Universités : les leçons du classement de Shanghai

Voici pourquoi les universités américaines dominent de façon écrasante le classement de Shanghai.

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Ecole polytechnique-remise des diplômes(CC BY-SA 2.0)

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Universités : les leçons du classement de Shanghai

Publié le 25 août 2022
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Cet article ne prétend pas à l’exhaustivité pour deux raisons de pondération inégale : d’une part il m’a été sollicité par la rédaction de Contrepoints en période estivale, moment de médiocre productivité. D’autre part, et plus sérieusement, écrire sur un tel sujet nécessite, dans l’idéal, une connaissance approfondie des systèmes d’enseignement supérieur, a minima des grands pays du monde. Nous n’avons pas cette prétention.

Nous examinerons d’abord les critères de choix du classement de Shanghai ce qui permettra de cerner les biais choisis. Puis nous procéderons à quelques réflexions sur les résultats, avant enfin dans un dernier temps de déterminer les raisons du résultat très moyen de la France.

 

Des critères très spécifiques et étroits

Ce classement largement contesté, vilipendé par certains, et pourtant scruté par tous, comporte un biais méthodologique qui génère mécaniquement des résultats prévisibles. Dès lors qu’on connaît la méthodologie, et à cette restriction cruciale près, les résultats peuvent être analysés avec intérêt.

Un avantage comparatif substantiel dope ici les résultats des uns, affaiblit ailleurs les résultats des autres. Il s’agit de prendre en compte les sciences dites dures (mathématiques, physique, chimie, mécanique, médecine, biologie, économie…) d’abord, toujours, exclusivement… ou presque, au détriment des autres disciplines considérées comme corsetées dans des principes méthodologiques moins rigoureux. En gros les sciences humaines qui ne comptent pour rien, ou presque, dans ledit classement.

Sont ainsi pénalisées, voire passées sous silence, les structures et institutions qui excellent en histoire, géographie, lettres classiques, littérature, sociologie, psychologie, langues, histoire de l’art, philosophie. Plus encore, ici et maintenant, pour notre pays, les critères excluent, non en droit, mais en fait, les facultés de droit. Or c’est un domaine dans lequel, nonobstant l’irrésistible percée de la common law, nos facultés excellent. De Paris 1 et 2 à Aix-en-Provence, de Montpellier à Bordeaux, Lyon et Toulouse sans compter Strasbourg, Rennes et d’autres, malgré les errements du positivisme juridique, nos professeurs de droit restent des pôles d’excellence. Nos grands juristes font partie de l’étroite cohorte des meilleurs du monde.

Quels sont ces fameux critères au nombre de six ?

Le premier est le nombre de prix Nobel et de médailles Fields (le Nobel de mathématiques réservé aux moins de 40 ans) parmi les anciens élèves. En dehors du prix Nobel de littérature, mais il est fort rare qu’un professeur de littérature à l’université soit également un écrivain renommé, tous les autres prix Nobel font partie de la famille des sciences lourdes (médecine, physique, chimie, économie).

Le second est le nombre de Nobel et Fields parmi les chercheurs de l’université. Ce second critère appelle la même remarque.

Le suivant est le nombre de chercheurs les plus cités dans leurs disciplines depuis les dix dernières années. Encore faut-il que la revue soit dite à référé (tel n’est pas le cas par exemple, sauf exception, des revues juridiques). Par ailleurs, la bibliométrie recèle un effet pervers : un auteur peut faire l’objet de multiples citations dénoncé qu’il est par ses pairs pour ses approximations et erreurs grossières. Thomas Piketty fournit un bon exemple.

Le quatrième critère fait référence au nombre d’articles publiés dans Nature et Science pendant les cinq dernières années. Les humanités en sont exclues de facto.

L’avant dernier critère est le nombre d’articles indexés dans Science Citation Index, et Social Sciences.

Enfin le dernier résume, synthétise et cristallise les autres, puisqu’il est question de « la performance académique au regard de la taille de l’institution ».

Ce qui précède peut se résumer ainsi : « dis-moi quels critères tu utilises, et je te dirai par avance les résultats… » Selon les entrées choisies, il est aisé de prévoir les résultats.

 

Des résultats cependant significatifs et éclairants

Une fois ces limites et restrictions admises, les résultats appellent des commentaires dont la portée est certaine. Ils sont essentiellement au nombre de trois.

