Le « retour au peuple » : remède à la crise démocratique ?

Populisme et anti-populisme : deux rhétoriques dangereuses pour la démocratie

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Le « retour au peuple » : remède à la crise démocratique ?

Publié le 6 mai 2023
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Par Marion Bourbon.

 

La crise politique dans laquelle nous semblons installés témoigne bien d’un certain ratage de la promesse démocratique et avec elle de celle d’une certaine pratique du pouvoir censée la réaliser. La difficulté réside dans l’ambiguïté intrinsèque de ce qu’on entend par « ce pouvoir (kratos) du peuple », difficulté qui plus est redoublée depuis que la démocratie est représentative : les coordonnées modernes du problème politique font reposer la démocratie sur un consentement par lequel le citoyen délègue l’exercice du pouvoir à ses représentants.

Cette autorisation ne vaut qu’en tant que le citoyen concède d’abord de perdre l’exercice personnel de ce pouvoir, le perdre de fait pour le retrouver de droit : c’est là le tour de passe-passe censé être réalisé par le contrat social. Cette autorisation sur laquelle repose le pacte social suppose donc une confiance fondamentale, celle par laquelle le citoyen autorise ses gouvernants à exercer le pouvoir en son nom : l’autorité est toujours une autorisation.

Or ici comme ailleurs, ce consentement se donne avant tout comme un problème qui demande sans cesse à être (re) discuté et (re) négocié, sans quoi il n’est rien d’autre qu’un contrat de dupes. Nous sommes très loin du mythe d’un accord a priori et évident, donné une fois pour toutes.

 

Le « retour au peuple » et ses ambiguïtés

C’est bien cette relation d’autorité comme autorisation qui se trouve actuellement abîmée. Le remède résiderait dans un « retour » à ce peuple trahi ou oublié. Un certain nombre de discours parfois antagonistes politiquement parlant se disputent ainsi le monopole de la représentation populaire.

À ce titre, ils déploient chacun à leur manière un certain ressort que l’on pourrait qualifier de populiste, si l’on entend par là une rhétorique qui consiste à se réclamer du peuple, un peuple dont l’existence serait donnée comme une évidence et qui constituerait la source exclusive de toute légitimité politique.

Il faut rappeler que le « retour au peuple » constitue de manière privilégiée un thème caractéristique des stratégies de légitimation propres aux régimes autoritaires et spécifiquement à ceux que l’on qualifie de « démocraties illibérales » parce qu’elles maintiennent le dispositif des élections, ou le simulacre qui en tient lieu la plupart du temps. Il y a là évidemment une mystification – il ne peut y avoir de souveraineté et de consentement populaires sans État de droit et sans libertés fondamentales qui permettent en particulier la politisation de l’espace public sans laquelle l’élection n’est jamais qu’une mascarade. On ne peut caractériser un régime en neutralisant la question de la nature du pouvoir qui s’y exerce. L’élection ne peut jamais constituer le critère exclusif de la démocratie.

Mais ce qui est paradoxal, c’est qu’une certaine rhétorique « anti-populiste » joue elle aussi la carte de la souveraineté populaire. Alors même que les taux d’abstention records que connaissent nos démocraties devraient nous obliger à beaucoup d’humilité dès qu’il s’agit de se prononcer sur la représentativité d’un vote, et a fortiori sur la volonté populaire, il s’agit de prétendre que la légalité vaudrait comme fondement exclusif de la légitimité dont seul le « peuple électif » disposerait. On oppose alors à ce peuple vertueux silencieux la « foule » irrationnelle qui n’aurait d’oreille que pour les démagogues.

Que pourrait-on alors opposer à cette rhétorique si d’aventure la majorité élective mettait au pouvoir un parti illibéral promettant un État policier ? Ce que nous apprend l’histoire récente, c’est bien que le peuple peut choisir librement un dirigeant autoritaire en considérant qu’un « vrai chef » est toujours plus efficace qu’un démocrate.

 

La matrice des contre-pouvoirs

La légitimité institutionnelle n’est de ce point de vue jamais suffisante, même si elle est évidemment préjudicielle. C’est précisément parce que c’est une condition essentielle de la démocratie qu’un certain nombre d’électeurs sont allés voter Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle. En vertu du sens accordé au partage fondamental entre régime démocratique et régime autoritaire, ils ont estimé que la sauvegarde de l’État de droit, le seul qui autorise en son sein le désaccord politique, devait alors prévaloir sur tout le reste. Comme l’a rappelé récemment Pierre Rosanvallon la concurrence des légitimités politico-juridique et sociale est un horizon indépassable de la démocratie.

