Pouvoirs de police administrative : maintien de l’ordre ou violation des droits ?

Comment concilier le respect de l’ordre public et la préservation des droits et libertés fondamentaux ?

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 3

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Pouvoirs de police administrative : maintien de l’ordre ou violation des droits ?

Publié le 21 mai 2023
- A +

Depuis la fin du processus législatif (et non du processus démocratique) de la réforme des retraites, la société vit dans un régime de trouble permanent.

Chaque sortie de ministres ou du président de la République conduit à des attroupements pour manifester sa colère contre la réforme des retraites. Face à cela, les préfets prennent des actes réglementaires pour encadrer voire interdire ces manifestations. Si ce pouvoir d’édiction n’est pas contesté, son utilisation, elle, l’est fortement.

Ainsi, sous couvert d’encadrer ces manifestations, ce sont des atteintes graves aux droits et libertés qui sont commises. Fort heureusement, des associations soucieuses des libertés (LDH, Adelico, SAF etc.) ont fait des recours en référé devant le juge administratif pour contester ces arrêtés, souvent avec succès. Cependant, force est de constater une certaine dérive dans l’usage des pouvoirs de police administrative générale des préfets pour maintenir l’ordre.

On assiste souvent à un détournement du droit par des arrêtés faiblement motivés. L’illustration peut être fournie avec les manifestations d’extrême droite ou d’ultradroite interdite par les préfets. Quoi que l’on pense de ces groupes politiques ou parapolitiques, ils disposent du droit de manifester qui est un principe à valeur constitutionnelle rattaché au droit d’expression collective des idées et des opinions (décision n°94-352 DC du 18 janvier 1995) et qui a aussi été reconnu comme une liberté fondamentale au sens de l’article L.521-2 du Code de justice administrative par le Conseil d’État (décision du 5 janvier 2007 n° 300311).

Dès lors, et conformément à l’assertion du commissaire du gouvernement, Corneille, dans l’arrêt Baldy (1917), « la liberté est la règle, la restriction de police, l’exception ». Autrement dit, pour pouvoir limiter la liberté de manifester, il faudra apporter des éléments réels et concrets pour démontrer une menace à l’ordre public.

Cela nous amènera à examiner l’étendue des pouvoirs de police administrative (1/2) puis à rappeler l’importance de la concrétisation des droits et libertés fondamentaux (2/2).

L’article sera divisé en deux parties : la première traitera des mesures de police administrative ; la seconde, de la concrétisation des droits et libertés fondamentaux.

 

Des mesures de police administrative justifiées par le respect de l’ordre public

La police administrative se distingue de la police judiciaire par son objet.

Si la finalité de la police judiciaire est de réprimer les atteintes à l’ordre public résultant de la commission d’une infraction, la police administrative a pour objet de prévenir les atteintes à l’ordre public (Tribunal des conflits, 1977, Dame Motsch).

Cependant, la distinction entre les deux types de polices est parfois malaisée. Il revient donc au juge saisi d’apprécier le type de police. Cette appréciation est importante car de cela découlera la compétence du juge. Le juge administratif n’est compétent qu’en cas de police administrative selon le principe de la liaison de la compétence et du fond (Tribunal des conflits, 1873, Blanco). Il le sera ainsi pour contrôler la régularité de l’acte administratif ainsi que pour réparer les dommages qui en résultent. Ainsi, c’est par une casuistique que la distinction entre les polices s’est opérée. Dans tous les cas et, sans entrer dans les fins détails jurisprudentiels, la police administrative agit en amont de l’atteinte à l’ordre public, elle est là pour l’éviter (ex : patrouille de policiers municipaux).

Reste à déterminer la notion de « ordre public ».

L’ordre public a revêtu une définition tant légale que jurisprudentielle. Ainsi, dès la Révolution (loi de 1789) puis sous la Troisième République (loi de 1884), l’ordre public recouvre trois éléments (article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales) :

  1. La sécurité publique
  2. La tranquillité publique
  3. La salubrité publique

 

À côté de ces trois éléments matériels, la jurisprudence, comme certains textes, ont pu ajouter celui de la « moralité publique » (ex : Conseil d’État, 1959, Sté « Les films Lutétia ») notamment pour la diffusion de certains films (voir arrêt précédemment cité) ou de la tenue de sex-shop près d’un établissement scolaire (Conseil d’État, ord. Référé, 2005, Cne de Houilles).