D’abord, le classement confirme évidemment la corrélation-causalité entre le niveau du capital humain d’un pays et son développement.

Si nous descendons jusqu’au rang 100, 18 pays sont concernés.

Les États-Unis en tête de façon écrasante avec 39 citations (et 28 dans les 50 premières universités du monde…), la Grande-Bretagne (avec 7 dans le top 50). Figurent également le Japon, la France, la Suisse, le Danemark, le Canada, la Chine, l’Allemagne, l’Australie, les Pays-Bas, la Norvège, Singapour, la Suède, Israël, la Finlande, la Corée du Sud et la Belgique.

Les choses sont désormais bien établies par l’analyse économique : la richesse de chacun dans une frontière donnée (et par agrégation la richesse de tous) dépend de quatre éléments :

  1. La qualité et la prévisibilité des institutions
  2. Le niveau du capital humain, lui-même divisé en
  3. Capital éducation et savoirs, et en capital santé
  4. La densité du maillage numérique permet immédiatement l’accès aux connaissances utiles et nécessaires à nos prises de décisions et la connaissance des possibilités, actions, opportunités offertes par les autres afin d’optimiser l’échange marchand, monétarisé, comme non marchand.

 

Le classement confirme également une dimension apparemment de moindre importance, presque de nature technique, et qui pourtant confirme de façon éclatante et lumineuse qu’à partir d’une certaine taille les effets pervers engendrés sont supérieurs aux avantages évidemment attendus par une addition des facteurs de production, le travail et/ou le capital. Small is beautiful. La loi ricardienne des rendements décroissants joue à plein son rôle dans le domaine universitaire.

Il faut en apporter la preuve.

Pour les quinze premières universités du monde selon les critères de Shanghai, nous avons consulté à la source le nombre d’étudiants. Notons d’abord que treize d’entre elles sont américaines. Les deux autres anglaises, Cambridge et Oxford.

En dehors de Berkeley et University of California Los Angeles qui dépassent de peu les 40 000 étudiants, toutes ont un effectif inférieur à 30 000, à l’exception de Columbia à New York (31 455). Princeton s’autorise à en avoir moins de 10 000, Yale 12 385, Chicago moins de 15 000, le MIT 11 376 et Harvard cette année encore en pole position moins de 23 000. Cambridge et Oxford sont pour l’une à 21 956 et l’autre à 25 820. CQFD.

Autrement dit, la taille ne fait pas la qualité.

Le bureaucrate et le technocrate pensent qu’en additionnant des étudiants et des chercheurs on accroît ses chances de bien figurer. L’apparence est trompeuse. Certes théoriquement, plus il y a d’enseignants chercheurs, plus il y a de production(s) scientifique(s) et de références en bas de pages à imputer à l’université pour augmenter son score.

C’est oublier qu’à partir d’une certaine taille des coûts de bureaucratie, d’encadrement, de hiérarchie, des coûts organisationnels, des coûts sociaux, d’information, de communication et bien d’autres viennent non seulement gommer les avantages attendus de l’augmentation en travail et capital, mais encore peuvent même produire des effets pervers stérilisants et décourageants pour les plus productifs et talentueux.

Les forces des meilleurs s’épuisent dans des documents abscons, sans contenu, ni fins, ni intérêt qu’afin de justifier son existence une bureaucratie ne cesse de produire selon des mécanismes analysés avec certitude par Mises, Sauvy, Crozier et Niskanen. Si ce n’était si grave et lourd de conséquences qu’il suffise d’écrire que dans telle ou telle université la taille des caractères pour une thèse a été définie par note, ainsi que les couleurs autorisées pour la couverture… ! C’est simultanément comique, incroyable, risible, dérisoire, consternant, pathétique et tragique.

Le troisième trait notable et significatif puise dans la nature des droits de propriété. Restons dans le classement de 1 à 15, échantillon suffisant, et du reste confirmé par la suite du classement.

Parmi les 15 premières universités du classement de Shanghai, treize sont des universités privées, deux des universités publiques. (Berkeley et University of California Los Angeles). Parmi les douze premières, onze sont privées.

Le duo gagnant est donc clairement d’être de taille raisonnable (assez pour bénéficier des économies d’échelle, et point trop pour éviter les effets de l’implacable loi des rendements non proportionnels), et de mettre la responsabilité en jeu à tous les niveaux par les mécanismes féconds liés aux droits de propriété privés. Il n’est pas besoin d’être savant pour comprendre par exemple le faible effet stimulant d’un financement public assuré, quelle que soit la performance.

