Discriminations : quel pouvoir pour le juge ?

Le juge peut chercher l’inconscient de la personne suspectée d’avoir commis une discrimination. Une situation qui soulève des questions.

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Discriminations : quel pouvoir pour le juge ?

Publié le 15 juillet 2023
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Les discriminations sont considérées en France comme des injustices lorsqu’elles sont fondées sur l’un des critères précisés par l’article 225-1 du Code pénal :

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques [ou morales] sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée. »

Il y a donc une vingtaine de critères de discrimination interdite, qu’il est concrètement impossible de respecter tous, chacun exerçant en outre une influence sur les autres.

Le droit précise « un point important de cette réglementation : l’article 4 de la loi n°2008-496 précitée. Quand une personne s’estimant victime d’une inégalité de traitement introduit un recours contentieux au civil, si une simple présomption de discrimination est établie dans ce sens, il appartient à la personne ou à l’autorité mise en cause de fournir la preuve que ses motifs étaient légitimes » .

La démarche prévue par la loi met donc à la charge de l’accusé la preuve de la non-discrimination, et le risque de le condamner par erreur est par suite relativement élevé.

S’il est égal à 5 %, la probabilité de reconnaître son innocence est égale à 95 % (= 1 – 10 %). Lorsque vingt personnes déclenchent un recours, la probabilité qu’à chaque fois l’innocence soit reconnue lorsqu’elle est vraie est de 0,9520 = 36 %, et la probabilité de condamner une entreprise alors qu’elle est innocente est de 64 %.

L’erreur judiciaire devient probable.

Le pouvoir d’appréciation du juge est finalement le seul moyen d’éviter une injustice.

L’État lui a ouvert une possibilité étonnante, celle d’explorer l’inconscient d’un discriminateur supposé :

« La démonstration de l’intention discriminatoire est d’une redoutable complexité, tant la prise en compte des préjugés et stéréotypes est enfouie dans d’autres considérations que les auteurs des décisions mettent en avant, plus ou moins sincèrement. C’est pourquoi les directives européennes sur l’égalité de traitement et leur transposition dans le droit français ont ouvert la possibilité de retenir une qualification de discrimination indépendamment de l’intention discriminatoire. Il est cependant difficile de mettre en évidence un phénomène qui opère pour l’essentiel dans le secret des consciences ou, plus encore, dans l’impensé de l’inconscient et, a fortiori, de le mesurer. »

La vérité est recherchée dans l’impensé de l’inconscient de l’accusé. La décision du juge dépend de ce qu’il croit que l’accusé a pensé sans le savoir. Et cette décision fait évidemment intervenir l’impensé de l’inconscient du juge : on croit rêver ! C’était la démarche de l’Inquisition au Moyen Âge.

Un exemple d’une telle absurdité est donné, dans un autre contexte, par la condamnation en cour d’appel de Bruno Gollnish en 2008.

Dans les attendus du jugement, on lit en effet :

« Attendu qu’en réalité, ainsi que l’a relevé justement le tribunal, les précautions oratoires utilisées par Bruno Gollnish (“moi, je ne nie pas les chambres à gaz homicides, mais… ”) relèvent purement et simplement, derrière un habillage feutré et subtil, d’un procédé de dissimulation ; que l’essentiel se trouve derrière le “mais”…».

On lit plus loin :

« Sa contestation de l’existence de crimes contre l’humanité est présentée de façon dubitative, déguisée, ou par voie d’insinuation. »

Il faut connaître l’impensé de l’inconscient de Bruno Gollnish pour imaginer ce qu’il y a derrière le mais et ce qu’il insinue. Gollnish a été condamné pour ce que le juge croit qu’il a pensé, non pour ce qu’il a dit. Et cette décision fait évidemment intervenir l’impensé de l’inconscient du juge. C’est donc une confrontation entre deux impensés de l’inconscient ! Heureusement, ce jugement du 28 février 2008 de la Cour d’appel de Lyon a été cassé sans renvoi par la Cour de cassation en 2009.

Même en faisant appel à l’intelligence artificielle pour choisir un salarié, l’employeur risque d’être condamné pour discrimination indirecte, parce que le choix de l’IA peut être une discrimination indirecte, c’est-à-dire sans que les critères interdits ne figurent dans sa base de données.