Enfin, le Conseil d’État a reconnu un nouvel élément immatériel, celui de la dignité humaine (Conseil d’État, 1995, Cne de Morsang-sur-Orges et Aix-en-Provence). Si son invocation par le Conseil d’État fut très discrète initialement (ex : Conseil d’État, Ord, ref. 2007, Assoc. « Solidarité des Français »), elle fut utilisée de manière plus fréquente en 2014 et 2015 avec les affaires relatives à Dieudonné.

 

La légalité d’une mesure de police

Dans tous les cas, pour qu’une mesure de police administrative soit légale, elle doit d’une part, respecter la légalité et d’autre part, avoir pour finalité exclusive le maintien de l’ordre public ; et enfin, selon l’expression typique associé au triple test de proportionnalité, être adaptée, nécessaire et proportionnée au but poursuivi (Conseil d’État, 2011, Assoc pour la promotion, du droit à l’image).

Au regard de ce triple test de proportionnalité, l’autorité administrative compétente doit surmotiver sa décision au regard de ces trois éléments (Conseil d’État, 2018, Ligue des Droits de l’Homme). En exigeant que la mesure soit adaptée, le Conseil d’État exige qu’elle permette d’atteindre le but recherché : la protection de l’ordre public.

La mesure doit ensuite être nécessaire. Autrement dit, la mesure prévue doit être la seule possible pour atteindre l’objectif poursuivi (Conseil d’État, 1933, Benjamin), de même, la gravité de la menace doit justifier la mesure de police administrative.

Enfin, la mesure doit être proportionnée à la gravité de l’infraction. La mesure devra être pondérée au regard des circonstances de temps et de lieu, de la réalité de la menace. Le juge administratif fera donc un contrôle de proportionnalité in concreto pour apprécier la réalité de la menace à l’ordre public.

 

Le cas des manifestations

Dans le cadre d’une manifestation, le préfet devra par exemple motiver sa mesure de police administrative au regard du risque sérieux d’atteinte à l’ordre public. Par exemple, en cas de risque sérieux de rixe sur la voie publique, le préfet pourra se fonder sur l’arrêt Benjamin pour limiter la manifestation. Il devra évidemment circonscrire sa mesure dans son contenu, sa durée, son espace et préciser les moyens mis en œuvre pour y parvenir. Mais il pourra aussi se fonder sur le risque d’atteinte à la dignité humaine pour interdire une manifestation (TA Lille, ord. 24 février 2023, La Citadelle, n° 2301587). µ

Là aussi, il faudra prouver par des éléments concrets la menace réelle à la dignité humaine.

Force est de constater que, depuis l’adoption de la réforme des retraites, les autorités compétentes pour prendre des mesures de police administrative abusent de leurs prérogatives.

En effet, sous couvert de menace à l’ordre public, des arrêtés en tout genre, pris rapidement et peu motivés, sont édictés pour accompagner les sorties des ministres.

Ainsi, un arrêté du 19 avril 2023 pris par le préfet de l’Hérault a instauré un périmètre de protection dans le département à l’occasion de la visite officielle du président Macron, le 20 avril, dans la commune de Ganges. Il prévoyait l’interdiction des « dispositifs sonores portatifs ».

Un second arrêté signé du préfet du Loir-et-Cher est daté du 25 avril 2023, pour empêcher ces manifestations bruyantes lors de la visite du président Macron à Vendôme le même jour. Fort heureusement, ce second arrêté fut annulé par le tribunal administratif d’Orléans en référé (TA Orléans, ord. 25 avril 2023, n°2301545). De même, le préfet du Loir-et-Cher avait pris un arrêté (qu’il retira rapidement après) interdisant les « dispositifs sonores amplificateurs de son » (les casseroles).

Plus inquiétant est le fondement juridique de ses arrêtés. Ils furent pris sur le fondement de la loi SILT du 30 octobre 2017 relatif à la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Or, et comme l’a souligné le tribunal administratif d’Orléans, l’utilisation de casseroles ne peut justifier l’existence d’une menace terroriste. On assiste d’une part à un véritable détournement de pouvoir de la part des autorités administratives compétentes et d’autre part, à un effet d’aubaine en ce sens que les autorités administratives s’appuient sur des dispositions législatives sécuritaires peu précises pour prendre des mesures de police administrative. On voit par cet exemple l’importance des garanties effectives des droits et libertés qui se réalisent notamment par la voie juridictionnelle.