Ce propos ne signifie en rien que les personnels sont démotivés dans l’enseignement supérieur public. Il souligne simplement qu’un pôle d’excellence est subventionné à l’identique d’un autre qui se comporte médiocrement (nonobstant le mythe destructeur et trompeur pour les étudiants, comme pour les parents, qui laisse à penser qu’une licence en droit ou en lettres est toujours et partout de niveau identique. À ce stade on quitte l’hypocrisie pour tomber dans le mensonge).

Bien sûr, les choses sont plus complexes. Les moyens de la recherche ne comptent pas pour rien. L’écrasante suprématie de l’anglais dans les revues scientifiques a donné un temps un avantage non négligeable aux Anglo-Saxons ; mais ce point est en train d’être gommé par la généralisation de l’anglais parmi les savants.

Le niveau de rémunération incite plus ou moins. Et bien d’autres choses encore dépassant le cadre imparti à cet article. Mais enfin les faits sont là, et ils sont têtus.

Cela signifie-t-il l’échec irrémédiable des systèmes à droits de propriété publics ? Gardons-nous de tout sectarisme. Berkeley est en cinquième position, et University of California Los Angeles au treizième rang.

Appliquons la jurisprudence John Stuart Mill et Karl Popper des cygnes blancs et noirs.

Le fait que les quatre premières universités du classement sont privées ne permet pas d’inférer la proposition qui serait vraie universellement en tous temps et tous lieux.

« Toutes les bonnes universités sont privées. »

Inversement, la présence de deux universités publiques permet de confirmer cette proposition :

« Les bonnes universités ne sont pas toutes privées. »

Notons cependant une chose fort importante en termes de motivation, d’incitation, de volonté d’excellence. Berkeley a pour voisine Stanford (deuxième du classement). Si Berkeley veut avoir des étudiants d’excellence, et non pas le rebut de Stanford (16 914 étudiants), il lui faut être attirante par un très haut niveau.

La remarque vaut pour University of California de Los Angeles environnée, sinon presque encerclée par des universités privées californiennes Stanford, California Institute of Technology, etc. et même sa concurrente publique Berkeley ! Parmi les 15 premières, les deux universités publiques sont les deux seules à dépasser 40 000 étudiants : 45 057 pour Berkeley, et 44 947 pour University of California de Los Angeles)

 

La France : bulletin de notes : élève moyen. Dommage : pourrait tellement faire mieux

Le fait pour la France que l’université et les grands organismes de recherche soient, au-delà des mots, entre les mains de l’État politise le débat autour de cette question vitale. Il s’en déduit des positions extrêmes et outrancières oscillant entre excès d’honneur et procès en indignité.

L’enseignement supérieur français est il à la hauteur espérée ? La réponse est négative.

Fait il naufrage ? Non.

Est-ce un énorme gâchis ? Oui.

Après leur formation en France (payée par le contribuable dans un système public) une partie non négligeable des meilleurs part désormais vers des pays dans lesquels, des moyens de travail aux rémunérations, ils peuvent mieux épanouir leur potentiel. Au-delà de ces premières réflexions gardons-nous d’oublier les critères de Shanghai. On a vu précédemment qu’ils donnaient une prime spectaculaire aux sciences dites dures.

Certes, nos facultés de médecine donnent beaucoup de points aux universités françaises dans lesquelles elles sont installées. Certes, Orsay et Jussieu remplissent l’escarcelle de leurs universités, mais évidemment la place résiduelle, voire infime, donnée aux sciences humaines pénalise la France dans ce classement presque exclusivement consacré aux sciences dures.

La France a toujours des facultés de droit parmi les meilleures du monde, nos historiens sont très bien placés. Dans les humanités classiques nous sommes hauts dans le hit parade, et la partie de la sociologie dans le sillage de Raymond Boudon rivalise sans difficulté avec les meilleurs mondiaux. Ces considérations doivent compter si, avant l’analyse, sont d’abord examinés les résultats. Comme chaque année c’est Paris-Saclay qui domine dans les universités françaises, c’est-à-dire l’ex Paris XI-Orsay, la grande université scientifique qui a reçu en outre l’appoint récent de plusieurs écoles d’ingénieurs.

