Le sommet Russie-Afrique permet à Moscou d’accroître son influence sur la scène mondiale

L’Afrique offre à la Russie une scène mondiale à partir de laquelle Moscou peut renforcer sa position géostratégique.

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Vladimir Poutine (Crédits World Economic Forum, licence Creative Commons)

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Le sommet Russie-Afrique permet à Moscou d’accroître son influence sur la scène mondiale

Publié le 30 juillet 2023
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Par Joseph Siegle.

Les 43 chefs d’États africains qui s’étaient rendus au premier sommet Russie-Afrique en 2019 avaient grand espoir que la Russie deviendrait une nouvelle source d’investissements et d’échanges pour le continent. Le président russe Vladimir Poutine avait en effet promis de doubler les échanges commerciaux avec la Russie pour atteindre 40 milliards de dollars en cinq ans.

Au lieu de cela, les échanges du continent avec la Russie ont baissé pour atteindre 14 milliards de dollars. Ils demeurent aussi très inégaux, puisque la Russie exporte sept fois plus qu’elle importe d’Afrique et 70 % de ces échanges concernent quatre pays, c’est-à-dire l’Égypte, l’Algérie, le Maroc et l’Afrique du Sud.

Par ailleurs, la Russie n’investit que très peu en Afrique. Les investissements de Moscou ne représentent que 1 % de l’investissement direct étranger (IDE) dans le continent. L’île Maurice est une source plus importante d’IDE pour l’Afrique. De plus, le produit intérieur brut de la Russie a diminué de 2,3 trillions de dollars en 2013, à 1,8 trillion de dollars en 2021, c’est-à-dire à peu près l’équivalent de celui du Mexique.

Malgré ces liens économiques affaiblis, l’influence russe en Afrique s’est rapidement accrue depuis le premier sommet Russie-Afrique en 2019.

La Russie a déployé des troupes sur le continent et est devenue le partenaire extérieur dominant dans quelques pays. Des campagnes de désinformation russes ont été menées au moins dans 16 pays africains, influençant ainsi l’environnement informationnel sur le continent.

Cela s’est largement produit par l’usage de moyens irréguliers, notamment le soutien aux régimes isolés et autocratiques en combinant le déploiement de forces paramilitaires du groupe Wagner, l’ingérence électorale, la désinformation, et des échanges d’armes contre des ressources.

Chacune de ces tactiques déstabilise le pays où elle est déployée.

Comme on pouvait s’y attendre, la moitié de la demi-douzaine de pays où la Russie exerce son influence sont en conflit. La Russie a aussi sapé les opérations de l’ONU dans les pays d’Afrique où Moscou cherche à exercer son influence aggravant ainsi l’instabilité.

En dépit des politiques de plus en plus agressives de la Russie sur le continent, et à l’échelle internationale, environ le même nombre de chefs d’États africains sont attendus au sommet de Saint-Pétersbourg de cette année. Les avantages politiques et financiers que les élites russes et africaines espèrent en retirer sont plus importants que les accords commerciaux annoncés. Ayant suivi de près les interventions destabilisatrices de la Russie en Afrique pendant de nombreuses années, les principaux perdants seront les citoyens ordinaires qui paieront pour ces partenariats exclusifs – à travers des impôts plus élevés, une plus grande instabilité et moins de liberté.

Le sommet Russie-Afrique présente des avantages évidents pour Moscou. Il donne une impression de normalité après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale contre Poutine pour crimes de guerre et l’échec de l’insurrection menée par le leader de Wagner, Evgueni Prigojine.

Si les liens économiques entre la Russie et l’Afrique sont modestes, le continent offre à la Russie une scène mondiale à partir de laquelle Moscou peut renforcer sa position géostratégique. L’Afrique compte plus pour la Russie que la Russie ne compte pour l’Afrique.

 

Une victoire symbolique pour Moscou

Compte tenu des antécédents de la Russie en matière de déstabilisation du continent depuis 2019, on peut se demander pourquoi les dirigeants africains envisageraient de participer au sommet de Saint-Pétersbourg.

