Droits de succession : les vestiges illibéraux

Le principal élément qui porte atteinte à la liberté successorale est la réserve héréditaire.

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Droits de succession : les vestiges illibéraux

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 22 octobre 2022
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Dans sa tribune Droit des successions : l’hypocrisie politique, Patrick Aulnas commence sa réflexion par la phrase suivante :

« Rien n’est plus naturel que de souhaiter transmettre librement les biens que l’on possède. Si le droit de propriété n’est pas une fiction, ce principe de base est essentiel. En général, la transmission se fait vers les enfants, mais toute liberté doit exister dans ce domaine. Il appartient à chaque individu de choisir ses légataires ou ses donataires ».

Je voudrais revenir sur cette idée fondamentale pour analyser le principal élément qui porte atteinte à la liberté successorale, à savoir la réserve héréditaire.

Depuis le Code Napoléon de 1804, les règles de partage successoral entre héritiers en présence de parents proches ont très peu changé et peuvent se résumer comme suit : le devoir social de transmettre ses biens l’emporte sur la liberté d’en disposer.

 

Atteinte à la liberté de tester

La réserve héréditaire correspond à la part de la succession à laquelle les héritiers réservataires peuvent prétendre (Code civil., art. 912, al. 1er). Seule la quotité disponible peut être allouée librement par le défunt aux héritiers de son choix. La réserve héréditaire entrave ainsi la libre disposition par le de cujus de ses biens et en contrepartie la fonction économique traditionnelle qui devrait la justifier, à savoir permettre l’émancipation économique des enfants, demeure extrêmement limitée.

En effet, au XVIIIe siècle on héritait en moyenne à 14 ans alors qu’aujourd’hui on le fait à 55 ans, un âge où théoriquement on est déjà installé dans la vie. De même, sa fonction familiale ne me semble pas non plus justifiée : contrairement à l’obligation alimentaire, la réserve n’est en rien subordonnée au besoin du réservataire, comme c’est le cas dans les pays du Common Law.

Bien que la réforme de 2006 ait atténué ses effets en supprimant de la réserve les ascendants et en créant certains mécanismes permettant notamment la transmission du défunt par anticipation, la donation-partage transgénérationnelle, la renonciation anticipée à l’action en réduction, le mandat à effet posthume… il n’en demeure pas moins qu’elle constitue une limitation au droit de propriété. Bien qu’il existe des moyens de détourner la réserve héréditaire (assurance vie, rente viagère, tontine, donations…) il faut avoir encore les moyens professionnels pour organiser cette « évasion civile ».

La réserve est une entrave à la liberté du propriétaire qu’il serait temps d’abolir. En l’état actuel du droit, si un homme veuf avec deux fils adultes auxquels il a assuré un futur économique en leur donnant une éducation tertiaire de qualité, décide de faire un testament pour laisser tous ses biens à une fondation caritative, par exemple, cet acte sera nul en vertu du principe d’ordre public d’indisponibilité de la réserve héréditaire. Les fils s’enrichiront ainsi, sans aucun effort, et la société se trouvera privée d’un don essentiel. Nous pouvons dire que la réserve remplit une fonction sociale de reproduction des classes dominantes. La célèbre campagne lancée par Warren Buffett et Bill Gates, The Giving Pledge (promesse de don) afin d’encourager les personnes les plus fortunées des États-Unis à s’engager en donnant la majeure partie de leur argent à des fins philanthropiques ne peut pas se faire en France à cause de la réserve héréditaire.

 

Atteinte à l’égalité des chances

La réserve héréditaire porte atteinte non seulement à la liberté de tester mais aussi à l’égalité des chances. En rendant indisponible une partie de la dévolution successorale -par exemple si le défunt veuf a trois enfants, il ne pourra disposer que d’un quart de ses biens- la réserve constitue une limitation à la libre organisation des biens propres. Tout se passe comme si le patrimoine n’appartient plus au défunt mais aux héritiers. La succession constitue une forme automatique d’acquisition de la propriété, à la fois économique et symbolique, car il s’agit non seulement de la transmission des biens mais du pouvoir économique (direction d’une entreprise) du pouvoir culturel (dynastie d’acteurs ou d’éditeur…) du pouvoir politique (familles d’hommes publics…). L’héritage apparait ainsi comme la principale source de l’endogamie sociale.

Ce pourquoi, la réserve héréditaire constitue également une atteinte à l’égalité des chances.

Issue d’une idéologie familialiste, la réserve se fonde sur l’idée selon laquelle la propriété n’est pas bâtie sur l’individu mais sur la famille. Contrairement au droit romain (jusqu’à la période justinienne) où le testament permettait de disposer de la totalité des biens (Plena in re potestas), l’ancien droit coutumier d’inspiration germanique fait de l’héritage un bien familial. C’est cette idéologie collectiviste qui est à l’origine de la réserve laquelle sera maintenue par le droit révolutionnaire et consolidée par le Code Napoléon. Si pour les philosophes des Lumières, la propriété individuelle est d’ordre naturel, le droit de succession est une création de la loi civile susceptible donc d’être supprimé.

La justification avancée est celle de considérer que la réserve constitue un devoir familial : l’obligation d’assurer l’avenir de ses enfants et, en contrepartie, ces derniers assurent la vieillesse des parents. Ce récit solidariste, plus proche des sociétés traditionnelles que des sociétés modernes, cesse de fonctionner dès lors que l’éducation, la santé, le chômage, la dépendance, le handicap et autres avatars de la vie ne sont plus assurés par la famille mais par l’État (c’est-à-dire collectivement par l’impôt).

