Symboles nazis : les Ukrainiens ne doivent pas scier la branche sur laquelle ils sont assis

De l’invasion nazie à la guerre actuelle, l’Ukraine a connu une histoire tourmentée. L’émergence de symboles nazis dans l’armée soulève des questions sur le passé et l’avenir du pays.

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Symboles nazis : les Ukrainiens ne doivent pas scier la branche sur laquelle ils sont assis

Publié le 3 juillet 2023
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On le sait, Vladimir Poutine a tenté de justifier l’invasion de l’Ukraine en février 2022 en disant vouloir « dénazifier » le pays.

Le New York Times vient à cet égard de faire paraître un article sur l’existence, gênante pour l’OTAN et les responsables politiques occidentaux ayant apporté leur soutien à Kiev, de symboles nazis visibles au sein d’une partie de l’armée ukrainienne depuis le début du conflit. Certaines photos montrant des soldats ukrainiens s’affichant ainsi ont même été postées sur le compte Twitter du ministère ukrainien de la Défense (où l’on pouvait voir le Totenkopf ou « tête de mort », insigne porté par les gardes des camps de concentration) ou encore celui de l’OTAN. (des images retirées par la suite)

 

Les origines historiques du nationalisme ukrainien

Comme nous l’apprend un épisode de la série « Factu » du Figaro Live, le recours à cette symbolique nazie à l’intérieur d’une partie de l’armée ukrainienne remonte au moins à l’année 2014. Le régiment Azov (qui comprend un certain nombre de sympathisants nazis à partir desquels se serait ravivé un mouvement nationaliste) avait alors repris la ville séparatiste prorusse de Marioupol (le 13 juin), à la suite de la révolution de Maïdan, en février de la même année, et s’était ensuite retrouvé dans la Garde nationale ukrainienne.

Mais l’on peut même remonter plus loin dans l’histoire, à la Deuxième Guerre mondiale.

L’Ukraine, qui avait subi la dékoulakisation et connu la grande famine de 1932-1933, provoquée par Staline qui causa ainsi la mort d’au moins 4 millions d’habitants, a initialement vu les nazis – qui avaient envahi le pays dans le cadre de l’opération Barbarossa – comme des « libérateurs » du stalinisme. De plus, Stepan Bandera (1909-1959), nationaliste militant, qui deviendra l’un des dirigeants de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) créée en 1942, prit la décision (évidemment controversée) de collaborer avec l’Allemagne nazie afin de repousser les Soviétiques, non seulement hostiles à l’indépendance de l’Ukraine, mais qui avaient même décimé son peuple quelques années plus tôt.

En fait, ni l’Allemagne nazie ni l’Union soviétique ne voulaient d’une Ukraine indépendante.

Stepan Bandera, qui avait proclamé la déclaration d’indépendance de l’Ukraine le 30 juin 1941, fut arrêté cinq jours plus tard et envoyé en 1942 dans un camp de concentration, à Sachsenhausen, non loin de Berlin. Ses deux frères, eux aussi fervents partisans de l’indépendance ukrainienne, mourront à Auschwitz en 1942. Des faits évidemment passés sous silence par la propagande russe, laquelle entend ne donner de Bandera que l’image d’un dirigeant qui personnifierait à lui seul une Ukraine prétendument nazie. (soulignons toutefois que Bandera fut antisémite : « Il a été influencé par la propagande allemande et le mythe du judéo-bolchévisme selon lequel les Juifs sont les suppôts du communisme », rappelait ainsi l’historienne Galia Ackermann.)

 

Ne pas donner de l’eau au moulin de la propagande

Si intolérable que soit le fait de porter ostensiblement de tels symboles aux indéniables relents nazis, il ne faut pas faire pour autant des Ukrainiens dans leur ensemble des apologistes de l’extrême droite fascisante, qu’il faudrait « dénazifier », comme dit Poutine.

Rappelons ici quelques chiffres : le parti nationaliste (Zvoboda) était certes passé de 1,43 % des suffrages aux présidentielles de 2010 à 10 % lors des législatives de 2012, mais son score n’a été que de 1,16 % et 1,62 % aux présidentielles de 2014 et de 2019. Et aujourd’hui, Zvoboda ne dispose que d’un seul siège au Parlement européen, la Rada. Le « danger fasciste » ne s’est donc manifestement guère traduit dans les urnes depuis une dizaine d’années…

Certains ont dit à propos de ces symboles qu’il fallait moins y voir le signe d’une adhésion d’une partie des Ukrainiens au néonazisme qu’une manifestation de leur fierté nationale et de leur aspiration à défendre l’indépendance du pays.

Mais si tel est bien le cas, comment les Ukrainiens qui portent fièrement de tels symboles ne s’aperçoivent-ils pas qu’ils ne font ainsi qu’alimenter la propagande anti-ukrainienne de la Russie ? – en même temps qu’ils donnent une mauvaise image de l’OTAN et des dirigeants occidentaux qui les soutiennent. Comment ne voient-ils pas qu’ils scient la branche sur laquelle ils sont assis ? Il vaudrait mieux qu’ils cessent de porter tout insigne pouvant évoquer de près ou de loin le nazisme, ainsi que l’a d’ailleurs fait le parti nationaliste Zvoboda, qui a renoncé en 2003 à son logo inspiré par le Wolfsangel, un symbole utilisé par la deuxième division SS dans les années 1930.

