Les quatre impacts disruptifs de l’IA : l’exemple des avocats

Il est important pour les professions de savoir maîtriser l’IA car cette technologie va les impacter.

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Les quatre impacts disruptifs de l’IA : l’exemple des avocats

Publié le 22 juillet 2023
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Il est toujours fascinant de vivre l’émergence d’une technologie véritablement nouvelle et d’essayer d’en imaginer les impacts possibles. L’exercice est périlleux et nous nous sommes souvent trompés sur ceux-ci. Les optimistes tendent à les exagérer, les pessimistes à les minimiser. Sans compter que les usages d’une technologie sont très souvent surprenants, loin de ceux imaginés au début, y compris par ses concepteurs. Avec la prudence que doit conseiller l’Histoire, on peut néanmoins anticiper quatre impacts disruptifs de l’IA générative comme ChatGPT sur certaines professions particulièrement sensibles à l’automatisation, comme celle des avocats.

Steven Schwartz est un avocat devenu célèbre bien malgré lui.
Se voulant pionnier dans sa profession, il a récemment défrayé la chronique pour avoir préparé un plaidoyer qu’il a rédigé en utilisant ChatGPT, lequel n’a pas hésité à créer le document avec des précédents imaginaires et des citations erronées.
Ce n’est pas la première fois dans l’Histoire que les premières utilisations d’une nouvelle technologie sont maladroites et suscitent les moqueries. ChatGPT n’a pas échappé à cette règle qui a suscité un enthousiasme délirant et peu raisonnable.

Nous avons tous eu l’occasion de le tester et parfois d’obtenir des réponses embarrassantes, franchement fausses ou fantaisistes. Ces faiblesses conduisent souvent à condamner la technologie et à conclure que les méthodes traditionnelles restent meilleures. Et pourtant, c’est une mauvaise leçon à tirer : c’est comme si on condamnait l’imprimerie pour le seul motif qu’elle a, dès ses débuts, servi à propager des mensonges.
Car il en est de l’IA comme de toute nouvelle technologie : elle souffre de nombreuses imperfections à ses débuts, elle est balbutiante. Elle marque un vrai progrès sur certains critères, et une performance médiocre sur beaucoup d’autres. Il ne faut pas les juger sur ce qu’elles sont à leurs débuts, mais sur ce qu’elles peuvent devenir en s’améliorant, ce qui est évidemment difficile. Les premières automobiles étaient peu fiables, et suscitaient les moqueries des cavaliers qui, eux, dormiraient chez eux le soir, mais elles se sont améliorées avec le temps, devenant plus fiables, plus simples et moins chères.

 

Quatre impacts sur certaines professions

Une chose est sûre : blagues faciles à part, l’IA générative aura un impact sur toutes les professions qui s’appuient massivement sur l’examen des données et documents, comme les avocats.

Cet impact sera de quatre ordres.

Premièrement, elle permettra d’automatiser la recherche.

Aujourd’hui, les cabinets d’avocats comptent dans leurs rangs des armées d’employés juniors dont la tâche principale consiste à rechercher des documents pour les analyser et répondre aux questions posées par les associés en charge d’un dossier. L’émergence des bases de données à partir des années 80 avait déjà constitué une première vague d’automatisation, en facilitant l’accès aux données comme la jurisprudence. L’IA constitue la seconde vague qui facilite l’analyse et la réponse aux questions. Elle entraînera la réduction massive du nombre de personnes aujourd’hui nécessaires pour ces tâches.

Deuxièmement, l’IA générative va avoir un impact sur le modèle d’affaires des cabinets.

Celui-ci consiste à payer cette armée de juniors moins qu’ils ne sont facturés aux clients. Si c’est l’associé qui est mis en avant dans la mission, la réalité est que la majorité du travail est effectuée par les juniors au travers de ce travail d’analyse. C’est un vieux truc du métier, que l’on retrouve dans le conseil, que de “facturer du partner et employer du junior”, en se nourrissant de la différence. Avec l’automatisation, ce recours massif aux juniors ne sera plus nécessaire, et ne sera plus acceptable pour les clients. C’est tout le modèle d’affaires reposant sur une facturation différenciée qui est à revoir.

Troisièmement, l’automatisation réduira l’avantage des gros cabinets.

La technologie sera de plus en plus facilement utilisable, et de moins en moins onéreuse.

C’est une trajectoire que l’on retrouve tout le temps en innovation. Il y a vingt ans, créer un site Web sophistiqué était compliqué et cher. Cela impliquait un gros projet réservé aux plus grandes entreprises. Aujourd’hui, n’importe qui peut se configurer un tel site en quelques minutes. Toute technologie évolue vers quelque chose de plus simple et de moins cher. L’armée de juniors devenue inutile, une petite firme aura accès à la même information, et disposera de la même capacité d’analyse qu’une grande. La technologie est le grand égalisateur.