La prime aux sciences dures joue à plein, même si la faculté de droit y tient son rang, ce qui ne gâche rien. (on mesure clairement le rôle déterminant des facultés de sciences et médecine quand on constate l’absence de Paris II Panthéon-Assas, ou de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et son école de droit ou que l’excellente Université de Lyon 3 entièrement dédiée aux sciences humaines est absente, alors que l’université Claude Bernard Lyon 1 Sciences et Santé y figure).

Paris Sciences et Lettres est 40e, régressant de deux places.

Sorbonne Université est 43e, en perdant deux. (de nouveau la vérification se fait : ce regroupement récent est celui de l’ancienne faculté des lettres de Paris 4 Sorbonne, mais surtout comprend tout Paris-Centre en médecine, et l’ancienne faculté des sciences Pierre et Marie Curie à Paris-Jussieu ).

Toute la suite du classement confirme notre thèse puisque toutes les autres universités classées, par exemple Aix-Marseille Université à la 129e place, comprennent scientifiques et médecins.

Il reste pour finir à souligner deux choses : d’une part un handicap majeur pour de nombreuses universités françaises. C’est qu’une partie importante, voire dominante de la recherche en Sciences et Médecine va passer par le CNRS et l’INSERM non pris en compte dans le classement si le laboratoire n’est pas rattaché à une université ; d’autre part, quels sont les vices à éradiquer dans notre université.

Nous permettra-t-on à ce point du propos de faire référence à ces lignes que nous écrivions pour Contrepoints dans un article paru le 31 mars 2021. Nous n’en changeons pas un mot. Le diagnostic reste rigoureusement identique dix-sept mois après.

Évidemment, le fait que certains laboratoires du CNRS, en particulier en sciences, ne soient pas rattachés à une université affecte de nombreux établissements dans le classement de Shanghai puisque ce dernier ne traite que des universités :

« Le CNRS est né en 1939 de la fusion de deux organismes scientifiques qui avaient quelques années d’existence. Ici, quelque chose de très important est à rappeler. C’est sous l’impulsion de quelques très grands scientifiques de réputation mondiale que le CNRS est né.

C’est en raison du très grand retard et de la très grande misère des facultés des sciences d’avant la Seconde Guerre mondiale. Deux noms sont à jamais attachés à cette naissance. Du côté des politiques, le ministre Jean Zay. Du côté des scientifiques, le père du CNRS est Jean Perrin.

Après quelques hésitations, le régime de Vichy décida le maintien du nouveau-né qui connaît un développement assez lent sous la Quatrième République, puis exponentiel à partir de 1958. Charles de Gaulle estimait que le prestige du pays était fortement corrélé au niveau de sa recherche scientifique. Et pendant onze ans le budget du CNRS augmenta de 25 % par an.

En 1982, durant le premier septennat de François Mitterrand, le ministre de tutelle Jean-Pierre Chevènement prit une décision lourde de conséquences, c’est-à-dire intégrer dans la fonction publique d’État le personnel du CNRS. Voilà donc les chercheurs et les autres personnels fonctionnaires à vie.

Le CNRS est sous tutelle du ministre de l’Enseignement supérieur et, pour faire bref, il suffit de savoir qu’il est divisé en dix grands instituts. Neuf sont dédiés aux sciences dures, et un, mais de grande taille, aux sciences humaines. Son budget pour 2021 est de trois milliards sept cents millions d’euros dont des ressources propres de 870 millions d’euros, ce qui démontre un certain dynamisme.

Il dispose de 32 000 fonctionnaires, dont 11 000 chercheurs. Mais il faut ajouter que 44 000 autres personnes travaillent dans des laboratoires liés au CNRS. La quasi totalité de ces personnels travaille à l’université. Les salaires sont calqués exactement sur elle.

Le CNRS gère 5600 familles de brevets, ce qui les classe en sixième position derrière Peugeot, Valeo, Safran, etc. En quelques années, le CNRS a créé 1400 startups dans une perspective de valorisation de la recherche.

Ces quelques éléments rappelés, tournons-nous d’abord vers les réussites du CNRS. On ne peut, du moins si l’on est sérieux, lui dénier d’être un organisme de recherche de très haut niveau dans les sciences dures. »

En tête des classements mondiaux

Selon le classement Webometrics qui mesure l’audience des organismes scientifiques à travers le web, le CNRS est en seconde position mondiale, et première au niveau européen.