La sécurité s’est détériorée dans tous les pays africains où Wagner a été déployé, tandis que les violations des droits de l’Homme ont augmenté. Les communautés locales ont été intimidées et contraintes de quitter leurs foyers là où Wagner a obtenu l’accès à l’exploitation minière, annexant de fait ces territoires.

Moscou s’attire les faveurs de certains de ces régimes en leur offrant une protection contre les sanctions internationales en cas de violation des droits de l’Homme ou de pratiques antidémocratiques. Sans surprise, les pays africains où la Russie est la plus impliquée ont une moyenne démocratique de 19 points des scores médians de démocratie. La moyenne démocratique est de 51 sur une échelle de 100 points de Freedom House sur une échelle de 100 points, selon le classement de Freedom House.

Le sommet est l’occasion de montrer que tout se déroule normalement pour la Russie, qu’elle n’est pas un paria, mais bénéficie de l’approbation implicite de ses violations du droit international par les chefs d’États africains.

La Russie utilisera probablement le sommet de cette année pour prétendre à tort que les sanctions occidentales limitent les exportations de denrées alimentaires et d’engrais russes (et ukrainiens) vers l’Afrique, détournant ainsi l’attention de la responsabilité de la Russie dans le déclenchement de la perturbation de l’approvisionnement mondial en céréales.

Le sommet met en évidence l’importance croissante de l’Afrique dans la politique étrangère russe. L’Afrique reste le continent le plus favorable à l’engagement russe. C’est également le continent le moins enclin à critiquer Moscou pour son annexion des territoires ukrainiens. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergey Lavrov, a effectué au moins huit visites en Afrique depuis que la Russie a lancé son attaque en mars 2022.

 

Avantages douteux pour l’Afrique

Faire des investissements anémiques, normaliser l’autocratie, entretenir l’instabilité, et intervenir dans les politiques intérieures africaines ne semblent pas une stratégie gagnante pour établir un partenariat à long terme.

C’est une chose d’adopter une position de non-alignement sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui peut sembler être un conflit lointain. Mais pourquoi les dirigeants africains continueraient-ils à s’engager auprès d’un acteur étranger qui s’emploie activement à saper la stabilité du continent ?

L’instabilité provoquée par les tactiques irrégulières de la Russie menace de déborder les frontières et crée des crises de souveraineté sur le continent.

La remise en cause de l’État de droit nuit à la réputation naissante du continent en tant que destination fiable pour les investissements et les partenariats internationaux.

Les opérations d’influence de la Russie visent presque toujours à aider les régimes en place (généralement autocratiques) à conserver le pouvoir. Des transactions opaques dans le domaine de l’exploitation minière et de l’armement font souvent partie du package. Les dirigeants africains qui bénéficient de ces tactiques accueillent favorablement les avances de Moscou.

D’autres dirigeants africains considèrent l’engagement avec la Russie comme une tactique visant à obtenir davantage de soutien de la part de l’Occident.

Une minorité peut naïvement considérer leur participation comme une véritable opportunité pour obtenir davantage d’investissements russes ou d’encourager un engagement plus constructif de la part de la Russie. Les annonces attendues concernant des accords sur les mines, l’énergie, les céréales, les transports, le numérique lors du sommet serviront de justification à tous les participants. Même si ces projets ne se concrétisent jamais.

 

Réalité des faits

La réalité est que la stratégie russe de cooptation des élites creuse le fossé entre les intérêts des dirigeants africains et ceux des citoyens. Les citoyens disent régulièrement qu’ils veulent davantage de démocratie, la création d’emplois et le respect de l’État de droit. Les engagements de la Russie sur le continent compromettent ces trois aspects.

Le fossé des intérêts entre les dirigeants africains et les citoyens met en évidence une autre conclusion du sommet : la plupart des dirigeants politiques africains ne plaideront pas en faveur des réformes sur les priorités des citoyens en termes d’amélioration de la gouvernance, du développement et de la sécurité. Ce sont plutôt la société civile africaine, les médias et les systèmes judiciaires indépendants qui devront jouer un rôle moteur dans ce domaine.