Quatrièmement, l’automatisation et la simplification de l’IA générative rendront possible l’intégration de services par le client

Elles réduiront ainsi la nécessité de faire appel à des cabinets extérieurs.

Là encore, il s’agit d’un phénomène courant sur une trajectoire technologique. Pour prendre un exemple entre mille, n’importe qui peut aujourd’hui produire des vidéos sophistiquées qui auraient nécessité une équipe professionnelle il y a trente ans.

Sur certains dossiers de pointe, il restera nécessaire de faire appel à des spécialistes, mais pour la plupart des cas, la technologie sera suffisante pour que les clients le fassent eux-mêmes. C’est la dimension expansive de la technologie : elle abaisse la barrière à l’entrée et ouvre des possibilités aux non spécialistes. Elle permet la masse. Elle est démocratique.

Il est difficile à ce stade de dire si cela réduira l’appel aux cabinets existants (substitution) ou si cela consistera simplement à ce que beaucoup d’entreprises utilisent des services automatisés alors qu’elles n’auraient sinon pas fait appel à des cabinets (augmentation), mais l’explosion se produira.

 

Le facteur temps

Il est important de rappeler qu’on parle là de tendances.

Historiquement, encore une fois, l’impact d’une nouvelle technologie sur une profession ou un secteur met du temps à se faire réellement sentir, notamment parce qu’encore une fois, la technologie met du temps avant d’être au point, et qu’il faut aussi du temps pour la maîtriser et découvrir où elle est performante et où elle ne l’est pas. C’est la période de socialisation de la technologie.

Il faudra donc aussi du temps pour que l’IA générative ait un impact, mais elle en aura, cela ne fait aucun doute, et celui-ci sera plus précoce dans certaines professions que dans d’autres. Cela veut dire a minima qu’il est important pour ces professions de savoir la maîtriser, comme il est devenu important il y a quarante ans pour un cadre de savoir maîtriser un ordinateur.

C’est un enjeu crucial aujourd’hui pour tous les cabinets d’avocats, pour leurs clients mais aussi pour les étudiants en droit. Ils peuvent ignorer l’IA mais l’IA, elle, ne les ignorera pas.

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  • Pourquoi alors faire appel à un cabinet d’avocats, s’il se contente de ressortir des poncifs à la ChatGPT ? Le client attend de recevoir une valeur ajoutée, un avantage compétitif, qui s’appliquera à son cas et pas à ses adversaires. Moi, je ne paierais pas pour des milliers de pages mi-chèvre mi-chou qui ne garantiront rien à aucune des parties.

    • Vous faites semblant de croire que toutes les demandes formulées à un avocat (ou à bien d’autres spécialistes en vérité) demandent plus qu’une réponse simple à faible valeur ajoutée.

      • Je ne paie que pour une expertise que je ne peux pas rassembler moi-même avec l’aide d’une IA généraliste (ou d’un moteur de recherches). Je peux encore taper mes requêtes et lire seul mes réponses, et si l' »expert » me demande de le payer d’avance en désactivant mon bloqueur de pubs, j’en trouve un autre ou je reformule ma question jusqu’à être sûr que mon argent ne sera pas gaspillé pour une réponse sans valeur ajoutée.
        Ceci dit, la conséquence sera sans doute une obligation légale de prendre et payer un avocat au tarif syndical afin d’éviter la disparition de la profession…

        • C’est déjà obligatoire de prendre avocat devant TGI et pire que ça, j’en connaîs qui ont perdu alors qu’ils auraient dû gagner …

        • Victoire ! Je viens de découvrir, en la personne de notre ami MichelO, le dernier spécimen vivant d’homo œconomicus. A moi le Nobel !
          Allons, voilà que vous inférer de votre cas personnel (ne serait-ce pas une vantardise bien imprudente ?) une règle générale de comportement dont le 1er vendeur venu vous trouvera des douzaines de contre-exemples.

          • Tout bon Normand préfère faire lui-même le faux témoignage à payer l’avocat pour s’en charger. Les sept commandements du Normand :
            Dieu en vain jurer tu pourras,
            Pour affirmer un faux serment.
            Père et mère morts désireras,
            Pour avoir leur bien promptement.
            L’argent d’autrui n’épargneras,
            Ni son bien aucunement.
            Faux témoignage tu feras
            Et maintiendras adroitement.
            L’oeuvre de la main n’oublieras,
            Pour attraper incessamment.
            Grand favori tu te feras,
            Pour te conserver longuement.
            Le bien d’autrui tu ne rendras,
            Mais retiendras à ton escient.

  • Et l’ oralité des procès aussi avec Chat GPT ?

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