La Cour suprême sonne la fin de la discrimination positive : et la France ?

La Cour suprême des États-Unis a frappé un grand coup contre la discrimination positive, interdisant à Harvard et à l’université de Caroline du Nord d’utiliser la race comme critère d’admission. Cette décision doit nous inviter à questionner l’avenir de la discrimination positive en France.

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La Cour suprême sonne la fin de la discrimination positive : et la France ?

Publié le 7 juillet 2023
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La Cour suprême des États-Unis vient de porter un rude coup à la discrimination positive. Dans sa décision du 29 juin 2023, elle a considéré que les universités de Harvard (privée) et de Caroline du Nord (publique) ne sont pas habilitées à utiliser la race dans les procédures d’admission de leurs étudiants.

Cette décision marque la fin du cycle débuté dans les années 1960 à la fin de la ségrégation raciale. Elle porte un rude coup à l’affirmative action, cette politique qui a pourtant été largement cautionnée par la Cour suprême, avant d’être désormais désavouée.

Faut-il voir dans ce revirement l’expression du conservatisme ou du simple bon sens ? La leçon doit être méditée en France.

 

L’affirmative action, une politique américaine

La politique d’affirmative action doit beaucoup au contexte nord-américain. Elle découle du sentiment de culpabilité par rapport à l’esclavage et à la ségrégation raciale (qui a été autorisée par la Cour suprême en 1896). Il faut aussi tenir compte des calculs électoraux du Parti démocrate qui a progressivement délaissé son électorat populaire traditionnel pour se tourner vers d’autres électorats, notamment les minorités raciales.

Si la race a été aussi facilement acceptée en tant que paramètre institutionnel, c’est également parce que, aux États-Unis, la race a été abondamment utilisée dans la législation et les politiques publiques. En somme, les esprits y étaient habitués. Placée au cœur de la ségrégation, la race est apparue comme un critère naturel pour lutter contre la ségrégation.

C’est la raison pour laquelle l’affirmative action, devenu l’emblème du progressisme, a été très largement cautionnée par la Cour suprême. Certes, les juges ont refusé les quotas par race, sans doute en raison du souvenir honteux d’avoir vu Harvard et d’autres universités plafonner le nombre de juifs durant l’entre-deux guerres, mais ils ont autorisé les universités à tenir compte de la race pour pondérer les candidatures en fonction de ce critère.

Le résultat n’est pas très glorieux : alors qu’auparavant la race privilégiait les Blancs, voici qu’en guise de compensation elle accorde un privilège aux Noirs et aux Hispaniques. Chassée par la porte, la race est revenue par la fenêtre.

Il est vrai toutefois qu’aux États-Unis, la plupart des universités ont renoncé à recourir à la race pour la sélection de leurs étudiants. En outre, la discrimination positive est désormais impopulaire dans l’opinion, y compris chez les Démocrates.

 

Une décision logique

Dans sa décision du 29 juin, la Cour suprême a considéré que la procédure utilisée par les universités de Harvard et Caroline du Nord est inacceptable : non seulement elle est contraire au Quatorzième amendement (1868) sur l’égale protection devant la loi (Equal Protection Clause) mais de plus, elle remet en cause la volonté de démanteler la ségrégation raciale, qui s’est notamment manifestée par le célèbre arrêt Brown vs. Board of Éducation (1965).

Indirectement, les juges sont sévères avec leurs prédécesseurs. Ils considèrent que la jurisprudence qui a laissé s’instaurer des discriminations en fonction de la race est tout aussi irrecevable que la ségrégation elle-même. « Éliminer la discrimination raciale signifie éliminer entièrement celle-ci », clament-ils.

La Cour achève sa démonstration en disant que les procédures de discrimination positive ne s’appuient pas sur des éléments objectifs et véhiculent même des stéréotypes raciaux. Elle accuse les universités incriminées de n’avoir pas fait la preuve que la race affecte la vie des individus.

Toutes ces observations sont pertinentes. Comment évaluer la race ? Comment savoir quelle situation personnelle recouvre la couleur de peau ? C’est un peu comme lorsqu’il est dit que si les Noirs américains pratiquent peu la natation, c’est parce que l’accès aux piscines publiques leur a été longtemps interdit. Un tel raisonnement laisse sceptique car, jusqu’à preuve du contraire, l’apprentissage de la natation ne s’effectue pas sur plusieurs générations. Le critère social est ici certainement plus explicatif que le critère historico-racial.

 

Une politique inconnue en France 

L’affirmative action n’a jamais été bien vue en France. Même si cette politique a pu susciter une certaine sympathie, elle n’a jamais fait l’objet d’un enthousiasme dithyrambique. Rares sont ceux qui ont plaidé pour sa transposition en France.

La discrimination positive à la française, instaurée dans l’enseignement à travers les ZEP (1981), s’est contentée de recourir à des critères sociaux ou géographiques, éventuellement nationaux (la proportion d’élèves étrangers). Cette politique ne manque pas d’hypocrisie car tout le monde sait pertinemment que le classement en ZEP dépend surtout de la proportion d’enfants issus de l’immigration, mais elle permet de faire une entorse à l’égalité républicaine sans provoquer des réactions de rejet.

