Quelle mouche a bien pu piquer l’animateur Christophe Dechavanne ? Depuis plusieurs mois, le désormais chroniqueur dans la nouvelle émission de Laurent Ruquier fait son coming out politique, revendiquant fièrement ses idées de gauche.
Lorsqu’on évoque son rapport à la politique, il est difficile de ne pas penser au sulfureux numéro de « Ciel mon Mardi » du 6 février 1990, 56 ans après les manifestations d’extrême droite de 1934 à l’origine de la chute du second gouvernement Daladier. L’ambiance est électrique. Pour cause : le thème de la soirée n’est autre que le nazisme, avec à la clef une bagarre puis une émeute sur le plateau et une nuit de violence aux abords du studio. Une séquence culte à laquelle l’animateur n’hésite pas, trois décennies plus tard, à rattacher le 21 avril 2002 et le traitement médiatique du Front national.
La semaine dernière, ce sont Samuel Étienne et Jean Massiet qui ont évoqué sur France 5 leur refus de traiter le Rassemblement national comme les autres partis.
"Je n'ai pas envie de poser de questions à Marine Le Pen. Je refuse le jeu qui consiste à renvoyer dos à dos des camps en se disant que notre paysage politique est fait d'un ensemble d'options qui se valent les unes les autres."
@SamuelEtienne et @JeanMassiet dans #CàVous pic.twitter.com/7Qa4sn4M3e— C à vous (@cavousf5) April 10, 2023
Le rapport du Rassemblement national aux médias est un authentique sujet de thèse.
Depuis plus d’un demi-siècle, plusieurs centaines de travaux lui ont été consacrés. Parmi eux, on peut citer celui de Safia Dahani, aujourd’hui maître de conférences à Science Po Toulouse, qui a soutenu l’an dernier une thèse sur l’institutionnalisation du parti lepeniste. Avant cela, la docteure en science politique a écrit sur la médiatisation du Front national, fondée sur des relations complexes.
Une hostilité contreproductive
L’hostilité du milieu envers le parti d’extrême droite n’est pas un secret. Plusieurs sondages rappellent régulièrement l’orientation d’une presse française subventionnée jusqu’au gavage. L’exemple le plus parlant est le sondage fait auprès des salariés de Libération quelques semaines avant l’élection présidentielle de 2017 : Benoît Hamon obtenait 47 % d’intentions de vote, alors qu’un salarié sur 5 du journal s’apprêtait à voter pour Jean-Luc Mélenchon.
Cette hostilité est réciproque et l’histoire des rapports des médias au parti lepéniste en est truffée d’illustrations.
Et ces illustrations débutent dès 1985, un an après la naissance médiatique du Front national lors de l’émission « L’Heure de vérité ». Cette année signe l’interdiction de Jean-Marie Le Pen de l’antenne d’Europe 1 après que le premier a attaqué nommément plusieurs journalistes sur fond de sous-entendus dont le président du Front national était déjà accoutumé lors de la traditionnelle fête BBR du Bourget. Il faudra attendre 1988 pour qu’André Dumas le réinvite sur la station à l’occasion de ce que Jean-Pierre Elkabbach qualifie désormais de « fessée ».
Vingt-deux ans plus tard, la prise de présidence du parti par Marine Le Pen a créé un effet de nouveauté rendant le Front national « bankable », au point qu’en 2016, la candidate du parti devient l’invitée de Karine Le Marchand dans une émission de variétés. Cette invitation fera dire au journal belge Le Soir que « des verrous ont sauté ».
L’année suivante, une trentaine de médias signent une pétition contre la décision du Front national de « choisir les médias autorisés à suivre Marine Le Pen ».
En 2018, l’idéologue de la campagne victorieuse de Donald Trump, Steve Bannon, fera siffler les médias lors du congrès du Front national.
Un questionnement en deux temps
Ces quelques faits illustrent une problématique que les médias se posent depuis maintenant 40 ans : les journalistes doivent-ils couvrir le Front national comme ils couvrent les autres partis ?
