La crise démocratique peut-elle être résolue par la réforme des institutions ?

La crise démocratique prend moins sa source dans le fonctionnement même de la Ve République que dans les dynamiques sociales qui génèrent la confiance ou la défiance dans les institutions.

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La crise démocratique peut-elle être résolue par la réforme des institutions ?

Publié le 28 juin 2023
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Par Luc Rouban.

La séquence politique ouverte par la réforme des retraites a remis au premier rang la question de la crise démocratique en France. Le gouvernement a utilisé systématiquement toutes les dispositions constitutionnelles pour encadrer la procédure parlementaire, à un moment où il ne disposait que d’une majorité relative, afin de concentrer la décision au sommet du pouvoir exécutif en justifiant ces procédés comme découlant naturellement du programme qu’Emmanuel Macron avait présenté en 2022 et pour lequel il avait été élu.

Le débat s’est donc tout de suite orienté vers une nécessaire réforme de la Constitution afin de donner plus de place au Parlement et réduire les pouvoirs de la présidence jugés excessifs, notamment par la Nupes, mais aussi par certains constitutionnalistes.

 

Revenir au régime parlementaire

Le retour au régime parlementaire a été évoqué depuis longtemps par La France Insoumise dans le cadre de son projet de VIᵉ République qui propose également, tout comme le Rassemblement national, de passer au scrutin proportionnel et de pratiquer des référendums d’initiative citoyenne.

Mais des propositions ont été également faites par le gouvernement dans le cadre du Grand débat national de 2019 afin de modifier le mode de scrutin pour introduire une dose de proportionnelle, réduire la durée des mandats électifs dans le temps ou élargir le champ du référendum. Ces projets sont restés lettre morte mais l’idée générale, développée depuis longtemps dans la littérature internationale de science politique, est d’améliorer le fonctionnement démocratique par la réforme des institutions, notamment en développant la participation des citoyens.

Ces réformes auraient pour but de sauver la démocratie représentative face aux dérives autoritaires, aux manipulations de l’opinion et au simplisme démagogique que la démocratie directe peut produire. Le problème est de savoir si la démocratie représentative elle-même est encore « sauvable », surtout lorsque l’Assemblée nationale donne une piteuse image du débat démocratique en passant aux insultes et aux provocations.

On peut donc poser deux questions de recherche : est-ce que la critique de la démocratie représentative est moins intense dans des régimes parlementaires ? Est-ce que la confiance dans les institutions politiques est plus forte dans ces régimes ?

On s’appuiera ici sur les données de la vague 14 du Baromètre de la confiance politique du Cevipof réalisée en février 2023 qui permettent de comparer la France à l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, trois pays à régimes parlementaires aux modes de scrutins variés. L’ensemble des éléments d’analyse et des variables est présenté dans une note de recherche récemment publiée.

 

La critique de la représentation ne dépend pas du régime institutionnel

La première observation tient à ce que le rejet des élus et donc du principe même de la représentation est très général mais ne varie pas en fonction du régime institutionnel ou du mode de scrutin adopté par chaque pays.

On a construit un indice de critique de la démocratie représentative à partir des réponses positives (tout à fait d’accord ou plutôt d’accord) aux propositions suivantes :

  • c’est le peuple, et pas les responsables politiques, qui devrait prendre les décisions politiques les plus importantes ;
  • je préfèrerais être représenté par un citoyen ordinaire plutôt que par un politicien professionnel ;
  • les responsables politiques sont déconnectés de la réalité et ne servent que leurs propres intérêts.

 

Ces trois variables sont fortement corrélées entre elles et constituent une échelle statistique fiable que l’on a dichotomisée entre un niveau bas de critique (aucune ou une réponse positive) et un niveau élevé (deux ou trois réponses positives).

Si l’on examine la distribution du niveau élevé, on voit que l’écart entre les catégories populaires et les catégories supérieures est le plus important en France (12 points) avant celui que l’on observe au Royaume-Uni (7 points). Bien plus, la corrélation s’inverse en Allemagne et Italie où ce sont les catégories supérieures qui se révèlent être plus critiques à l’égard de la représentation que les catégories populaires ou moyennes.

De tels résultats montrent que l’analyse en termes de « populisme » se révèle spécieuse car les catégories supérieures critiquent partout en majorité la représentation politique.

Le régime parlementaire ne crée pas davantage de confiance dans les institutions politiques

La seconde question est tout aussi centrale dans le débat actuel.

L’effondrement du niveau de confiance dans les institutions politique pose la question de savoir si cette confiance est plus haute dans des pays où l’on pratique une démocratie parlementaire pacifiée. La réforme des retraites n’a pas fait que nuire au pouvoir exécutif, elle a également touché le Parlement.

La proportion d’enquêtés ayant confiance dans l’institution présidentielle est passée de 38 % en janvier 2022 à 30 % en février 2023 mais la proportion de ceux qui ont confiance dans l’Assemblée nationale est passée dans le même temps de 38 % à 28 %. Et la proportion de ceux qui ont confiance dans leur député n’est que de 36 %, soit le niveau le plus bas atteint depuis la création du Baromètre en 2009.

Mais les régimes parlementaires que nous avons étudiés ne font guère mieux.

En Italie et au Royaume-Uni, le niveau de confiance dans la chambre basse est de 27 % alors que les modes de scrutin y sont radicalement différents. Ce n’est qu’en Allemagne que cette proportion s’élève à 47 %. Si l’on crée un indice de confiance dans les institutions politiques qui intègre la confiance dans le gouvernement, dans la chambre haute et la chambre basse, et qu’on le dichotomise en deux niveaux, on voit que les résultats sont similaires en France, en Italie et au Royaume-Uni.

