Hausse des taxes sur le tabac : une fausse bonne idée

Dans une optique de lutte contre le tabagisme, la France aurait beaucoup à apprendre d’autres pays étrangers.

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By: Lindsay Fox - CC BY 2.0 http://ecigarettereviewed.com/

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Hausse des taxes sur le tabac : une fausse bonne idée

Publié le 12 octobre 2022
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Le gouvernement l’a annoncé fin septembre : une énième augmentation du prix des cigarettes va avoir lieu d’ici à 2024.

Entre autres, une taxation spécifique pour le « tabac à chauffer » sera prévue (les sticks de cigarette qui s’insèrent dans un appareil électronique pour vaporiser le tabac). Si le projet s’inscrit dans le Programme national de lutte contre le tabac (PNLT), prévu de 2018 à 2022, il traduit surtout une volonté d’indexer le prix du paquet sur l’inflation, et ainsi compenser le manque à gagner pour les caisses de l’État.

Le prix du paquet devrait atteindre 11 euros en 2024 – contre 15 euros pour le tabac à rouler – en relevant le minimum de perception. Cela signifie que les produits les moins chers du marché vont être impactés. Or, ce sont précisément les catégories sociales les plus défavorisées qui constituent la grande majorité de fumeurs (soit deux fois plus chez les ouvriers que chez les cadres).

Bien que cette mesure s’inscrit dans l’augmentation continue du prix des cigarettes depuis une vingtaine d’années – avec un prix moyen de moins de 4 euros en 2002, à un peu moins de 10 euros en 2020, il existe un grand nombre de raisons pour douter de son efficacité.

 

Des politiques inefficaces

En apparence, l’impact d’une telle fiscalité comportementale peut paraître efficace. On constate une baisse progressive de la vente de cigarettes par rapport à la hausse des taxes (composées actuellement de 55 % d’accise proportionnelle et environ 16,7 % de TVA pour un paquet).

Pour autant, ces données sont à relativiser face au développement inévitable du marché noir – conséquence indirecte de ces politiques paternalistes. En effet, la baisse des ventes officielles de cigarettes ne préjuge rien du niveau de consommation. Ainsi, le commerce parallèle a explosé en Europe depuis les restrictions sanitaires liées au covid. Selon le rapport annuel de KPMG, c’est en France que le trafic de cigarettes est le plus élevé (29 %) – contrefaçon et contrebande comprises. On estime également que 35 % de la consommation est due à la contrefaçon au sein de l’UE – un niveau record en 2021.

Par ailleurs, la France compte parmi les plus gros consommateurs d’Europe – plus d’un Français sur quatre fume tous les jours -, alors qu’il s’agit du deuxième pays à la fiscalité la plus prohibitive de l’UE après l’Irlande, et le deuxième pays au monde à avoir mis en place le paquet neutre (là où le marketing de l’État se substitue à celui de l’industrie du tabac dans une optique de désincitation à l’achat).

 

L’ignorance de l’histoire économique

Il est pourtant des leçons économiques connues depuis près de deux siècles, mais passablement ignorées par la classe politique.

Au XIXe siècle, Bastiat théorise l’existence de coûts cachés par une formule simple : en économie, il y a ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. L’intervention de l’État au nom de la poursuite d’un bien commun se traduit le plus souvent par des conséquences délétères qui se manifestent indirectement, et entretiennent l’illusion qu’une telle intervention est bénéfique. C’est bien là tout le problème : les hommes politiques anticipent rarement les conséquences négatives de leurs actions. L’échec de la prohibition aux États-Unis, de 1920 à 1933, est une illustration concrète de cette théorie. À défaut de réduire la consommation d’alcool à long terme, elle a favorisé le développement du marché noir et de la violence. De facto, le gouvernement protège les cartels.

Ce précédent historique n’est pas substantiellement différent de la situation actuelle : en matière de tabac, une fiscalité prohibitive incite les consommateurs à se tourner vers des moyens illégaux. Bien entendu, les dernières statistiques sur le marché noir du tabac en France ont été remises en cause par l’organisme gouvernemental Comité de lutte contre le tabagisme.

Selon ce dernier :

« La hantise du développement d’un marché parallèle ne doit pas être un prétexte pour renoncer aux politiques de prévention ».

Même lorsqu’elles sont inefficaces ?

 

Les leçons des pays étrangers

Dans une optique de lutte contre le tabagisme, la France aurait beaucoup à apprendre d’autres pays étrangers.

À ce titre, le Royaume-Uni a vu son taux de fumeurs considérablement diminuer en 10 ans – de 24,1 % en 2010 à 15,4 % en 2020 -, notamment grâce à l’adoption d’une fiscalité proportionnelle au risque. L’idée consiste à créer une incitation économique à la consommation de produits moins dangereux pour la santé, tels que les cigarettes électroniques. Cette politique de bon sens semble porter ses fruits puisqu’on estime, rien qu’en 2017, que plus de 500 000 personnes sont parvenues à cesser de fumer grâce à la cigarette électronique.

D’autres pays, comme l’Allemagne, préfèrent traiter leurs citoyens pour ce qu’ils sont : des adultes responsables. Bien entendu, il existe toujours un certain nombre de restrictions – notamment au niveau de la publicité -, mais le niveau de tolérance générale semble plus élevé que dans la plupart des autres pays européens : les taxes sur le tabac et les cigarettes électroniques sont parmi les plus faibles de l’UE.

Mais au vu du commerce juteux que le tabagisme représente pour l’État français, il est difficile d’imaginer un revirement drastique dans les années à venir.

 

Mise à jour 12/10/2022 à 16h02.

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  • Pour avoir dans mes proches d’impénitents fumeurs, j’ai vu confirmer ce que je savais déjà : la taxe pigouvienne ne sert à rien (d’autre qu’à donner bonne conscience à son auteur).
    La prohibition renforce l’attrait de l’interdit tout en favorisant la création de produits encore plus nocifs.
    Etc.
    Certains de ces proches refusent en revanche d’autres « passions » – comme la moto, l’escalade, le parachutisme etc – par un mecanisme tout bête mais très efficace : la peur !
    Ceux qui arrêtent de fumer le font très souvent pour la même raison : une respiration qui faiblit, une toux qui persiste, un parent cancéreux… La mort qui rôde.
    Bonne idée mais bien trop timide la photo sur les paquets. Nos technocrates anti-tabac devraient se renseigner chez leurs collègues de la sécurité routière. Eux savent faire des spots bien gore pour faire lever le pied. Alors qu’il y a pourtant 20 fois moins de victimes.

  • Ceux qui decident de l’augmentation du tabac, une minorité agissante de plus en plus active, ne consomment que de la Cocqqqquue ! Ceci explique cela.
    Quand au prix du tabac ça n’intersse absolument personne, peut-etre l’Auteuse ?

  • Article plein de bon sens : ne confondons pas œuvre sanitaire et racket.
    Une question :
    « Selon le rapport annuel de KPMG, les ventes de cigarettes non fiscalisées ont atteint 35 % de la consommation totale au sein de l’UE – un niveau record en 2021. C’est également en France que la part de consommation illégale est la plus élevée (29 %). »
    Comment la part de consommation illégale française peut-elle être de seulement 29 % tout en étant la plus élevée, si la part de vente illégale sur toute l’Europe est par ailleurs de 35 % ? Il y a une contradiction.( La part française devrait être supérieure à 35 %).

    • Je me suis fait la même réflexion et j’ai pensé que finalement, il fallait peut-être inverser les pourcentages et lire: 35% en France et 29% au sein de l’UE.

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