[Débat] « L’euthanasie risque à terme de s’opposer à la confiance donnée aux médecins par les malades »

Débat. Pour Aziliz Le Corre-Durget, les discussions autour de la fin de vie ne doivent pas nous faire perdre de vue la vocation première du médecin, qui est de soigner.

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[Débat] « L’euthanasie risque à terme de s’opposer à la confiance donnée aux médecins par les malades »

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 13 mai 2023
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Contrepoints propose aux lecteurs un débat croisé sur le sujet de la fin de vie. Cliquez ici pour lire l’article de Philippe Lohéac.

« Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. », promettent les jeunes diplômés en médecine avant de commencer à exercer.

Pourtant, après la Convention citoyenne sur la fin de vie début avril, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) s’est à son tour prononcé, mardi 9 mai, en faveur de l’euthanasie et du suicide assisté. Si la médecine porte a priori un but et une valeur : le soin à apporter au malade, qu’il faut guérir, quel doit être son rôle quand le patient est condamné ? Un soignant peut-il administrer la mort ?

 

L’art médical

Aujourd’hui, alors que les progrès médicaux permettent de maintenir artificiellement en vie des personnes en état végétatif, l’on souhaite en même temps contraindre le médecin à donner la mort. Dans son ouvrage L’art médical et la responsabilité humaine, le philosophe Hans Jonas s’intéresse à la relation que la médecine entretient avec celle-ci. Et de s’interroger : comment l’art médical, dont la vocation est précisément de lutter contre la mort, pourrait-il s’astreindre à se mettre à son service ?

Le philosophe distingue deux démarches : la formulation de l’arrêt des soins et de toute forme d’acharnement thérapeutique, et la demande d’euthanasie.

Selon Hans Jonas, le patient a le droit de s’opposer en toute conscience à un traitement qui le sauverait de la mort. Par exemple, il peut refuser une chimiothérapie qui le guérirait d’un cancer ou une dialyse nécessaire pour pallier une insuffisance rénale. Un patient, cette fois conscient mais maintenu en vie grâce aux machineries médicales, peut aussi demander l’arrêt des soins s’il est informé par l’équipe qui en a la charge que cette interruption conduira irrémédiablement à son décès. À l’inverse, s’il souhaite être maintenu en vie, son choix doit être respecté. Enfin, si le patient est dans un état végétatif,  maintenu en vie artificiellement, mais incapable de s’exprimer sur sa volonté, Hans Jonas préconise aux médecins de le laisser mourir. Selon lui, les progrès technologiques ne doivent pas conduire à maintenir dans un état de vie végétative un corps inguérissable qui mourrait s’il était laissé à lui-même.

Face à l’intervention pressante de la technique moderne et des technologies médicales, le philosophe proclame un « droit de mourir. » Pour autant, ce droit à la mort est-il un droit à l’euthanasie ?

Non, répond-t-il :

« La décision de la mort ne doit pas échoir au médecin car cela mettrait en danger le rôle du médecin dans la société. Le médecin peut guérir, soulager, adoucir, mais la mort ne doit pas relever de ses prérogatives. » (Une éthique pour la nature, Arthaud poche, 2017)

 

« Donner la mort n’est pas un soin »

C’est également la position défendue par la présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), Claire Fourcade, qui déclarait dans les colonnes du Figaro le 28 février dernier que « donner la mort n’est pas un soin ».

Le rôle du soignant est d’accompagner et de soulager la fin de vie de ceux qui ne peuvent plus guérir. Particulièrement dans les unités de soins palliatifs.

Actuellement, la Loi Claeys-Léonetti, du 2 février 2016, prévoit les directives anticipées et la désignation de la personne de confiance pour permettre à chacun d’exprimer ses volontés et de clarifier les conditions de l’arrêt des traitements, en réaffirmant le droit du malade à bénéficier de la sédation profonde et continue jusqu’au décès lorsque le pronostic vital est engagé à court terme. Contrairement à l’euthanasie, la sédation profonde n’entraîne pas la mort. Elle laisse le patient mourir naturellement de sa maladie tout en l’endormant pour qu’il ne souffre plus. Cette loi affirme par ailleurs le principe de l’égal accès aux soins palliatifs et l’accompagnement de la fin de vie. Elle pose le cadre de la procédure collégiale et de la décision médicale.

Malheureusement, il existe une méconnaissance profonde du contexte légal qui entoure la fin de vie à l’hôpital. Qui plus est, dans un hôpital public en crise, la loi n’est pas toujours appliquée faute de bras et de moyens. En effet, selon la SFAP, 70 % des patients qui ont besoin d’un accès aux soins palliatifs ne peuvent pas en bénéficier. En cela réside le véritable scandale. Appliquer la loi en vigueur constitue donc déjà un chantier conséquent pour l’État et doit être sa priorité.

 

Le soin contre l’efficacité

Hans Jonas soulève un autre point essentiel en affirmant qu’il ne faut pas se laisser guider par une éthique de la compassion mais par une éthique de la responsabilité.