Mais c’est toujours en France que le contraste est le plus fort entre les catégories populaires et les catégories supérieures dans la confiance qu’elles portent aux institutions politiques. Une fois de plus, ce ne sont pas les institutions qui font la différence mais les catégories sociales.

L’analyse montre au total qu’il n’y a pas de corrélation entre le système institutionnel et la crise démocratique.

Des régimes parlementaires ayant des structures fortement décentralisées et fonctionnant avec des modes de scrutin très différents n’obtiennent pas des résultats bien meilleurs que ceux obtenus en France. La crise démocratique prend moins sa source dans le fonctionnement même de la Ve République que dans les dynamiques sociales qui génèrent la confiance ou la défiance dans les institutions. C’est pourquoi la réforme institutionnelle ne servira à rien tant que des questions comme la mobilité sociale ou l’accès aux élites n’auront pas été résolues.The Conversation

Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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  • Avatar
    The Real Franky Bee
    28 juin 2023 at 6 h 28 min

    Le problème est bien plus d’ordre culturel qu’institutionnel. Relire Alain Peyrefitte, « Le mal français » et « La société de confiance ». Tout cela a été écrit et documenté depuis bien longtemps. La France penche naturellement du côté de la défiance. Et pourtant, jusque-là le pays n’a jamais manqué de talents sur le plan individuel. Pour les anglophones, je conseille aussi la lecture de James Coleman, « Power and the Structure of Society », pas très récent mais très intéressant pour comprendre le rapport des individus aux « corporations » (dont font partie les États modernes).

  • Un système politique qui consiste
    -en une élection tous les 5 ans où au second tour, on a le choix entre deux candidats dont on ne veut pas
    – en la nomination d’un politicien sans véritable programme, ayant tous les pouvoirs mais qui n’a de comptes à rendre à personne
    – en une concentration des pouvoirs – dans un pays où l’Etat représente 60 % de l’économie – telle qu’il n’y a plus en fait d’indépendance des pouvoirs
    n’est pas une démocratie
    Le titulaire actuel de la fonction est soutenu par 25 % de l’opinion, avec une très forte opposition, et est encore là pour 4 ans. Dans n’importe quelle véritable démocratie, il ne serait plus là.

  • Conclusion un peu hâtive au regard de la profondeur de l’étude, non ??
    – Comparaison avec seulement 3 pays,
    – Indice de critique construit de manière orientée négativement sur le personnel politique.
    – je peux très bien être défiant envers le politique rarement un modèle de vertu et en revanche l’être beaucoup moins sur les institutions qui pourraient limiter ces travers,
    – le cas de l’Allemagne est vite rangée sous le tapis,
    – le Royaume-Uni et l’Italie ne sont pas des modèles de décentralisation,

    Certes la crise démocratique n’est pas le fait unique des institutions, mais elle n’est pas non plus complètement extérieure aux institutions au moins sur les aspects qui entraîneraient de meilleures pratiques.
    Etant donné la défaillance de l’humain, du représenté et du représentant, de bonnes règles claires et des règles appliquées sont certainement un plus indispensable dans la confiance.

  • Les Français s’aperçoivent inconsciemment que le socialisme les a amenés dans le mur : paupérisation, mauvais fonctionnement des services publics, etc. Les politiques sont tout à fait au courant de cette catastrophe.
    Mais il faut trouver un responsable : c’est la Constitution.
    C’est la Constitution qui est la cause de l’Education nationale qui l’enseigne que le wokisme, qui est responsable de la violence, de la drogue dans les cités, du déficit public, du déclassement de la santé de 1ier à 25 ième, du chômage et du RSA à vie… Et j’arrête la liste.

  • Nous vivons une crise sociétale dont les problèmes institutionnels ne sont que le reflet : la constitution de 1958 a fonctionné très bien depuis plus de 70 ans, ce sont les citoyens qui ont disparu, ils s’abstiennent de la vie collective en l’absence de difficultés, qui seules créent la solidarité. Notre société n’est pas malheureuse, contrairement à la bien pensance démago qui finance les iPhones avec des allocations de toute sorte. C’est l’achat des votes par la technocratie, l’individualisme confortable, qui dissolvent notre communauté.

    • Technocratie, individualisme confortable ? Je vois plutôt bureaucratie/théocratie/écolocratie dictatoriale, argent magique, loi du plus fort et du plus gueulard, perte des liens de causalité, incompétence non sanctionnée, etc. Les citoyens du genre qui soutenaient le grand Charles et ses ministres éclairés n’ont pas disparu, ils sont muselés, démotivés, ficelés, écartés au profit des grands prêtres de l’entre-soi bobo, de l’illogisme et de la corruption. Notre société n’est pas malheureuse, mais ceux qui ont encore du bon sens, des compétences, et une volonté sincère d’améliorer le sort de tous, y sont malheureux comme jamais. Les institutions ne sont pas spécialement en cause, elles fonctionneraient très bien si les réalités s’imposaient, via le FMI et une bonne crise économique, et renvoyaient dans leurs buts ceux qui causent et se mêlent de tout régenter.

  • Pourquoi n’avoir pas inclus les USA, la Suisse etc. dans cette étude à tendance jacobine ? De toute façon l’efficacité d’un système de représentation ne peut pas se mesurer par un indice de confiance dans ce système, la confiance pouvant résulter de la conjoncture bonne ou mauvaise. L’efficacité, pour l’intérêt général et la résolution des conflits légitimes, d’un système de gouvernement dépend de la division des pouvoirs et des contrôles et des sanctions qu’il prévoit quelques soient les personnes au pouvoir. Au pire comment un autocrate pourrait-il se contrôler et se sanctionner lui-même ?

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