Le familialisme socialiste du XIXe siècle donnera les arguments moraux en faveur des successions.

De Fourier à Victor Considérant en passant par Pierre-Joseph Proudhon, l’héritage est célébré comme une institution vertueuse :

« L’hérédité est l’espoir du ménage […] Le contrefort de la famille […]. Sans l’hérédité, non seulement il n’y a plus d’époux ni d’épouses, il n’y plus d’ancêtres ni de descendants. Que dis-je ? Il n’y a même pas de collatéraux puisque, malgré la subtile métaphore de la fraternité citoyenne, il est très clair que si tout le monde est mon frère, je n’ai plus de frère ».

La doctrine sociale de l’Église catholique fera définitivement de l’héritage une question disjointe de la propriété individuelle et il sera irrémédiablement rattaché à la communauté familiale. Ainsi, pour Pie XI, le droit d’hérédité est un droit naturel qu’aucune autorité ne peut abolir car la société domestique a sur la société civile une supériorité réelle (Quadragesimo anno 1931).

Si les Français acceptent le système inégalitaire de la réserve héréditaire, sur le plan social, c’est tout simplement parce qu’ils ignorent à quel point celle-ci contribue à la reproduction des inégalités. C’est pourquoi il me semble difficile de justifier la réserve par l’argument de la solidarité intrafamiliale dès lors que les familles les plus fortunées bénéficient des mêmes avantages de l’État providence que les familles les plus démunies.

Ce mythe solidariste de la réserve héréditaire, permet, de surcroit, la reproduction d’une situation particulièrement perverse constatée par la pratique notariale, à savoir, on est libéral lorsqu’il s’agit d’obtenir les bénéfices du patrimoine familial et collectiviste lorsqu’il s’agit de faire porter par la société les charges de la dépendance, de la maladie et de l’éducation sans compter, d’une manière plus globale, sur le financement par le contribuable des grands groupes industriels privés, comme l’a démontré Olivier Toscer dans son ouvrage Argent public, fortunes privées.

La réserve héréditaire produit également une psychologie de rentier : le fils se perçoit comme créancier du patrimoine familial, il perd le goût du risque à cause du confort psychologique de la fortune future.

Comme le souligne la commission Attali :

« Dans un monde ouvert et mouvant, l’accumulation, à tous niveaux, de rentes et de privilèges bloque le pays, pèse sur le pouvoir d’achat et freine sa capacité de développement. Sans mobilité sociale, économique, professionnelle, géographique, aucune croissance n’est possible ».

L’économiste libéral Jean-Gustave Courcelle-Seneuil affirmait au XIXe siècle :

« Il convient donc d’abolir la réserve. Les intérêts de la production l’exigent ».

En 2019, GénérationLibre a demandé concrètement de « supprimer les articles 912 à 930-5 du Code civil pour y substituer un nouvel article 912 proclamant la liberté testamentaire comme droit inviolable et absolu qui parachève le droit de propriété ».

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  • Il y a pire que la réserve héréditaire. Il y a aussi la part obligatoire que le défunt doit donner à la fondation du saint état social, pour aider les moins lotis bien évidemment.
    Et cette part est incompressible. Comme disaient mes grands parents, pour l’héritage, c’est comme si on avait un enfant en plus, un ainé, dont la part ne réduit pas avec le nombre d’enfants.
    Comme 80% des français, j’aimerais bien me débarrasser de cette « réserve héréditaire » là.

    • Cela me rappelle une anecdote.
      J’ai rencontré il y a quelques mois une vieille connaissance que je n’avais pas vue
      depuis des lustres. il me demande quelles sont mes activités dorénavant.
      Je lui réponds que je travaille pour l’Etat.
      il me dit :
      – Ah tu es fonctionnaire.
      Ce à quoi je lui rétorque :
      – Non, je donne 70% de mes revenus à l’Etat.

  • La commission Attali arrive à une conclusion fausse. Les rentes et les privilèges n’empêchent pas « la mobilité sociale, économique, professionnelle, géographique, » car cette dernière dépend de la dynamique des individus et de leur désir de développement et de croissance. Sans fortune au départ, on peut justement avoir envie de s’en fabriquer une pour sa postérité en utilisant ses propres dons. C’est ainsi que de nombreux magnats se sont construits, sans attendre quoi que ce soit de leurs parents ou de l’Etat.

  • Je ne croyais pas voir avant longtemps le nom de M. Attali sur ce blog!
    L’auteur n’est pas libéral. Il se trompe de cible.
    Bien sûr il convient de supprimer la réserve (ce qui aura pour -bon- effet de renforcer le pouvoir du pater familias et partant de la famille comme lieu d’accumulation du capital, de transmission culturelle, d’apprentissage de la gestion d’actif, d’exercide des solidarités etc.) mais avant tout, il convient de redonner accès à l’héritage et à l’accumulation du capital transgénérationnelle aux classes pauvres qui en sont privée depuis près de huit générations (!) par un système de pension qui exproprie quasi toute l’épargne d’une personne pendant sa vie active et qui ne restitue rien aux héritiers de cette personne quand celle-ci vient à décéder.
    Des études existent qui ont montré tous le progrès économique et social qui est ainsi empêché par ce système qui lui, effectivement crée/maintient des inégalités sociales.
    En empêchant les pauvres d’hériter depuis si longtemps, on les a maintenu dans la pauvreté et l’ignorance économique qui les amènent à voter pour des pères noëls politiques, car oui M. Borillo l’héritage profite -profiterait devrais-je écrire- surtout aux pauvres.

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droits de succession
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