Moscou ne manquera pas d’utiliser le rassemblement de cette année à Saint-Petersbourg pour évoquer les intérêts communs de la Russie et de l’Afrique. La question clé que les citoyens africains doivent se poser est la suivante : à qui profitent-ils réellement ?The Conversation

Joseph Siegle, Director of Research, Africa Center for Strategic Studies, University of Maryland

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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  • Ca n’est pas la Russie qui gagne de l’influence, ce sont les Occidentaux qui gâchent soigneusement toute occasion de maintenir ou renforcer la leur.

    • La 🇨🇵 peut-elle recourir aux méthodes de Poutine pour le contrer ? La réponse est dans la question.
      Plus que jamais il incombera aux peuples oppressés, russe compris, de se débarrasser de ce genre d’engeance.
      La 🇲🇫 et ses concepts de liberté, de démocratie et droits de l’homme sont évidemment inaudibles dans un contexte de propagande poutinienne exacerbée !🤔

  • Un trillion représente un milliard de milliards soit 1 million à la puissance 3 dans les pays utilisant l’échelle dite courte dont la France fait partie. (ref : https://fr.wikipedia.org/wiki/Trillion).
    Dans les pays anglo-saxons qui, utilisent l’échelle longue, le billion vaut (seulement) un millier de milliards, mais « milliard » n’existe pas en anglais, et la traduction du français « milliard » est « billion » en anglais.

    • Donc rien à y comprendre. Pour les octets, on parle en mega- giga- tera- peta-, pourquoi faut-il que pour les dollars ou les euros, on s’y refuse ?

  • C’est surtout la France qui est la grande perdante de ces évènements en se faisant éjecter de tous ces pays.
    Quand on voit le, Mali abandonner le français comme langue nationale, on mesure l’atterrante nullité de la politique étrangère de la France ( le fameux domaine réservé) qui n’a plus qu’un leitmotiv: obéir aux intérêts américains.

  • Les actions de la Russie ne ne sont jamais qu’une pâle copie de celles de la CIA dans le monde… Les politiques des pays africains sont bien plus rejet des USA qu’approbation de la Russie.

  • Le fait qu’il y ait en 2023 2 fois moins de chefs d’états africains qu’en 2019 ne plaide pas franchement pour un rayonnement accru de la Russie en Afrique.
    Poutine fait en Afrique ce qu’il fait depuis 20 ans en Fédération de Russie :
    Fomenter des troubles, les amplifier puis intervenir militairement pour annexer complètement ou partiellement les territoires convoités et y placer les dirigeants qui lui conviennent.

  • Factuellement, l’article est correct et met surtout en lumière que le problème n°1 de l’Afrique est la mauvaise gouvernance, avec le divorce entre les intérêts des dirigeants au pouvoir et ceux de leurs malheureux peuples : il est facile pour les Russes d’en jouer (et pour la Chine aussi …). Mais en tant qu’occidentaux, posons-nous les bonnes questions : la gouvernance des démocraties occidentales soi-disant « libérales » est-elle au-dessus de tout reproche ? Chez nous aussi, les intérêts des classes politiques au pouvoir ne prennent-ils pas souvent le pas sur ceux des populations ? n’avons-nous pas créé une caste supra-nationale (ONU, UE , ONG …) qui nourrit grassement les « experts » de « l’aide au développement », aide qui tout en faisant la leçon aux pays Africains, tombe souvent à côté des vrais besoins de ces peuples … Ne prenons pour exemple que de leur interdire d’exploiter leurs propres ressources minérales pour produire l’électricité qui pourrait être à la base de leur développement en leur recommandant les coûteuses lubies écolos (éoliennes et panneaux solaires), de les mettre à l’écart de la « révolution verte » (tracteurs, engrais, ogm …) qui a permis de nourrir l’Asie en leur recommandant une agroécologie foireuse … ?

  • Il est facile de convaincre à court terme les africains, qui sont majoritairement d’un naturel naïf et peu instruits, par la propagande, ce que la Russie maîtrise parfaitement, notamment par les réseaux sociaux. Mais on ne peut que constater l’échec de la diplomatie française, malgré un chef d’état tellement intelligent, dont c’est un des domaines réservés… Décidément, aucun domaine n’échappe à la faillite française menée de main de maître !

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