Hectar, un campus agricole et une business school agricole : danger ?

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Tractor Fertilize Field Pesticide And Insecticide By: Aqua Mechanical - CC BY 2.0

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Hectar, un campus agricole et une business school agricole : danger ?

Publié le 4 janvier 2023
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D’aucuns s’inquiètent à propos d’Hectar. Né d’un curieux attelage entre Mme Audrey Bourolleau, ancienne conseillère « agriculture » du président Emmanuel Macron et l’homme d’affaires Xavier Niel, le projet associe maintenant le cabinet de conseils McKinsey.

Danger ? On peut avoir un autre point de vue.

 

Musardons pour commencer

Emmanuel Rizzi est éleveur bio de vaches allaitantes Galloway (noires avec une large ceinture blanche) dans le Jura et président de la Coordination Rurale du Jura. Et une belle plume.

Dans sa dernière livraison, « Où va l’agriculture ? », il a évoqué le lancement de la prochaine Loi d’Orientation Agricole. Lors de la première réunion, le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, Marc Fesneau, a conclu par cette phrase : « L’agriculture doit se raconter à la société. Mais raconter une histoire, ce n’est pas décrire la réalité ».

Et M. Emmanuel Rizzi d’opiner : « Une fois encore, on se prépare à taire le réel pour contenter une opinion qui fantasme une agriculture d’avant-guerre et, n’ayant jamais connu la faim, imagine qu’elle aura toujours suffisamment à manger. »

Si nous nous glorifions (encore) d’avoir une agriculture performante, les nuages s’accumulent cependant à l’horizon. Dans « Les constats sans tabou de Bayrou pour l’agriculture française », Réussir écrivait le 11 juillet 2021 en chapô :

« François Bayrou, le haut-commissaire au plan, a présenté une note stratégique sur l’agriculture française. Selon ce rapport, cinq crises sont à dominer : la baisse de la population active agricole, le recul des exportations agroalimentaires, les évolutions des régimes alimentaires, l’adaptation au dérèglement climatique et le malaise sociologique des agriculteurs. Si les constats sont connus, les remèdes demeurent à trouver. »

Pour la note stratégique, « Agriculture : Enjeu de reconquête », et ses compléments, c’est ici ; le dernier rapport sénatorial établi par MM. Laurent Duplomb, Pierre Louault et Serge Mérillou est ici.

 

Le projet Hectar

Il en est qui ont trouvé – ou semblent avoir trouvé – des remèdes. Et pas dans le retour à l’avant-guerre ; ils seraient plutôt futuristes.

À Lévis-Saint-Nom dans les Yvelines, sur le domaine de la Boissière de plus de 600 hectares, se trouve un établissement d’enseignement supérieur privé spécialisé dans la formation aux métiers agricoles et de reprise d’exploitation du nom d’Hectar.

Le domaine avait été acheté en décembre 2019 par Mme Audrey Bourolleau (épouse Alberti) et M. Xavier Alberti. La première est connue pour avoir été conseillère agriculture, pêche, forêt et développement rural dans le cabinet du président Emmanuel Macron de septembre 2017 à juillet 2019. Auparavant, elle avait œuvré pour la filière viti-vinicole – selon le vocabulaire en usage chez les détracteurs de cette activité – en tant que lobbyiste.

L’école a été créée dans la foulée par Mme Audrey Bourolleau, qui en assure maintenant la direction, et l’homme d’affaires Xavier Niel.

 

Aussitôt créé, aussitôt fusillé

Il va de soi qu’un tel attelage a provoqué quelques froncements de sourcils. M. Xavier Niel investit dans les substituts de viande et a été un des promoteurs du référendum d’initiative partagé sur les conditions d’élevage qui n’a pas abouti.

Mais c’est aussi le principe même de cette école qui est contesté par la Confédération Paysanne (évidemment…) et les syndicats, le Snetap-FSU (Syndicat National de l’Enseignement Technique Agricole Public étant en première ligne.

Notons avec un brin d’amusement que selon Basta « « Hectar« , le projet d’école de Xavier Niel pour livrer l’agriculture aux nouvelles technologies ». L’école bénéficie de l’« appui direct » du président Emmanuel Macron, qui ne fait aucun doute « puisque sa directrice n’est autre que l’ex-conseillère sur les questions agricoles d’Emmanuel Macron à l’Élysée, et désormais à nouveau impliquée directement dans sa campagne pour la présidentielle 2022 ».

Un lien tout aussi complotiste est établi avec la région Île-de-France, partenaire du projet et Mme Valérie Valérie Pécresse.

 

Résolument tourné vers l’avenir… ou peut-être pas

Selon son site, Hectar se veut « créateur de solutions pour la transition agricole – 100 % orienté entrepreneuriat et tech au service des Hommes […] un écosystème unique au monde ».

Le projet part de constats en majorité évidents. L’ambition principale est en résumé de former des entrepreneurs en mesure d’exercer une activité agricole économiquement viable (en développant l’esprit entrepreneurial et la création de valeur), socialement juste (permettant de vivre de son métier et de préserver les équilibres de vie) et durable pour la planète (en diffusant les pratiques de l’« agriculture régénératrice »).

Là, c’est l’aspect irritant ou amusant selon l’humeur du moment pour le sieur Heitz et bien d’autres. Correctement utilisée, l’expression dénote des pratiques culturales pertinentes que l’ont peut considérer comme un développement de l’agriculture de conservation des sols. Mais elle sert beaucoup comme outil de marketing pour l’écoblanchiment d’entreprises agroalimentaires voire de faux nez pour l’agriculture biologique.

Dans sa communiction initiale, l’école devait être gratuite. Selon la version actuelle du site, elle est payante. L’atelier laitier a aussi été présenté en des termes qui laissent songeurs – j’ai commis un « Hectar, l’école de la nouvelle agriculture dévoile sa ferme Marie-Antoinette » sur mon blog. On s’est peut-être déjà heurté au mur des réalités au domaine de la Boissière…

L’avenir nous dira si on peut former des entrepreneurs, dans des domaines très variés de l’activité agricole, en 115 heures sur cinq semaines, et ce sans formation agricole autre que le hochet bobo-écolo de l’agriculture régénératrice. Et être un « accélérateur de start-ups » efficace. Avec un objectif affiché de toucher 2000 personnes par an (1000 personnes formées à un métier et 1000 autres dans le cadre de la sensibilisation). Mais il semble que l’on soit actuellement loin du compte.

Extrait du descriptif de la formation « tremplin » de cinq semaines à 2500 euros (source)

 

Et voici McKinsey

Mais voilà que le cabinet de conseils McKinsey installe sur le site d’Hectar un outil décrit, peut-être de manière limitée, comme un « simulateur d’agriculture régénératrice ».

Réussir propose un article assez détaillé, mais qui laisse sur notre faim, « Comment McKinsey compte influencer l’évolution de l’agriculture française ». Extrait :

« Julien Revellat : Notre demo center agricole consiste en un atelier immersif qui s’adresse à tous les acteurs du secteur agroalimentaire en réflexion sur la transition agricole et l’impact carbone en particulier, et qui prend la forme d’un simulateur d’agriculture régénératrice. À l’origine de ce projet, nous avions l’ambition de contribuer à relever un défi qui nous concerne tous collectivement : développer une nouvelle agriculture qui bénéficie en premier lieu aux agriculteurs et réponde aux enjeux environnementaux comme aux besoins des consommateurs. »

Connaissant la (mauvaise) réputation acquise par McKinsey, et le peu d’affection des Français pour certaines formes d’activités économiques, le titre de Réussir a de quoi inquiéter.

Le Point a publié une opinion au vitriol de M. Jean-Paul Pelras, « L’agriculture française doit-elle laisser les clés du tracteur à Niel et McKinsey ? ». Sa conclusion :

« Le péril que constitue cette « entreprise de milliardaires et de conseillers » ne doit surtout pas être sous-estimé. Car il ne sème ni la solution ni le progrès. Il fait sourdre la spéculation de ce dangereux sillon où la fin de notre agriculture est d’ores et déjà programmée, méprisée, condamnée. »

Il relève pourtant dans son argumentaire :

« Les agriculteurs n’ont pas attendu les conseils de Niel et McKinsey pour répondre aux besoins alimentaires de notre pays avec presque 27 millions d’hectares en production et des pratiques culturales qui répondent, quoi qu’il en coûte, à leur coefficient d’adaptation. Mais aussi, dès qu’advient le remboursement des prêts en fin de mois, à leur obligation de résultat. »

C’est un constat qui devrait inciter à plus d’optimisme.

 

Dans une économie de libre entreprise…

D’une manière générale, dans une économie de libre entreprise, rien – hormis une considération supérieure d’intérêt ou d’ordre publics, en l’occurrence inexistante – ne saurait contrecarrer les projets d’Hectar et de ses partenaires.

Ils peuvent apporter une contribution positive si leurs programmes et outils sont bien pensés. En augmentant la formation des agriculteurs et futurs agriculteurs et en ouvrant leurs horizons ; et aussi en documentant, par leur enseignement, leurs outils et l’expérience acquise par les anciens élèves, ce qui marche et ce qui ne marche pas.

Supposons que le simulateur soit fondé sur des données d’expérience solides, dûment validées et analysées. Réussir rapporte un autre propos de M. Julien Revellat, directeur associé du bureau parisien de McKinsey, qui coordonne le pôle agriculture en France :

« Notre ambition est d’accélérer la transition environnementale, sociale et économique du secteur agroalimentaire. Cette accélération implique d’étendre l’ambition de cette transition et de raccourcir son délai de mise en œuvre. L’ensemble des acteurs de l’agroalimentaire ont besoin d’identifier les choix à opérer. Pour répondre à cette problématique, le demo center agricole est un lieu de sensibilisation aux enjeux de la transition environnementale dans l’agriculture, qui replace l’agriculteur au centre. »

A priori, c’est plus alléchant que les stratégies telles que « de la ferme à la famine » concoctées par des bureaucrates hors-sol dans des contextes politiciens, ou encore des stratégies d’entreprises prétendant se convertir à l’« agriculture régénératrice » – lire : imposant des contraintes à leurs fournisseurs – dans des contextes d’écoblanchiment.

Et si la marchandise n’est pas bonne, s’appliqueront, en principe, les dures lois de l’économie. C’est aussi une bien meilleure perspective que, par exemple, ces « formations » en biodynamie – lire : « agriculture ésotérique » – dispensées par des chambres d’agriculture et des centres de formation échappant à tout contrôle (nombreux liens sur Internet !).

Hectar et Cie doit produire des récits sur l’agriculture. Mais aussi contredire M. Marc Fesneau : des récits qui décrivent la réalité.

 

Et même si…

Et même si Hectar et Cie succombait à la bien-pensance… cela ne fera qu’une voix de plus dans un grand chœur !

Ainsi, le 14 décembre 2022, l’Académie du Climat – un « truc » de la Ville de Paris avec un effectif de 45 personnes – avait organisé un événement, « L’agriculture française est-elle durable ? À quoi ressembleront les métiers agricoles de demain ? Quelles sont les évolutions nécessaires pour une agriculture vivante et résiliente ? ». Avec notamment « Francis Nappez : Codirigeant d’Hectares (sic), l’école d’agriculture de Xavier Niel ».

Wikiagri en a fait un bref compte rendu sous le titre : « Pas d’agriculteurs pour « Imaginer l’agriculture de demain » à l’Académie du climat à Paris ». En résumé :

« […] La parole a été donnée à des « experts des questions agricoles » souvent déconnectés des réalités économiques et des enjeux alimentaires de notre pays. Les politiques agricoles prodiguées par certains d’entre mettraient en danger la sécurité alimentaire de la France et de l’Union européenne. »

Pire que ça, il y a eu des propos que nous qualifieront diplomatiquement d’utopiques.

Et ce n’est pas mieux en Allemagne.

Nous en resterons là. Commençons la nouvelle année sur une note d’optimisme.

Avec mes meilleurs vœux aux lecteurs de Contrepoints.

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  • « Si nous nous glorifions (encore) d’avoir une agriculture performante » que voulez vous dire par là?

  • Les néo ruraux feraient bien de s’intéresser à notre histoire agricole avant de prétendre tout révolutionner.
    Si l’agriculture française est devenu performante, c’est avant tout grâce à l’agrochimie et à la mécanisation.
    La généralisation des pratiques « bo-bio » nous conduira inévitablement à devoir tout importer.
    Si on continue comme ça, notre agriculture connaitra le même sort que notre industrie et nos exploitations en faillite seront vendues aux Chinois.

    • «Si l’agriculture française est devenu performante, c’est avant tout grâce à l’agrochimie et à la mécanisation.»

      D’ailleurs notre agriculture n’a jamais été aussi performante que ces deux dernières décennies. Outre l’effet de la mécanisation et de la chimie, il faut rajouter celui de la sélection variétale. Mais l’effet principal depuis au moins 30 ou 40 ans (nouvelle génération mieux formée) c’est la diffusion généralisée des méthodes et connaissances agronomiques et économiques intégrant de manière raisonnée les progrès cités. Ceci dit la logique intensive a produit ses limites car tous les territoires ne se valent pas, chez moi par exemple les systèmes extensifs en élevage sont plus performants à tous points de vue. L’erreur serait de vouloir une agriculture sur un modèle unique, nous pouvons très bien avoir des agricultures qui cohabitent pour le meilleur.
      Enfin bien sûr stop à la bureaucratie !

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