Par exemple, une discrimination par la consommation de tabac et d’alcool revient à une discrimination sexuelle. Comment le juge va-t-il pénétrer l’impensé de l’inconscient d’une intelligence artificielle qui applique des algorithmes compliqués à un ensemble considérable de données ? La seule solution serait d’utiliser une autre intelligence artificielle pour vérifier le choix de la première, mais ce serait fonder une décision de justice sur le débat contradictoire de deux intelligences artificielles !

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  • Conclusion bien observée… Donc supprimons avocats, juges, et autres officiers de Justice et remplaçons-les par l’ IA…

  • C’est pourquoi les multi récidivistes ne sont pas condamnés : leur inconscient leur disait « pas bien » alors que leur conscient leur disait « bien ». Nos juges, de génies de la lecture de l’inconscient de nos petits voyous ! Heureusement qu’ils sont là.

  • L’impensé de l’inconscient… On nous rejoue Inception ?
    Plus prosaïquement, Grand-mère disait :
    – Il n’y a pas de fumée sans feu.
    Elle douterait comme moi que le juge aille planter ses crocs dans l’inconscient de l’accusé. D’ailleurs, comme moi, elle se méfiait des psyK.
    Elle était plutôt du genre à penser que le juge allait jeter un oeil au CV du gus. Etait-il coutumier du fait ? Pouvait-il se vanter, à sa décharge, de mal maîtriser la langue française ?
    Pour ma part, je craindrais qu’une femme qui me presserait de connaître mon avis sur sa robe ne m’en mette une si je lui répliquais :
    – elle vous va bien MAIS…
    Après tout, les juges sont des femmes comme les autres. La robe, sans doute.

  • Certains prétendent qu’on ne peut plus rien dire tant est vaste le champ répressif des lois contre la discrimination.
    C’est parfaitement faux.
    Aujourd’hui, on peut dégoiser des injures sur les mâles blancs hétérosexuels de plus de 50 ans. Sans crainte aucune.

    • On peut aussi dégoiser des injures sur les femmes blondes hétérosexuelles de moins de 50 ans, dès lors qu’elles sont d’essstremedrouaaate.

  • Alors que seule la discrimination des citoyens devant la loi est anticonstitutionnelle.. ( alors que la loi traite homme et femme de façon distincte. mais passons)

    eh oui le racisme individuel l’homophobie etc ne devraient pas être châtiés par la loi..

    discriminer est ce qu’on fait ça s’appelle choisir
    et c’est toujours arbitraire..sinon ce n’ets pas vraiment un choix à faire..

    • 1. Discriminer ne veut pas dire choisir. Ne pas confondre la méthode et l’objectif.
      2. L’égalité en droit est un principe de notre constitution. On ne peut donc refuser un logement ou un job à un citoyen parce qu’il est noir.
      3. Rien ne vous interdit d’être rac.ste ou hom.phobe. Mais si voulez vivre heureux, restez caché.

      • mais choisir implique de discriminer.

      • « Discriminer ne veut pas dire choisir » ! C’est là que le bât blesse. Discriminer veut dire séparer, mettre à part. Après avoir « discriminé » sur des critères qu’on a pensé objectifs, cela n’amène-t-il pas à devoir ensuite prendre ceci ou à ne pas prendre cela ? L’inégalité fait partie de notre condition et le combat pour l’égalité parfaite est une absurdité. Même si théoriquement c’est considéré comme une aide pour des jugements, on devra toujours choisir si égales que les choses nous paraissent-elle. Les motifs du choix d’une personne, par exemple, sont en réalité transcendants à ce choix, comme l’inclination, la motivation, la moralité, l’attirance, l’intuition… La discrimination apparaît donc s’opposer aux sentiments intimes de l’Homme, et c’est pourtant l’enjeu de notre existence d’avoir à gérer ces différences. On trouvera souvent des objectifs totalitaires pour vouloir corriger cette nature qui leur déplaît !

        • C’est justement une des caractéristiques du totalitarisme que d’évincer par la discrimination tout ceux qui s’écartent de la « norme » imposée.
          Les lois contre les discriminations dans les démocraties libérales ne disent qu’une chose après : – tous les citoyens sont égaux en droit, c’est : – il y a des traits des individus (comme le sexe ou la couleur de peau) qui sont hors-jeu quand vous devez choisir.

  • Les commentaires sont fermés.

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