Retraites : la France empêtrée dans ses statuts

La France est le pays des statuts – pratiques survivantes de l’Ancien Régime ?

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Retraites : la France empêtrée dans ses statuts

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 1 mars 2023
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1978 : « Un futur sans avenir pour une France ridée ». Le premier texte sur le vieillissement de la société française, signé P. Chaunu et A. Parant, paraît dans la revue de prospective Futuribles – seule revue de prospective de langue française depuis 1965 ; traversez la Manche, vous en lirez une demi-douzaine de qualité identique, preuve que la discipline intéresse peu les décideurs français et que l’anticipation est absente des évolutions structurelles.

2023 : des Françaises et des Français jouent un psychodrame dont le pays est souvent pourvoyeur, à propos de la « réforme » des systèmes de pension de retraite. Comme il s’agit essentiellement de réglages mécaniques basés sur des mathématiques simples, confier le sujet à des élèves de CM1-CM2 aurait été salutaire : ils auraient fourni les réponses idoines en une journée.

Pourquoi un psychodrame ? Parce que la France est le pays des statuts – pratiques survivantes de l’Ancien Régime ? Rappelons qu’elle est le seul des pays industrialisés les plus riches (OCDE) à avoir une Convention collective des cadres (1947).

 

1987 – Anecdote

Je vis en Languedoc. Consultant indépendant auprès d’un cabinet, je suis approché par un groupe industriel belge (VDM) qui va construire une usine d’oléagineux sur le port de Sète. Les travaux devant débuter rapidement, les dirigeants souhaitent recruter cinq personnes du futur staff de commandement. Avec un collègue, je vais à Gand ; nous visitons une de leurs usines et le lendemain matin avec le directeur et deux adjoints, nous travaillons sur les définitions des fonctions des cinq personnes à recruter.

Arrive le moment fatidique du classement : agent de maîtrise ou cadre ? Art. 4Bis ou Art.36… de la Convention citée supra ? Nos interlocuteurs qui s’exprimaient jusque-là en français se mettent à parler en flamand entre eux.

Puis le directeur se tourne vers nous : « Nous ne comprenons pas votre question. » Nous expliquons. Il reprend la parole : « Ici, je suis employé, comme n’importe quel ouvrier ; seules des personnes exerçant une réelle fonction d’encadrement sont identifiées différemment… mais non classées. » Dont acte1

« De nos jours en France, plus de la moitié des quatre millions de personnes relevant de la CC n’exerce aucune fonction d’encadrement. Mais elles ont le statut… »2

Concernant les relations intergénérationnelles induites par les systèmes de pensions de retraite par répartition, le constat mettant en avant la situation favorable des retraités vis-à-vis des actifs est trop souvent simplifié. Tout d’abord, les écarts entre pensions sont élevés – de 1 à 7 en éliminant les extrêmes ; les retraités payent de leur poche leur complémentaire santé ; ensuite, le patrimoine des retraités constitué à 85 % de biens immobiliers s’est bâti en grande partie à leur insu et résulte essentiellement des choix urbanistiques imposées depuis plus de vingt ans (Loi SRU, Loi ALUR, injonctions écolos dogmatiques, restriction des zones constructibles…) : dans un pays où il y a un million d’habitants supplémentaires tous les trois ans, ne pas rénover et ne pas bâtir, surtout en faveur des ménages modestes (principalement jeunes) ne pouvait conduire qu’à une raréfaction de l’offre et à une augmentation des prix plus rapide que l’inflation générale. 3

 

Enfin, le grand vieillissement annoncé dès 1978 et repris dans le livre éponyme4est bien à l’œuvre mais il comporte aussi des solidarités matérielles intergénérationnelles concrètes : garde et activités avec des petits-enfants, donations anticipées, prêts sans intérêt, dons manuels sans contrepartie, autant de mécanismes qui sont hors radar mais qui représentent a minima plusieurs dizaines de milliards d’euros chaque année.

 

Le projet de retraite universelle par points

Le projet de retraite universelle par points proposé en 2017 avait trois avantages indéniables qui compensaient largement les désagréments passagers du changement de régime.

Primo, il introduisait une amélioration notable des trajectoires contributives et une harmonisation des pensions résultantes.

Secundo, il prenait acte des évolutions structurelles du marché du travail constatées ces dernières décennies et donnait ainsi une visibilité accrue sur la carrière homogénéisée, offrant aussi une liberté de choix pour chaque individu voulant ou ne voulant pas compléter le montant d’une pension à venir : de plus en plus de personnes varient les modes d’activité (salarié, indépendant, contractuel, resalarié, re-indépendant, etc.). De nos jours, les polypensionnés sont les plus touchés par des abattements divers.

Tertio, il mettait un terme aux situations abusives des régimes spéciaux qui ne sont que des niches fiscales subventionnées par les contribuables (à de rares exceptions près qui ne concerne que des effectifs très restreints).

 

Quels que soient les ajustements des systèmes de pensions français qui découleront des discussions et manifestations en cours, deux choses sont sûres : ce ne seront que des replâtrages ne résolvant pas les questions de fond et leurs solutions pérennes. Et in fine la France des statuts aura gagné.

Un signal faible venu d’ailleurs : et si on travaillait durant 60 ans ? La proposition peut apparaître incongrue et dans ses contenus publiés, elle semble surtout concerner les cols blancs avant les cols bleus. Néanmoins, les alternances envisagées – études, travail, arrêt, reprise en changeant de job et de durée annuelle de travail, arrêt pour formation, reprise d’activité, loisirs, reprise, etc. – nous apparaissent comme très sensées et en phase avec les évolutions structurelles du marché du travail décrite supra.5

  1. Liam Fauchard, Périples d’un Consultant – 1987-2010, D’Autres Univers 2013.
  2. Philippe d’Iribarne, La logique de l’honneur, Seuil 1989.
  3. Jean-Marc Offner, Anachronismes urbains – Science Po 2020
  4. Maxime Sbaihi, Le grand vieillissement, L’Observatoire 2022.
  5. The Wall Street Journal / L’Opinion, 20 février 2023.
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  • Mais oui !
    Definition de statut : ensemble de textes qui règlent la situation d’une personne ou d’un groupe. Précisons par une autorité unique et supérieure, l’Etat !
    Ce modèle peut avoir ses avantages comme l’unité, la clarté et une certaine efficacité à court terme, cependant la contrepartie s’avère être une rigidité pour le faire évoluer. Le statut devient identité et reconnaissance et y toucher est ressenti comme une agression.
    Donc on avance au ralenti, en dépensant une énergie, du temps et de l’argent pour pas grand chose.
    Je propose une idée extravagante, comparable à une trève ou les bélligérants déposent leurs armes, soit une trève où chacun dépose son statut. Ce n’est pas une perte puisque le véritable statut est celui des droits naturels/ de l’Homme que nous avons déjà (oublié).

  • à part la capitalisation…

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