlement européen créée en mars 2022 pour enquêter sur l’utilisation de Pegasus et des logiciels espions de surveillance équivalents (PEGA) qui a appris que le groupe israélien NSO, qui n’était pas le seul fournisseur, mais le plus important « a vendu Pegasus à 14 gouvernements dans l’UE, en utilisant des licences d’exportation délivrées par le gouvernement israélien ».

N’en déplaise à maitre Chaim Gelfand, on peut raisonnablement douter que ses acquéreurs ne l’aient pas utilisé.

Après Pegasus était venu Quadream, une « nouvelle version » de Pegasus.

Cette société n’a certes pas fait long feu, puisqu’elle a été sommée de cesser ses activités peu après les révélations de Microsoft et de Citizen Lab sur les liens de cette société israélienne avec l’acteur malveillant DEV-0196 (aka KingsPaw) « pour espionner notamment des journalistes et des opposants politiques dans une dizaine de pays ». Il serait intéressant de savoir, outre le Maroc que la société courtisait, quels sont les pays qui s’était portés acquéreurs avant son démantèlement  !

 

Il n’aura échappé à personne que la surveillance des citoyens est de plus en plus importante en terres démocratiques.

La pandémie que nous avons traversée a indéniablement accéléré les choses, la peur engendrant ici et là l’acceptation de méthodes inacceptables de surveillance massive et non ciblée des citoyens, avec parfois même le plébiscite d’une partie des populations prête à sacrifier leurs libertés pour la promesse d’une sécurité illusoire.

 

La phrase la plus déroutante, pour quiconque est attaché aux libertés publiques et aux principes fondamentaux d’une démocratie est celle proférée par ceux qui acceptent toujours plus de surveillance (sans, je le réaffirme de résultats probants) étant : « Cela ne me dérange pas, je n’ai rien à cacher ».

Par analogie devant une censure de la liberté d’expression, ces mêmes personnes diraient-elles de concert : « Cela ne me dérange pas, puisque je n’ai rien à dire » ?

Certes, nous sommes entrés dans l’ère du capitalisme de la surveillance. Si cette assertion est un fait, ce rapport plutôt alarmant du comité consultatif de la Maison-Blanche devrait inciter urgemment les autres démocraties, dont la France, à s’intéresser aux pratiques de leurs propres services de renseignements, et à veiller à ce qu’elles soient conformes et respectueuses d’un État de droit.

 

« La démocratie est fragile comme la dictature. » Bernard Vanhoorden

 

 

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

La démocratie libérale est un régime politique jeune et fragile. Elle commence véritablement à se concrétiser à la fin du XIXe siècle, et n’existe que dans une trentaine de pays dans le monde. Le primat de l’individu constitue son principal pilier qui est d’abord politique : garantir les droits naturels de l’Homme (la vie, la propriété, la liberté, la vie privée, la religion, la sécurité…) et limiter l’action de l’État¹.

La propriété de soi d’abord, la propriété des choses par le travail ensuite, la pensée critique (libre examen), la t... Poursuivre la lecture

Si l’Iowa et le New Hampshire représentent vraiment l’opinion du Parti républicain, alors l’immigration sera le sujet des électeurs en novembre. Et avec la bataille constitutionnelle qui se pointe au Texas, les dialogues de sourds et les attaques fuseront de toute part pour les dix prochains mois.

En effet, las de voir autant « d’illégaux » traverser la frontière au Texas, le gouverneur Greg Abbott a décidé de la fermer à Eagle Pass (sud-ouest de San Antonio) depuis le 10 janvier. Il a utilisé la garde nationale pour installer des barb... Poursuivre la lecture

6
Sauvegarder cet article

 

 

Le 12 décembre dernier s’est tenue une nouvelle édition de l’Assemblée des Idées, un cycle de débats bimestriel organisé à la Galerie des Fêtes de l’Hôtel de Lassay, résidence officielle de la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, qui préside également cette série de colloques.

Après le logement, le rôle de la France à l’international, l’intelligence artificielle ou encore la morale, la chambre basse a accueilli plusieurs dirigeants de médias pour débattre du pluralisme et de l’indépendance ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles