L’armée russe victime de la planification

La discipline est la force des armées, dit-on. Mais elle ne peut jouer qu’à partir d’une information fiable.

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L’armée russe victime de la planification

Publié le 21 octobre 2022
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Depuis quelques jours les observateurs de la guerre n’hésitent pas à relever les erreurs stratégiques et tactiques prises au Kremlin.Elles se sont multipliées et expliquent le succès de la contre-attaque ukrainienne. Du même coup on s’interroge sur l’origine de ces erreurs : Poutine lui-même, ou les dignitaires de la nomenklatura, ou les généraux de l’armée russe ? Je pense que la vraie réponse est très simple : l’origine c’est le système russe lui-même.

Ce qui se passe en 2022 est de même nature que ce qui s’est passé en 1927 : comme l’économie, l’armée ne peut fonctionner dans un système bureaucratique centralisé, au sein duquel l’information n’a aucun sens et n’est jamais fiable.

 

Pourquoi 1927 ? Parce que c’est le moment où Ludwig von Mises dénonce l’insanité de la planification et prédit son échec à moyen ou long terme. Le célèbre économiste de Vienne tient tête aux chantres du nouveau système mis en place en URSS. Lénine a instauré la planification, la planification va durablement ruiner l’économie soviétique.

La planification est un système économique centralisé, aux mains de l’État, l’économie naît des décrets du pouvoir. Par contraste le marché est un système décentralisé, l’économie naît du contrat qui permet à des intérêts au départ opposés de trouver un accord  (processus de la catallaxie dit Mises).

Mises va démontrer l’impossibilité pour le plan de fonctionner correctement. Car les décisions du pouvoir étatique sont fondées sur l’information qu’il recueille auprès de ses différentes administrations, et des entreprises dirigées par les membres du parti issus de la volonté des travailleurs (soviet). La qualité et la masse de cette information engendrent très vite un monument bureaucratique ingérable. Ce sont des documents dont le contenu n’est garanti que par le tampon du directeur, visé par l’échelon supérieur. Les chiffres sont, eux aussi, politiques : s’ils sont trop bons, c’est que le plan avait sous-estimé les objectifs à atteindre, donc l’entreprise risque d’avoir à travailler davantage ; s’ils sont trop mauvais, une sanction sera prise. La solution consiste donc à faire remonter des informations irréelles. La crédibilité vient du respect de la procédure, de la hiérarchie et, finalement, de la servilité.

À l’heure présente, les observateurs de l’armée russe se rendent compte des erreurs commises en haut lieu sur les stocks d’armements, de munitions, sur l’absence de forces aériennes, sur la motivation des troupes (au point que seuls les commandos mercenaires comme Wagner, les Tchétchènes, et autres tueurs professionnels sont opérationnels), sur la cote des généraux auprès du président Poutine. C’est que la dictature de Poutine s’est installée et développée au prétexte de reconstruire la Grande Russie, celle des tsars et de l’URSS.

La discipline est la force des armées, dit-on. Mais elle ne peut jouer qu’à partir d’une information fiable.

Voir les commentaires (10)

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Créer un compte Tous les commentaires (10)
  • Mais non le plan( centralisé) est idéologiquement infaillible..si il est planifié par un « bon » leader.. imaginez un Mélenchon en chine à la place de mao une rousseau au cambodge… un piketty à cuba…
    mieux imaginons un vrai peuple « collectiviste ».. c’est à dire naturellement et organiquement dénué du concept d’interet personnel ..

    Les explications ne servent à rien..le problème est dans la « méséducation » et peut être un trait psychologique de nombreuses personnes pour qui mieux vaut une bonne personne qu’une règle juste..
     » ah si j’etais président les choses seraient différentes »..

    Il n’y pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre..
    En somme l’effet placebo… le biais subjectif ..n’avez vous pas remarque que ceux qui sont rompus aux méthodes pour les ‘écarter ne sont pas pour autant immunisés dès que leur position de pouvoir est enjeu?

  • Corrélation n’est pas raison ! Sinon, l’armée Ukrainienne serait la grande avocate de l’improvisation artistique (et quelque peu connivente et corrompue). La planification montre suffisamment d’échecs patents sans aller lui chercher des responsabilités là où elle n’est pas en jeu.

  • La critique est aisée. Et notre armée n’est pas mieux que celle de Poutine. Pas de munitions, matériels pléthoriques, armée « mexicaine » (que des officiers), etc. Elle n’est certainement pas en meilleur état qu’en 1939. Même Erdogan a une armée mieux équipée.

  • Qui connait précisément les forces russes ?
    Attendez deux ou trois ans, et vous vous ferez une idée, si vous avez pu etre informé malgré la censure Ursula-néeenne. Déja au printemps 2023, la nouvelle frontière entre la Russie et l’Ukraine devrait etre nettoyée. Et la Russie aura suffisament affaibli Zelenski, pour proteger la « Nouvelle Russie », voir méme etre dégagé.
    Poutine a patienté 8 ans depuis 2014, pour que l’Ukraine manipulée par les USA cesse de terroriser les régions Russophone : 14 000 morts. Lui et ses successeurs auront la méme persévérance, n’en doutez pas.
    Le monde change Les USA ne seront bientot plus la seul grande puissance controlant le monde. La Chine est la première économie du monde, La Russie dispose d’une force de dissuasion, (Missiles hypersonique, inarrétables, sans équivalent). L’inde la Chine et la Russie sont la plus grande concentration en nombre, et en richesse naturelle.
    L’économie de L’UE est de la France en particulier sont en voie de destruction sous les ordres US.
    ETC ETC .
    Les théories sur la gouvernance a l’intériueur des armées russes sont a la Géopolitique ce que le 49/3 est a la gestion de l’immigration en France

    • « La Russie dispose d’une force de dissuasion, (Missiles hypersonique, inarrétables, sans équivalent). »
      Ça, c’est ce que Poutine veut nous faire croire. Aucune arme inarrétable sans équivalent n’est capable de régler un conflit de cette envergure, sauf à ne pouvoir être arrêtée avant d’atteindre sa cible. Si les américains ou les européens feignent de le croire, ne serait-ce pas pour pousser Poutine à la faute et déclencher l’écrasement total de son pays? ( S’il appuyait sur le bouton et que ses armes inarrétables n’existent que dans ses rêves?)

      -1
      • La planification est une chose, pleine de faiblesses et d’inconvénients. Mais les doctrines et les principes de la dissuasion en sont une autre. Refuser de se laisser dissuader est très à la mode dans nos pays de donneurs de leçons contrariés, mais c’est suicidaire. La victoire ne passera plus par l’écrasement de l’adversaire dans les conflits où chacun dispose de moyens considérables de dissuasion. Et heureusement, parce que nous sommes l’adversaire en voie d’écrasement pour ne pas avoir cru que l’énergie pouvait être une arme aussi dévastatrice que la bombe atomique, et avoir même joué les fanfarons en portant le conflit sur ce terrain.
        Poutine a déjà appuyé sur son bouton, que l’Occident lui a obligeamment tendu, celui de la pénurie d’énergie. Ce sont les Européens qui sont coincés, faute de pouvoir résoudre quoi que ce soit en pulvérisant Moscou. Les armes russes sont suffisantes pour empêcher l’Occident de prendre par la force l’énergie dont il a besoin pour sa survie. En Occident on ne sait pas jouer aux échecs, on ne sait pas voir à plusieurs coup d’avance (on appelle ça de la planification soviétique), on ne sait que tenter de reproduire les parties célèbres…

  • article sans nuance, plein de clichés…

  • Autant je comprends les critiques de Mises sur la planification, de toute façon le temps a déconsidéré ce genre de fonctionnement autoritaire et hors-sol, autant là concernant « la guerre » (ce sont les enfants qui parlent comme ça, non ?), ça ne tient pas trop la route et la démonstration est un peu courte. Déjà l’Armée Rouge a plutôt été très performante par le passé (la conquête de l’Allemagne à partir de 1942/43 n’a pas été faite par une armée de pays capitaliste) mais surtout la planification des investissements concernant l’armée est un peu incontournable, petit exemple quand le porte-avions Charles de Gaulle est entré en service, dans les années qui ont suivi il fallut penser à son successeur et commencer les provisionnements, les études, les réflexions stratégiques, on ne peut se passer d’une planification, qu’on appelle « Loi de Programmation Militaire » par chez nous. Même les USA, le Royaume-Uni et autres pays libéraux ont tous quelque chose dans le genre. Concernant la Russie, il faut voir ailleurs, du coté de leur conceptions tactiques et stratégiques qui ont l’air de remonter à la seconde guerre mondiale, un système de recrutement des forces armées avec de jeunes réservistes pas motivés pour deux sous (cf. le grand nombre de T72 ou T80 abandonnés par leur équipage) et surtout de leur manque de moyens pour investir et renouveler leur matériel, la Russie ayant un PIB à peu près équivalent au Brésil ou au Canada, un théâtre des opérations aussi vaste coutant extrêmement cher (les invasions de l’Irak et de l’Afghanistan par l’US Army ont couté un bras aux USA). Pas la peine de rajouter une louche d’idéologie là où le réel s’en charge plus simplement.

  • « La solution consiste donc à faire remonter des informations irréelles. La crédibilité vient du respect de la procédure, de la hiérarchie et, finalement, de la servilité. » Qui jurerait que notre propre système de gouvernement échappe à ce travers ?

    • C’est même certains, j’ai eu vent de comment remonte les infos dans le système policier français…ben, effectivement, entre ce que disent les policiers de terrains….et ce qui arrive aux oreilles du ministre, cela ressemble à du téléphone arabe, en gros, a partir d’un certain niveau de hiérarchie, « c’est tout va bien chez moi »

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Aurélien Duchêne est consultant géopolitique et défense et chroniqueur pour la chaîne LCI, et chargé d'études pour Euro Créative. Auteur de Russie : la prochaine surprise stratégique ? (2021, rééd. Librinova, 2022), il a précocement développé l’hypothèse d’une prochaine invasion de l’Ukraine par la Russie, à une période où ce risque n’était pas encore pris au sérieux dans le débat public. Grand entretien pour Contrepoints par Loup Viallet, rédacteur en chef.

 

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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