Mais certains objecteront que le CNRS n’a guère de concurrent puisque la France est parmi tous les grands pays le seul au monde où l’intégralité de la recherche n’est pas insérée dans l’Université. La réponse est aisée : si on prend un autre classement qui intègre les Universités et couvre plus de 18 000 revues scientifiques, le CNRS est toujours au second rang mondial.

Il peut aligner huit Prix Nobel de physique, deux de médecine, deux de chimie, et dix médailles Fields de mathématiques.

Ces réussites sont incontestables et attestent du niveau remarquable d’un certain nombre d’équipes. Mais ne faut-il pas dire, comme dans la publicité : « mais ça, c’était avant » ?

Préalablement, il est nécessaire par honnêteté de distinguer ce qui se fait en sciences humaines et en sciences dures. Autant, aujourd’hui encore, en mathématiques, en physique, en chimie, en  biologie, en informatique, le CNRS possède des laboratoires de niveau mondial ; autant, la situation en sciences humaines n’est pas comparable.

Là encore, il serait malhonnête de généraliser. Maurice Allais a fait toute sa carrière au CNRS, Stéphane Courtois a pu mener ses études sur le communisme au CNRS, longtemps, Pierre Chaunu a été très influent dans les nominations en histoire, Jean Tirole est passé par le CNRS. La section droit a eu pour responsable de très grands juristes jusqu’il y a un quart de siècle. À partir des années 1980, des nominations très politiques et très surprenantes sur le plan scientifique eurent lieu en sciences humaines, section qui a basculé dans trop de cas dans un militantisme systématique. »

 

Pour conclure, si on s’interroge sur les vices à évincer pour rendre nos universités meilleures un certain consensus existe parmi des personnes pourtant très opposées sur le plan doctrinal.

Nos universités sont trop grandes (cf notre point 2). Une frénésie de regroupements a été menée en ne considérant que les économies d’échelle, mais pas les effets pervers expliqués précédemment.

Ce gigantisme a entraîné une bureaucratie dont on a peu idée si on n’y est pas confronté directement. L’autonomie est une véritable farce. Nos maîtres d’il y a cinquante ans nous expliquent qu’ils géraient comme ils le désiraient, du moins la dimension des choix scientifiques et pédagogiques. Aujourd’hui, de plan quadriennal en contrats d’objectifs, des écoles doctorales aux innombrables instances, conseils, commissions, comités, un directeur de laboratoire n’a quasiment plus de temps pour chercher, comprendre, trouver, écrire. Pour continuer leur vrai métier ils sont nombreux à renoncer à des responsabilités autrefois prestigieuses et pour lesquelles la concurrence était vive.

Parmi les lecteurs, les non universitaires professionnels croient que, du moins dans les très grosses facultés à fort enjeu, la bataille pour la fonction de doyen est féroce. C’est tout l’inverse.

Le problème est désormais le suivant : convaincre une ou un collègue de se dévouer pendant cinq ans. La charge est tellement écrasante du point de vue administratif que le collègue sait qu’il met totalement sa carrière scientifique et toute autre activité en sommeil pendant cinq ans.

Or dans certaines spécialités, y compris en droit, une coupure de quelques années peut se révéler à jamais rédhibitoire sur le plan scientifique. On comprend mieux les légitimes hésitations. Dans certaines institutions la politisation au moment des élections universitaires est très grande. Les candidats ne doivent surtout pas oublier de soigner les personnels et les élus étudiants. S’il y a deux candidats proches ce sont ces deux dernières catégories qui arbitrent.

La désastreuse loi Edgar Faure n’a pas fini de polluer la vie universitaire. Quant à la loi Pécresse la courtoisie et le savoir-vivre m’interdisent de la commenter. Il serait en outre inélégant de donner le coup de grâce après une campagne présidentielle aussi performante que sa loi sur l’Enseignement supérieur qui a réussi l’exploit de mécontenter simultanément les professeurs de sensibilité libérale plus nombreux qu’on l’imagine généralement, et ceux de sensibilité social-démocrate.

Par ailleurs, l’habitude commence à se prendre de réclamer des évaluations collectives. Or s’il est vrai que fréquemment la recherche additionne de multiples talents et compétences, rien n’est plus solitaire et personnel que l’activité de recherche. On le vit dès la rédaction de sa thèse qui ne s’écrit pas à plusieurs. Et c’est tout seul que je rédige ce modeste article.