On verra ainsi dans une seconde partie l’importance de concrétiser les droits fondamentaux. Ainsi, plus que l’énonciation de nouveaux droits et libertés, c’est la question de leur garantie effective qui doit nous interroger.

Voir les commentaires (3)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (3)
  • Il existe un moyen très simple de résoudre les débordements lors des manifestations. Il consiste en 2 points :
    -1- les organisateurs de la manifestation sont seuls responsables pécuniairement et pénalement de tout dégât où agression survenu durant la manifestation sur son parcours (pour les agressions physiques, la responsabilité des organisateurs inclut les coûts d’hospitalisation et d’arrêt de travail des victimes).
    -2- le rôle de la police est réservé à l’enregistrement vidéo des actes délictueux perpétrés durant la manifestation et faisant foi pour preuve des dégâts où des violences devant un juge.
    Cette solution à voter en loi limitera grandement tout débordement : les organisateurs seront ainsi obligés de trier les manifestants et d’arrêter les casseurs. Ce ne fera naturellement plus les affaires de Mélenchon qui ne pourra plus crier au scandale d’une police politique qui tue.

    -1
    • ben voyons… Il suffit d’arrêter les casseurs, tout simplement.

    • Dans une société d’individus libres, on est responsable de ses actes, pas de ceux des autres.
      Les casseurs commettant effectivement une infraction contre les biens ou les personnes (qui peut être constatée par la police qui filme tranquillement comme vous le proposez) devraient être arrêtés, inculpés et jugés pour l’infraction en question (sans considération fantaisiste pour leur milieu, éducation ou couleur politique), avec la sanction prévue par le texte et la réparation nécessaire.
      Même pas besoin de changer la loi pour y arriver, juste que l’exécutif et le judiciaire se mettent à faire le travail pour lequel on les paie avec nos impôts… et les organisateurs seront embêtés d’être associés à des délinquants reconnus et les casseurs embêtés d’être emprisonnés pour leurs délits et de devoir faire les efforts d’indemnisation. Avec la responsabilité individuelle, petit à petit, tout le monde voit qu’il est de son meilleur intérêt de se comporter correctement.
      Mais nous sommes en France, le régalien c’est 5% du budget de l’Etat au lieu de 100%, et on veut ajouter une nouvelle loi à 500 000 autres normes en vigueur, certains que c’est la seule solution pour sortir de la panade.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Commençons par un constat brutal mais nécessaire : l’édifice légal et constitutionnel de notre pays est contesté de part et d’autre pour des raisons différentes. Le Conseil constitutionnel en est le plus récent exemple mais, de plus en plus fréquemment, c’est la Cinquième République qui est mise en cause en tant que telle. Un système légal s’effondre, il en appelle un autre, qui sera ou vraiment libéral ou fasciste. L’entre-deux dans lequel nous nous trouvons depuis 1958, ce semi-libéralisme, mettons, est caduc : les signes en sont multiples.... Poursuivre la lecture

« L’État ayant dépensé Tout l’été Se trouva fort dépourvu Quand il fallut financer ses agents,

Plus d’argent.

Il alla crier famine Chez l’Argirc-Arrco sa voisine, La priant de lui donner Quelques sous pour financer son déficit,

« C’est pour la solidarité », lui dit-il.

L’Agirc-Arrco n’est pas prêteuse ; C’est là son moindre défaut.

« Que faisiez-vous au temps faste ? » Dit-elle à ce quémandeur. « Je dépensais à tout venant, pour de bonnes causes » « Vous dépensiez ! J’en suis fort aise. Eh bien ! empruntez... Poursuivre la lecture

Un article de la Nouvelle Lettre. 

 

Aujourd’hui, discussion sur la revalorisation des retraites pour maintenir le pouvoir d’achat des salariés en activité : il faudrait faire main basse sur les fonds détenus par Agirc-Arrco. Cette spoliation a été tentée à plusieurs reprises, mais jusqu’à présent elle a été rejetée, et même déclarée anticonstitutionnelle.

Aujourd’hui on connaît le projet de loi de finances de la Sécurité sociale.

Il ferait apparaître la nécessité pour le budget de l’État de financer le défici... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles