Parlementarisme et présidentialisme. Une démocratie pour militants ?

La Ve République serait incompatible avec notre époque. Un petit détour par l’histoire de la démocratie française nous invite à relativiser les volontés de VIe République.

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Parlementarisme et présidentialisme. Une démocratie pour militants ?

Publié le 21 juin 2023
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Il n’est question dans les médias que de l’inadaptation à l’époque de la Constitution de 1958. Le président aurait une place trop importante et il faudrait revenir à un parlementarisme plus classique donnant tout pouvoir à une assemblée de députés élus.

La question mérite examen, mais le contexte historique ne doit surtout pas être perdu de vue. Le parlementarisme des IIIe et IVe Républiques aboutissait souvent à la paralysie par suite de l’infantilisme des leaders des partis. Ceux-ci n’étaient guère plus matures que des enfants se chamaillant dans une cour de récréation.

Ils n’ont pas changé d’un iota et ils l’ont admirablement démontré au cours du débat sur la réforme des retraites de 2023. Le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument. Il faudrait ajouter au célèbre aphorisme : l’aspiration au pouvoir infantilise.

 

Du parlementarisme au présidentialisme

Le régime parlementaire comporte un gouvernement responsable devant une assemblée d’élus. Le monarque (Royaume-Uni, Belgique) ou le président de la République (Italie, Allemagne) ne gouverne pas et ne dispose d’aucun pouvoir effectif. Après les élections des députés, les partis politiques forment une coalition majoritaire qui gouverne le pays.

Ce régime parlementaire était celui des IIIe et IVe Républiques françaises. Il se caractérisait par une très forte instabilité. Entre 1871 et 1940, 104 gouvernements se sont succédé, soit une longévité moyenne de 8 mois. Entre 1946 et 1958, la IVe République a connu 22 gouvernements, soit une longévité moyenne de 6,5 mois. Le personnel gouvernemental restait cependant assez stable puisque les leaders des partis se partageaient les postes ministériels. Certains petits partis jouaient un rôle charnière pour la constitution d’un gouvernement en apportant les élus nécessaires à la majorité parlementaire. L’exemple le plus célèbre est l’UDSR (Union démocratique et socialiste de la Résistance) de François Mitterrand, qui disposait seulement de 15 à 30 députés. Mais les manœuvres tactiques permettaient à ses leaders d’être toujours au gouvernement car les députés UDSR étaient nécessaires à la constitution d’une majorité. De 1947 à 1957, François Mitterrand fut donc onze fois ministre.

En 1958, le général de Gaulle supprime ce qu’il qualifiait de « régime des partis ». La Constitution de la Ve République abandonne le parlementarisme classique pour un régime semi-présidentiel accordant des pouvoirs importants au président de la République. Celui-ci peut dissoudre l’Assemblée et recourir au référendum. Il nomme les hauts responsables à tous les grands postes de l’État (préfets, généraux, etc.).

Il ne s’agit cependant pas d’un régime présidentiel comme celui des États-Unis. C’est le gouvernement, et non le président, qui détermine la politique à mettre en œuvre. Ce gouvernement, avec à sa tête un Premier ministre, est responsable devant l’Assemblée nationale. Les députés peuvent le renverser en votant, à la majorité absolue, une motion de censure. Aux États-Unis, c’est le président qui gouverne, mais il ne peut pas être renversé par l’une ou l’autre chambre.

 

Qui perd, qui gagne sous la Ve République ?

Politiquement, cette évolution vers un régime semi-présidentiel a des conséquences majeures, surtout à partir du référendum de 1962 prévoyant l’élection du président de la République au suffrage universel direct.

L’élection présidentielle devient en effet l’élection la plus importante politiquement, celle qui détermine la majorité au pouvoir. Les électeurs décident directement, par leur vote, qui doit gouverner le pays. Auparavant, les électeurs ne désignaient que les députés. Les partis avaient ensuite une grande marge de liberté pour constituer une majorité par des accords reposant sur des transactions politiques. Le peuple était écarté du choix essentiel, celui de la majorité gouvernante, au profit de quelques dirigeants de partis politiques.

Lorsque majorité présidentielle et majorité parlementaire ne coïncident pas, le mécanisme institutionnel de la Ve République fonctionne parfaitement. On a qualifié de « cohabitation » cette gouvernance comportant deux majorités distinctes. Ce fut le cas à deux reprises sous la présidence de François Mitterrand (Jacques Chirac et Édouard Balladur devinrent Premiers ministres) puis une fois sous la présidence de Jacques Chirac (Lionel Jospin Premier ministre). La politique suivie était déterminée par la majorité parlementaire puisque le vote des lois est du ressort du Parlement. Mais le président de la République conservait ses prérogatives et pouvait donc jouer le rôle d’arbitre, par exemple en dissolvant l’Assemblée si le comportement des partis nuisait à l’intérêt du pays.

Sous la Ve République, les partis politiques, en pratique quelques centaines de dirigeants, n’ont donc plus toute liberté pour manœuvrer et concocter des tactiques et des compromis leur permettant de contrôler tous les postes importants de la République. Les partis restent un élément essentiel de la démocratie représentative, mais pas le seul et unique à l’échelle nationale. Le peuple a directement son mot à dire en élisant le président.

La révision constitutionnelle de l’année 2000 a raccourci le mandat du président de la République de sept à cinq ans. L’objectif était de faire coïncider majorité parlementaire et majorité présidentielle par des élections presque simultanées. Cette réforme fut une erreur majeure. Le président de la République doit rester, selon l’esprit de la Constitution, le président de tous les Français et non le leader d’un parti. Les périodes de cohabitation marquaient clairement ce statut particulier de l’homme désigné par le suffrage universel direct et placé au-dessus des partis. Il apparaît désormais simplement comme le chef suprême d’une majorité. La réforme de 2000 renforce donc indirectement les partis politiques.

 

Qui doit désigner les gouvernants ? Le peuple ou les militants ?

L’évolution historique décrite précédemment a rééquilibré en France la démocratie représentative au profit du peuple s’exprimant par le suffrage universel. Le corps électoral désigne directement le détenteur pour 5 ans du poste le plus important. Les partis jouent un rôle essentiel puisque le pouvoir législatif leur est en quelque sorte dévolu. Mais ils n’ont plus toute latitude pour coloniser la République et gratifier leurs militants par des nominations.

Qu’est-ce qu’un parti politique ? Très sommairement, c’est une association comportant des idéalistes et des ambitieux. Les idéalistes croient, parfois naïvement, à un programme politique considéré comme mélioratif. Mais ce sont les ambitieux qui deviennent des apparatchiks féroces dirigeant le parti et n’aspirant qu’à la détention du pouvoir.

Les effectifs des partis sont très faibles. Globalement, tous partis confondus, ils ne dépassent pas quelques centaines de milliers d’adhérents. Le corps électoral comporte en France 48,7 millions d’inscrits (élection présidentielle 2022). Au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2022, 32 millions de personnes se sont exprimées. Les militants actifs, encore moins nombreux que les adhérents des partis, ne sont pas représentatifs de la population globale pour une raison évidente : ils aspirent à gouverner. L’écrasante majorité de la population ne souhaite absolument pas jouer un rôle politique actif. Le militantisme et les partis sont un mal nécessaire car les sociétés démocratiques doivent passer par ce relai associatif pour sélectionner leurs dirigeants. Mais il est impératif que ces activistes de la politique n’en arrivent pas à monopoliser le pouvoir.

Les quelques centaines de milliers de militants des partis ne doivent pas s’approprier toutes les fonctions décisionnelles, comme c’était le cas sous les Républiques précédentes. Les partis ne sont que des associations dont les dirigeants n’ont aucune légitimité particulière. Ils ont leur place puisqu’ils s’intéressent activement à la politique, mais pas toute la place. La Constitution de la Ve République apparaît donc comme un excellent compromis permettant au peuple de s’exprimer directement et aux partis de disposer d’une place importante, mais délimitée constitutionnellement.

Les propositions de réforme constitutionnelle actuelles, du type VIe République, proviennent des partis. Elles ne visent donc qu’à les renforcer et à revenir aux errements du passé. Veut-on une démocratie par militants interposés ou doit-on laisser au peuple la possibilité de s’exprimer par un vote ? À son arrivée au pouvoir en 1958, le général de Gaulle a pu, par suite de la déliquescence de la IVe République, proposer une Constitution limitant la prééminence sans partage des partis. Les revanchards n’ont pas baissé les bras 65 ans plus tard. Il ne faut pas se leurrer : une réforme constitutionnelle proposée par n’importe quel parti politique est à analyser sous un angle très… politique. Elle a toute les chances de chercher à restaurer la dictature des militants.

 

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  • La V° n’a que des défauts; Un monarque absolu, une non séparation des pouvoirs, un centralisme parisien.
    -Monarchie absolue avec l’impossibilité d’élire un président qui respecte les minorités.
    -Un gouvernement qui gouverne avec les lois. Et la magistrature sous surveillance.
    -Tout ce décide à Paris, concentration du pouvoir, entrainant des dérives de l’entre-soit.
    Alors qu’il faudrait un président potiche, une assemblée législative, une assemblée de gouvernement bien séparées, et une vraie décentralisation avec une autonomie fiscales des assemblées locales et un domaine réservé.
    L’argument d’instabilité ne tient pas si c’est tout l’assemblée qui gouverne.
    Enfin pour limiter la prééminence des partis limiter à un mandat électif dans sa vie. Disparition des hommes politiques professionnels.

    • Notre pays s’est construit depuis des siècles sur l’ambition politique et militaire. De fait notre structure de pouvoir est très verticale avec sa colonne vertébrale, unité et indivisibilité.
      Cela présente certains avantages, disons plutôt collectifs qu’individuels. Autrement dit c’est la puissance du collectif (donc nation) qui est privilégié à celui de l’individu. Aujourd’hui cependant, la France n’étant plus qu’un nain géopolitique, cette organisation devient contre-productive. Il faut se tourner vers l’intérieur, genre développement personnel et non genre repli sur soi.
      La difficulté à laquelle nous sommes confrontés, c’est la nécessité de quelques adaptations mais sans renier l’histoire de France sinon il adviendra un plus grand mal. Je pense donc à de petits changements, que je n’ai pas clairement identifiés faute de compétences en la matière, qui produiraient par effet d’entraînement de plus grands effets favorables. J’ai l’intuition que c’est possible sur le principe et dans l’acceptation du corps social et politique.

  • La démocratie ce n’est pas un choix tous les 5 ans entre la peste et le choléra
    Ce n’est pas donner un blanc seing à un personnage qui a déversé des tombereaux de démagogie pendant une campagne électorale gouvernée par le medias aux ordres, et qui ne pense qu’à une seule chose: sa réélection.
    Il faut revenir à un vrai chef de gouvernement qui rend des comptes à l’Assemblée Nationale, une Assemblée Nationale avec de vrais pouvoirs de contrôle, et un recours à des referendums sur des grands sujets
    Enfin il faut retrouver notre indépendance nationale, et refuser les diktats de fonctionnaires européens non élus à la solde des Etats Unis

  • Le système fédéral à l’allemande ou us est pas mal en soit : les élus locaux ont un réel pouvoir d’initiative à son niveau.

  • De toutes façons, la démocratie ça ne marche pas si le peuple n’est pas suffisamment instruit pour lire, écrire, compter et raisonner correctement. Sinon c’est le triomphe du bruit.

  • J’ai connu M. Aulnas plus pertinent. En fait il est assez révélateur qu’il cite 2 fois le Général de Gaulle, dont la statue domine encore et toujours un espace politique peuplé de zombies, vous savez, ces créatures mortes mais qui ne le savent pas.
    L’expression consacrée « le Président de tous les Français » est révélatrice tant d’une conception d’ancien régime du pouvoir que d’une méconnaissance du fonctionnement des grandes sociétés modernes.
    Non un président de la république n’est, ou plutôt ne devrait être, ni le chef de la France ni celui des Français, mais juste le président de cette entité juridique nommée l’Etat, puisqu’il parait qu’on ne peut absolument pas s’en passer. Election n’est pas onction … mais le général était un peu vieille France. (1)
    L’autre problème c’est que toute la classe politique est d’accord pour considérer que la France et les Français ont besoin d’être dirigés. Comme si un ensemble de 70 millions d’habitants et de millions d’entreprises de toutes natures pouvait se diriger d’en haut comme un village médiéval isolé ou un kibboutz … mais le général était un militaire.
    Par pitié, laissez reposer en paix ce brave général de Gaulle.

    (1) Au passage, je note que les gens de progrès ne se gênent pas pour crier « not my president » quand le résultat du suffrage ne leur sied pas.

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