Ce débat a connu deux phases : la première, dans les années 1980, venait de la nouveauté de l’émergence du parti dans le paysage électoral, de Dreux en 1983 aux 35 députés élus en 1986 avec pour point d’orgue l’affaire du « détail » ; la seconde phase, à partir de 2010, tira son objet du lissage et de la crédibilisation du discours du parti sous l’ère mariniste.
En vérité, comme le rapportait Slate en 2015, la question semble davantage être portée par une opposition entre un journalisme militant et un journalisme professionnel, citant par exemple les difficultés rencontrées par Marine Turchi, Thomas Legrand, Abel Mestre et David Doucet dans leur mission face à l’incompréhension ou la défiance de certains confrères.
Un rapport dont nous observons aujourd’hui les conséquences car toutes ces gesticulations n’empêchent pas le parti d’extrême droite d’exploser le plafond de verre et de tutoyer le pouvoir.
Un parti aseptisé et anticapitaliste
Cette question est largement liée à la nature idéologique du Rassemblement national.
Or, cette nature a fortement évolué et ce y compris sur les fondamentaux du parti, qu’il s’agisse de l’immigration ou de l’Europe, où le parti est passé d’un arrêt total à de simples questions de soldes migratoires et de l’européisme au souverainisme dans les années 1980, en passant par la soumission à référendum des sujets les plus polémiques.
Mais le point le plus évident de ce changement programmatique reste l’économie. Profondément anticommuniste, le Front national s’était démarqué entre 1980 et 2007 par un programme économique de droite classique.
L’accession de Marine Le Pen à la tête du parti, nourri par les succès de celui-ci auprès d’un électorat ouvrier, l’a rapidement amené à promouvoir des politiques interventionnistes de redistribution.
Un républicanisme presque acquis
Un point particulier n’a jamais été sujet à évolution : la question institutionnelle.
Point rare pour un parti d’extrême droite, le Front national a toujours été dans une posture pro-parlementaire, sans doute électoralement justifiée.
Cette posture participe du rapport du parti à la question républicaine. Il y a quelques jours, j’évoquais dans ces mêmes colonnes le front républicain anti-NUPES qui émerge aujourd’hui en France. Un front républicain basé sur la question de l’égalité des citoyens mais également des acquis républicains et notamment le bloc de constitutionnalité, servant de référence idéologique aux républicains d’aujourd’hui. Or, fort d’un soutien à la légalité républicaine depuis 30 ans et d’autant plus depuis cette année, le parti mariniste ne remet en cause qu’à la marge certains textes de ce bloc.
Au final, débordé à sa droite par un mouvement zemmourien, le Rassemblement national n’est aujourd’hui qu’une France insoumise légaliste et nationaliste, soit quelque chose d’assez proche de ce que les journalistes de Libération doivent mettre dans l’urne les dimanches de votes.
Cette évolution pose enfin la question des dangers d’une liberté d’expression hémiplégique.
Les dangers d’une liberté à géométrie variable
Louis Antoine de Saint-Just était un révolutionnaire fanatique, soutien de Robespierre et de la Terreur. Il sera l’inspirateur de la très constructiviste déclaration des droits de l’Homme de 1793 et initiera notamment la loi des suspects permettant d’arrêter n’importe quel individu soupçonné de ne pas être suffisamment révolutionnaire. Un joyeux personnage qui estimait qu’il ne pouvait y avoir « de libertés pour les ennemis de la liberté ». Cet éphémère président de la Convention nationale finira guillotiné par le monstre qu’il a contribué à créer.
Voilà de quoi nous mettre suffisamment en garde sur la tentation d’une liberté à géométrie variable. Un petit calcul d’autant plus dangereux lorsqu’il touche une liberté aussi centrale dans notre société que celle de l’information.
Quand un parti parvient au second tour des élections présidentielles on ne peut pas l’exclure du débat sans être un militant sectaire. Ce n’est pas le rôle du « service public » d’être engagé. Il est vrai que ce service n’a plus rien de public, financé largement par nos impôts et la publicité, c’est un lieu de propagande choyé et animé par des bobos très bien payés qui se paient le luxe d’une idéologie de gauche en révérence à la bien pensance qui nous tient lieu de réflexion politique et sociétale. Il faut privatiser ce prétendu service qui ne produit plus d’émissions culturelles et se contente de vivre grassement en imitant les chaînes privées. C’est une déviation de son rôle et une distorsion de concurrence manifeste.