Insistons enfin sur le fait qu’il n’est jamais bon de fonder l’indépendance (ou l’aspiration à l’indépendance) d’un pays sur des valeurs collectivistes, quelles qu’elles soient.

L’indépendance des États-Unis et sa reconnaissance, aboutissement de la Révolution américaine – la seule révolution qui ait jamais réussi – a ceci de particulier qu’elle fut assise sur les valeurs de l’individualisme libéral (universalisme des droits de l’Homme, protection de la liberté individuelle contre les intrusions illicites d’un État omnipotent, droit à la vie, droit à la poursuite du bonheur individuel, etc.). Condorcet recommandait en son temps de méditer les leçons de la Révolution américaine, modèle philosophico-politique dont l’Europe serait bien avisée de s’inspirer. Et si les Ukrainiens redécouvraient pour eux-mêmes les vertus de ce modèle ?

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  • Ha le narratif a changé, ce n’est plus du complotisme alors ?

    Dès les premières heures de la guerre en ukraine, il y a eu des tonnes d’images et de sources qui disaient que l’armée ukrainienne était infestée de neo-nazi.
    Certains bataillons avaient carrement des symboles nazi dans leur étendard.
    Mais c’était du complotisme et ça donnait raison à la Russie, donc chut.

    Pourquoi ce revirement de situation de l’oxydant (non pas de faute c’est la vraie orthographe) envers l’ukraine ?

  • Ils finiront pas donner raison à Putin, qui les traite de nazis depuis le début et qui se sert même de ça pour justifier tout ou partie de son « opération spéciale ».

  • L’origine du problème est Staline qui était un génie. Pour preuve, il faut « dénazifier » mais jamais « déstalinifier ». Pourtant Staline a fait plus de morts civils innocents qu’Hitler (même si ce dernier était un fou sanguinaire). Il a déporté des millions de personnes parce qu’ils n’étaient pas de la bonne race. Il a mis dans des camps et tué des millions de personnes, comme son copain et modèle Hitler. Tout comme Mao et Pol Pot ou Hochimin qui ont repris la méthode.
    Mais pas question de déstalinifier ! Toutes les gauches européennes sont pour le modèle communiste stalinien qui assure le pouvoir à vie.
    Bizarre vous ne trouvez pas ?

  • Il serait enfin temps d‘ appeler un chat un chat. L‘ OTAN, dont entre autre La France, l‘ Allemagne, la Grande-Bretagne, pays éminemment démocratiques tournant à la république bananière comme leur orotecteur, les États-Unis soutiennent de facto des bataillons nazis en Ukraine depuis le début des tentatives d‘ autonomie des régions russophones. Et que personne n‘ ose dire qu‘ aucun des politiciens/journalistes des pays mentionnés ci-dessus ne le savait. Et le NYT fait semblant de s’ en apercevoir maintenant? En fait, le vent est tout simplement en train de tourner. Et “on” continue de prendre les gens pour des tares.

  • « Insistons enfin sur le fait qu’il n’est jamais bon de fonder l’indépendance (ou l’aspiration à l’indépendance) d’un pays sur des valeurs collectivistes, quelles qu’elles soient. »

    Heureux de l’entendre dire! Donc, si je pousse votre raisonnement jusqu’au bout, la République Socialiste Française ne devrait même pas exister!

  • ‘Zvoboda ne dispose que d’un seul siège au Parlement européen, la Rada. »
    Que je sache, la Rada est le parlement ukrainien, PAS le parlement européen.

  • Au début de cette très triste affaire, on trouvait sur Amazon des objets avec les symboles nazis inversés. Le graphisme était élégant n’était-ce la nature du symbole.
    Sans doute après des plaintes, Amazon a fait retirer ces objets.
    Les Ukrainiens ne sont pas tous des nazis loin de là. Mais, il doit bien y avoir 2% (?) de la population admiratifs et fans de cette époque. De quoi mettre la pagaille.

  • Méconnaissance crasse de l’histoire et des souffrances est-européenne. Ceux qui s’insurgent contre l’apparition de symboles nazis vivent dans nos régions qui ont connu l’abominable occupation nazie et ses cortèges d’atrocités. Quand on a subi des décennies de dictature communiste, on peut se dire que l’enfer noir vaut mieux que l’enfer rouge. Ce n’est ni vrai ni intelligent mais compréhensible.
    Quand un des enseignants de mon fils, rouge grand teint (l’enseignant, pas mon fils), traite pratiquement ses arrière grands-parents, paysans travaillant quelques hectares de terre et possédant quelques vaches et chevaux, d’exploiteurs du peuple quand on lui raconte la collectivisation à l’est, cela donne envie de se précipiter sur Amazon ou Ali Baba pour voir s’il reste quelques runes en stock.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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