C’est cette irréductibilité qui constitue la matrice des contre-pouvoirs dont nous savons au moins depuis John Locke et son Traité du gouvernement civil et De l’Esprit des lois de Montesquieu, qu’ils sont les garants de l’État de droit, en même temps qu’ils sont constitutifs de la fabrique réelle de la souveraineté populaire.

C’est à cette séparation que s’attaquent d’abord les régimes autoritaires. Le cas d’école israélien – actuellement des dizaines de milliers d’Israéliens se réunissent toutes les semaines pour s’opposer à un texte de réforme judiciaire à l’initiative du gouvernement de Benyamin Nétanyahou qui menace l’indépendance de la Justice – nous le rappelle.

Quinzième semaine de manifestation contre la réforme du système judiciaire, Tel-Aviv, Israël (France 24, 15 avril 2023).

En France, l’insuffisance structurelle de la légitimité juridico-politique en démocratie nous est rendue particulièrement sensible par un symptôme inédit : la règle fondamentale du jeu démocratique, celle de la fiction selon laquelle la majorité vaut pour la volonté générale, n’a peut-être jamais semblé si fragile.

Lorsque la majorité l’emporte, nous l’acceptons, sans vivre cette concession et ce compromis comme un coup de force. Cette règle dispose pourtant actuellement de moins en moins d’efficacité. Peut-être d’abord parce qu’elle ne peut être efficiente que lorsqu’elle vient achever (du moins pour un temps) un processus réel de délibération collective : la volonté populaire est une construction commune.

 

Penser la manière de faire peuple

Plutôt que de jouer un peuple contre un autre, nous devrions mener une réflexion sur les conditions et la pratique du pouvoir démocratique, celle par laquelle nous pouvons « faire » peuple.

Et nous devons repartir pour cela d’un questionnement sur le statut de la pluralité sociale sans laquelle la question du dialogue démocratique au fondement du pacte social ne peut être véritablement posée.

La condition démocratique repose sur l’existence d’une pluralité sociale irréductible qui oblige aussi bien les gouvernants que les gouvernés à une fabrique constante du consensus, jamais donné mais toujours construit, et toujours à reconstruire : ce qu’on appelle volontiers « démocratie sociale », seul cadre possible d’un consensus tenu et tenable, celui à partir duquel on peut parler réellement de légitimité démocratique.

En démocratie, ce « lieu vide du pouvoir », personne ne peut s’arroger le monopole de la représentation populaire, pas même la majorité elle-même ; et c’est sur cette impossibilité préjudicielle que peut se construire la pratique démocratique du pouvoir, celle qui l’empêche de devenir tyrannique. Dans ce cadre, il n’y a pas de pouvoir du peuple sans les médiations institutionnelles qui lui permettent d’advenir, il n’y a d’ailleurs pas de peuple tout court.

Ces médiations sont le creuset et le lieu effectif de l’exercice du pouvoir réel des citoyens. De ce point de vue, on oublie trop volontiers que la vie démocratique exige des conditions d’exercice et repose sur des positionnements subjectifs : les ressorts de l’autonomie politique réelle sont toujours psychiques. C’est pourquoi la question de l’éducation sans laquelle il ne peut y avoir d’émancipation devrait constituer la matrice de la réflexion sur la crise politique actuelle de la vie démocratique.The Conversation

 

Marion Bourbon, Agrégée et Docteure en Philosophie, Chercheuse associée, Université Bordeaux Montaigne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

The Conversation

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  • La première chose qu’a fait la France à partir de 1980 c’est de formater les esprits en les éduquant au communisme (le socialisme n’en étant que le mouvement qui voulait se libérer du financement russe). Que de belles promesses : tous fonctionnaires à ne rien faire avec les nationalisations, pour les malchanceux le RMI pour ne pas rater les matchs de football à la télé ou le tour de France en direct, pour les fatigués la retraite à 60 ans et pour les cancres le baccalauréat.
    Évidemment, au bout de 60 ans, tous s’aperçoivent que ça ne fonctionne pas. Mais difficile d’aller contre un bourrage de crâne éducatif qui dure depuis la naissance. Alors que reste-t-il ?
    Simple : il reste l’adhésion à ceux qui poussent le concept jusqu’à sa limite comme Mélenchon ou Lepen ou les écologistes (qui s’occupe plus de communisme que d’écologie).
    Populistes vous dites ? Pas plus que Mitterrand : en France tous les populistes sont en compétition d’extrême gauche. C’est l’assurance d’avoir une chance d’arriver au pouvoir.

  • Avatar
    jacques lemiere
    6 mai 2023 at 11 h 15 min

    pour la démocratie????

    pas pour les libertés individuelles?

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