« L’hostilité du milieu envers le parti d’extrême droite n’est pas un secret » : tout le temps que l’on ânonnera « RN = parti d’extrême-droite, RN = parti d’extrême-droite, RN = parti d’extrême-droite… », il n’y aura pas de secret, les médias ne comprendront pas le RN et le désamour ne cessera pas facilement entre eux et ce parti français des plus ordinaires.
De Saint Just a dit également:
« Un peuple n’a qu’un ennemi dangereux, c’est son gouvernement. »
Ce qui, malgré les excès de l’individu, dénote néanmoins d’une prise de conscience qui fait défaut à la quasi-totalité de nos représentants et de nos médias gauchisants.
Il y a du bon et du moins bon dans cet article. Préférant, à l’inverse des coups, recevoir des compliments plutôt que les donner, je m’attarderai uniquement sur le moins bon.
D’abord, le RN n’est pas/plus un parti d’extrême-droite parce qu’il n’est pas/plus antiparlementariste.
Ensuite l’auteur professe que Zemmour est plus à droite et que le RN est un genre de LFI.
Cette analyse ne tient que sur l’aspect économique. Reconquête est en effet libéral sur le plan économique, et le RN, du fait de son électorat ouvrier, plus interventionniste sur ce même plan.
Mais je rappelle aux libéraux-conservateurs qu’il n’y a pas que le pognon dans la vie et que la partie économique des programmes des partis politiques n’est pas suffisante pour caractériser totalement ces derniers.
Et assurément, cette hypothèse d’une quasi-similitude entre RN et LFI ne saurait être partagé par tout le monde. Dès lors, elle ne vaut rien. A quoi cela me fait-il penser ? A une reductio ad LFIum ! Ce qui n’est jamais, convenons-en, glorieux dans la carrière d’un argumentaire…
A mauvais escient :
Un parti d’extrême droite ne se reconnait pas à son antiparlementarisme (sinon, la NUPES est d’extrême droite…)
Zemmour plus à droite que Le Pen car plus libéral économiquement ????? donc on est d’extrême droite quand on est libéral selon vous ?
Zemmour libéral économiquement parlant ? relisez le programme de Zemmour ou alors apprenez ce qu’est le libéralisme …
Le libéralisme ne s’intéresse qu’au pognon ? ok, vous ne savez pas ce que c’est que le libéralisme …
En France, tous les partis politiques étant socialistes économiquement, on ne peut les différencier que sur le plan sociétal.
Enfin, la seule différence entre le programme de Le Pen et Mélenchon, c’est que le premier est nationaliste, le second internationaliste, c’est Libération, dans un fameux article, qui l’avait affirmé (avec raison) en 2020…
A moins que Libération fasse maintenant de la reducio ad melenchon ?
Relisez-moi calmement. Et intelligemment. Ça va bien se passer…
Allez juste une… (Pas le courage de tout reprendre)
« Un parti d’extrême droite ne se reconnait pas à son antiparlementarisme ».
Je n’ai ni dit ni prétendu cela. Il n’y a pas d’équivalence. Ce qui suit est destiné aux esprits logiques. Si ce n’est pas le cas passez votre chemin.
Historiquement l’ED se caractérise par son antiparlementarisme, son autoritarisme, qui confine à la violence politique, voire physique envers ses opposants, et sa xénophobie, voire son racisme. Trois « traits de caractères » sont nécessaires pour la définir.
Donc, si le RN n’est pas antiparlementariste, il n’est pas d’extrême-droite.
De même, tout mouvement qui ne serait que antiparlementariste, ne saurait être qualifié d’extrême-droite.
Je reconnais que mon propos pouvait passer pour elliptique. Mais, c’est une qualité chez moi, je fais confiance à l’intelligence de mon lecteur. Et, c’est un défaut chez moi, je suis parfois trop confiant.
On croirait lire notre président…
mon problème c’st les médias publics;…