Il resterait d’autres points à évoquer, mais nous aurons écrit l’essentiel en soulignant un dernier point.

Les procédures de recrutement sont ici opaques, là incompréhensibles, là encore marquées par des biais inadmissibles. Soyons clair : en matière de recrutements universitaires aucun système n’est parfait. Comme en matière électorale chaque procédure comporte avantages et inconvénients. Mais en ce domaine comme tant d’autres on voit aisément les vertus de la concurrence et de la compétition.

Par un biais ou un autre, imaginons une esquisse de vraie concurrence entre les universités. On peut légitimement penser que les universités chercheront à recruter les meilleurs des enseignants. Et ce, pour une raison très simple et incontournable.

Dans une université les étudiants ne sont que de passage, les enseignants pour près d’un demi-siècle.

L’université qui attire les meilleurs étudiants et figure au sommet du classement de Shanghai verra par le fait même affluer nombre d’étudiants brillants qui non seulement acquitteront le prix des études, comme on paie le prix de toutes choses, mais il est vraisemblable que les meilleurs étudiants auront de très belles carrières, donc de très hauts revenus.

Ils se feront un plaisir et un devoir d’alimenter les fondations qui constituent l’essentiel du financement et des moyens colossaux des universités américaines. Et c’est avec ces moyens qu’on peut recruter les meilleurs professeurs avec de hautes propositions salariales qui à leur tour attireront les meilleurs étudiants et ainsi de suite.

Voilà pourquoi les universités américaines dominent de façon écrasante le classement de Shanghai. Pas parce qu’un Américain est en moyenne mieux doté intellectuellement que d’autres, mais parce que les bonnes institutions génèrent les bons comportements et attitudes qui font à travers l’éducation la Richesse des Nations. Et voilà pourquoi Adam Smith est grand.

Mise à jour du 226 aout 2022 : citation ajoutée

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  • Si l’on tient vraiment à briller au palmarès de Shanghaï, il faut combiner les critères de sélectivité et de visibilité, donc jouer la masse au détriment de la densité.
    C’est ainsi que la France en regroupant de petits établissements d’excellence avec de grosses universités moyennes peut se targuer de progresser en diluant la qualité au lieu de l’améliorer. La minuscule ENS-Ulm qui rafle une grosse part des médailles Fields était dans les derniers de la classe et la grosse Paris-Sciences&Lettres en la phagocytant se retrouve parmi le peloton de tête!
    D’un autre côté, ce classement même s’il est quelque peu farfelu, crée des pôles d’attractivité qui tendent par rétroaction à améliorer le niveau des mieux classés.
    C’est finalement un influenceur aléatoire mais efficace.

  • Pour briller, il faut de bons profs. Pour avoir de bons profs, il faut les payer selon leur expertise et leur travail.
    Heureusement en France, nous avons des profs comme Sandrine Rousseau qui assurent la renommée de leurs filières de formation d’excellence.
    C’est pas comme aux USA qui créent des Zuckerberg, des Gates, des Musk…

    • Je ne sais pas si vous le faites exprès mais les trois immenses fortunes américaines que vous citez ont en commun d’avoir drastiquement écourté leurs études parce qu’ils avaient mieux à faire.
      Les autodidactes ne doivent pas grand chose à leurs « bons profs ».

      • Ça prouve qu’avec une bonne formation, pas besoin d’un doctorat. Les facs américaines développent rapidement les compétences techniques et les compétences individuelles comme l’entrepreunariat. Aujourd’hui en France on rentre en fac sans savoir écrire ou lire correctement. On y fait donc des cours de grammaire élémentaire, des dictées,… bref de vrais cours d’enseignement supérieur.

  • Un article remarquable de Serge Schweitzer, sur un sujet essentiel pour l’avenir des universités et de la recherche. En effet, il montre bien les faiblesses de la méthodologie de ce classement qui, par exemple, défavorise les facultés de droit (pas de Nobel, pas d’articles dans science ou nature); mais en même temps il est lucide sur les faiblesses de l’université française, qui sont réelles, à commencer par l’absence de concurrence et la séparation, via le CNRS, voire avec les grandes écoles, de l’enseignement et de la recherche. Un article donc très bien documenté et lucide sur la réalité française; le monopole produit toujours les pires résultats.

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