On comprend alors que la décision la décision de la Cour suprême n’ait pas déclenché une vague de critiques comparable à celle qui a accompagné l’an dernier la décision sur l’avortement. Peu de commentaires sont comparables à ceux que l’on rencontre par exemple dans la presse canadienne.

Globalement, la presse française s’est contentée de présenter factuellement la décision des juges.

Si tel commentateur déplore une « décision redoutée » qui met un terme « au système qui permettait de garantir une certaine diversité dans les facs du pays », et si tel autre estime que la Cour « continue de dérouler son programme réactionnaire », le ton général est resté très modéré, et même franchement approbateur pour la presse de droite, et certains universitaires ont fait part de leur satisfaction.

 

Le progressisme est-il devenu raciste ?

On peut tirer deux remarques.

La première consiste à se demander si cette relative neutralité des commentaires ne va pas peser sur la perception de la Cour suprême américaine.

Depuis les dernières nominations de l’ère Trump, celle-ci est en effet supposée être l’antre du conservatisme. Pourtant, la suppression de la discrimination positive paraît frappée du coin du bon sens. Se pourrait-il dès lors que la Cour suprême soit moins idéologique que l’affirment ses adversaires ? Pire : se pourrait-il que les vrais progressistes ne soient pas ceux que l’on croît ?

À tout le moins, puisqu’il revient à une cour supposément conservatrice d’avoir mis un terme à une politique qui, quoiqu’on en dise, était d’inspiration raciale, créant des privilèges pour certains groupes et des désavantages pour d’autres (en l’occurrence les Asiatiques, qui ont été à l’origine du recours), ne doit-on pas avoir des doutes sur le sens du progressisme actuel ? Si être progressiste signifie défendre une politique raciale, n’est-il pas plus glorieux de se dire conservateur ?

 

Et la discrimination positive en France ? 

En second lieu, la décision de la Cour suprême invite incidemment à s’interroger sur la situation en France. Car paradoxalement, c’est au moment où la discrimination positive est en voie d’abrogation aux États-Unis qu’elle paraît gagner en légitimité en France.

On sait en effet que la notion de mérite subit une offensive sans précédent. Comme jadis aux Etats-Unis, les concours anonymes sont accusés de discriminer les minorités. La culture générale est particulièrement visée. Les classes préparatoires et les Grandes écoles annoncent régulièrement vouloir diversifier leur public, ce qui signifie avoir plus d’indulgence pour les filles ou les descendants d’immigrés. Il est aussi question d’avoir une haute fonction publique « plus représentative ».

Par un hasard de calendrier, le verdict des juges américains est tombé au moment où le gouvernement français a décidé d’accorder un privilège aux étudiants boursiers : désormais, en cas de redoublement en classe préparatoire, ceux-ci pourront bénéficier de points supplémentaires pour accéder aux écoles d’ingénieurs. Le raisonnement est étrange : pourquoi un échec (le redoublement) devrait-il être récompensé ?

Une forme de discrimination positive s’impose désormais subrepticement. Il y a alors une contradiction abyssale entre, d’une part, un discours officiel qui dénonce chaque jour les discriminations dont sont supposés victimes certains groupes et, d’autre part, la valorisation de la discrimination positive.

Il faudrait pourtant tirer les leçons de ce qui vient de se passer aux Etats-Unis. L’expérience américaine nous montre que la discrimination positive porte atteinte aux principes fondamentaux d’un État de droit et qu’elle génère un vif ressentiment dans la population. On ne voit pas pourquoi il en irait différemment en France, où nous sommes bien placés pour savoir que les privilèges peuvent déboucher sur des révoltes.

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  • Il faudrait quand même mentionner que c’est sur base d’une plainte d’étudiants Asio-Américains que la Cour Suprême a tranché, les résultats des tests d’entrée montrant qu’ils étaient les plus pénalisés par « l’affirmative action » et certains – blancs – ont attisé ce sentiment, leurs propres plaintes ayant, jusque là, échoué.

    • Ben oui, la discrimination n’était pas positive pour tout le monde.
      Le système a aussi péri de sa complexité et de son incohérence.
      Et pas seulement parce que les conservateurs seraient plus progressistes que les progressistes.

  • Grace à la croissance démographique de certains groupes minoritaires, les différences raciales et ethniques pourraient s’effacer, enfin se sont les experts qui estimes cela, ce qui rendrait la discrimination positive superflu, cela se passe aux USA, en France, il appelle cela le numerus clausus, apertus

  • « privilège aux étudiants boursiers : désormais, en cas de redoublement en classe préparatoire, ceux-ci pourront bénéficier de points supplémentaires pour accéder aux écoles d’ingénieurs. »
    Cette décision fait suite à bien d’autres du même genre visant depuis des décennies à réduire le niveau de compétence des formations les plus sélectives. On en comprend bien l’intérêt pour la clique dirigeante qui se sait parfaitement incapable d’affronter intellectuellement les têtes les mieux faites.

  • La discrimination positive, c’est bien, mais j’attends toujours la valeur ajoutée.

  • Vous devriez voir la réaction au Québec à la suite de ce jugement. Sur dix journalistes ou chroniqueurs œuvrant au sein des mass médias, neuf déchirent leur chemise. Tout particulièrement Radio-Canada, une chaîne publique très largement subventionnée par l’État qui s’est littéralement convertie au multiculturalisme, au wokisme et au discours identitaire victimaire.

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