Notre action humaine ne doit pas être guidée uniquement par ce que nous éprouvons à l’égard d’autrui, mais par l’idée de prendre en charge cet autre qui souffre, en le respectant et en prenant en compte sa dignité. Le soin désigne le souci indéfectible dû au patient par tous les moyens disponibles dans le respect de son humanité. Ainsi, puisque nous sommes responsables des autres, nous nous devons de prodiguer à cet autre des soins, à la fois pour l’individu, mais aussi dans l’intérêt de l’ensemble des êtres humains qui constituent l’humanité.

À terme, l’euthanasie pourrait aussi céder le pas à des considérations d’ordre économique. Est-on égoïste si l’on ne choisit pas l’injonction létale ? Est-ce bien raisonnable de continuer à coûter cher, à creuser les déficits, à être à la charge des autres ? Ne faut-il pas avoir le courage de s’effacer à temps, de libérer un lit, de ne plus être un poids pour la société et nos proches ? C’est avec de tels glissements que s’impose l’idée d’une médecine de la performance, réduite à une pratique technicienne et soumise aux critères de l’efficacité.

Or, soignants et malades sont liés par une relation de responsabilité asymétrique et non réciproque. Le patient est l’objet de la responsabilité du médecin, qui doit protéger celui qui porte en lui cette fragilité. L’euthanasie risque à terme de s’opposer à la confiance donnée aux médecins par les malades. Ne perdons pas de vue la vocation première de la médecine qui est de venir en aide à toute souffrance, d’accompagner et de soigner tout être humain, du premier au dernier souffle de vie.

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  • Avatar
    jacques lemiere
    13 mai 2023 at 8 h 50 min

    s’opposer à la confiance??? la confiance se gagne et se mérite..

    désolé mais moi ça me hérisse..
    notre système justement pose que le patient est presque inapte a « juger » la bonté de son médecin..

    en réduisant la médecine à son aspect technique..
    la science a grandement amélioré les performances de la médecine mais l’approche de la médecine moderne d’affecter à un individu les risque de ceux d’un groupe auquel on le rattache est arbitraire et basiquement erroné… ça marche néanmoins..mais somme de se fier qu’n fuit est sans danger car d’autres en ont mangé.. certes de façon raffinée et plus élaborée sur l’rgumentaire..

    en cad de problème un médecin est jugé sur son intention et les choses qu’il était en état de savoir chose qu’on ne peut pas vérifier … ce n’et spa sun hasard si les médecins prête serment..de ne pas nuire.. c’est parce qu’ils PEUVENT le faire..

  • « Donner la mort n’est pas un soin »
    Oui, c’est un homicide. On change totalement de registre et on fait sauter un tabou.
    Je suis liberal, laissons les médecins et les patients libres de décider au leu de demander à l’état nounou de s’occuper de tout, de la naissance à la mort.
    Que les procureurs restent dans leur palais de justice et n’interviennent qu’en cas de comportement déviant.

  • Il me semble régner une grande confusion dans ce débat sur l’euthanasie et les médecins.
    Pour moi il s’agit « simplement » d’un suicide dont bien évidemment la responsabilité appartient au malade concerné.
    Je crois que les raisons doivent être complètement dissociées des moyens.
    Il est évident que toute personne pouvant intervenir pour détourner quiconque du suicide doit le faire en son âme et conscience : famille, associations, organismes officiels, médecins, etc.
    Quand la décision est prise reste la question du moyen : ils sont nombreux mais dans le cas particulier de l’euthanasie se pose la capacité physique pour le malade de concrétiser sa décision.
    La responsabilité des médecins se limite pour moi d’abord au diagnostic : le malade est il parfaitement informé de sa situation « médicale ». Ensuite à la prescription du produit le plus adapté. Je ne vois aucun problème d’éthique.
    La responsabilité de la Sociétété est de s’assurer que toutes les règles sont respectées et en particulier la liberté de décision du malade ou de son représentant. La loi doit être parfaitement claire sur les garanties exigées.
    La responsabilité du geste technique devrait pouvoir appartenir à n’importe quel professionnel formé et habilité.

    • La responsabilité du geste technique devrait pouvoir appartenir à n’importe quel VOLONTAIRE formé et habilité. Pourquoi forcément un personnel soignant ?
      En général, ayant eu à affronter ce genre de situation et les ayant souvent géré « au mieux », ils ont expérimenté le caractère particulièrement pénible pour eux de la chose. Personnellement, je ne suis pas favorable pour ma personne à l’euthanasie. Le suicide ne m’est pas encore légalement interdit (et je transgresserai) et imposer un tel geste à un autre être humain est au delà de mes capacités.

  • Tout à fait d’accord . Je m’étonne que des libéraux puissent songer à demander l’aide de l ‘Etat ou tout autre personne pour le deuxième plus grand passage de notre vie : notre mort . C’est pour le moins étrange .

  • Les commentaires sont fermés.

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