La censure du web : une menace contre l’État de droit

L’autorité administrative aurait un pouvoir discrétionnaire sur les censures, notamment la capacité d’ordonner à tout hébergeur de retirer en une heure un contenu qu’elle aura identifié comme à caractère « terroriste ».

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La censure du web : une menace contre l’État de droit

Publié le 5 août 2022
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Parmi les dispositions du décret du 28 juin 2022 portant convocation du Parlement en session extraordinaire, publié le 29 juin dans le Journal Officiel, on retrouve à l’article 2 alinéa 8, l’examen de la « proposition de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière de prévention de la diffusion de contenus à caractère terroriste en ligne ».

Celle-ci fit l’objet d’un accord en Commission mixte paritaire. Disons-le d’emblée, ce texte représente une menace sérieuse pour l’État de droit, notamment en ce qu’il touche en profondeur des droits et libertés fondamentaux, dont la liberté individuelle, la liberté de communication et à l’information, le droit à la vie privée, un ensemble de libertés protégées par le Conseil constitutionnel dans sa jurisprudence.

Cette menace s’illustre entre autres par le fait que l’autorité administrative aurait un pouvoir discrétionnaire sur les censures, notamment la capacité d’ordonner à tout hébergeur de retirer en une heure un contenu qu’elle aura identifié comme à caractère « terroriste ». Ce texte illustre aussi une certaine dérive sécuritaire qui tend à investir de plus en plus le champ du numérique, que ce soit au niveau national ou au niveau supranational.

 

Le pouvoir discrétionnaire de la police administrative : un risque de censure automatique

Le problème de cette loi liberticide (et inutile), outre le fait qu’elle pense, à tort, mieux lutter contre le terrorisme en appliquant une surveillance généralisée sur Internet, c’est de confier à une autorité administrative la fonction d’émettre des injonctions de retrait dudit contenu, en une heure.

Cela va à l’encontre de l’État de droit, qui suppose notamment que lorsque des libertés fondamentales sont touchées, le juge judiciaire, gardien au sens de l’article 66 de la Constitution, des libertés fondamentales, soit saisi pour autoriser cette atteinte, dans les mesures et les proportions qu’il fixerait. Or ici, bien que des recours soient possibles, ils le sont uniquement a posteriori, l’autorité administrative n’ayant pas l’obligation de saisir le juge judiciaire. Pour reprendre le juriste Jhering, la forme « est la sœur jumelle de la liberté ». En ne prévoyant pas l’autorisation préalable du juge judiciaire, c’est donc une atteinte grave aux libertés que prévoit le texte.

Cette atteinte est d’autant plus grave quand on sait que ce texte concernera « une multitude de services en ligne, qu’il s’agisse de plateformes, réseaux sociaux, hébergeurs de vidéos ou de blogs, peu importe leur taille dès lors qu’ils sont localisés dans l’Union européenne. Cette injonction sera directement transmise à ces fournisseurs de services, sans que l’intervention d’un juge ne confirme ou non le bien-fondé de la demande ».

La censure automatique que prévoit ce texte, ainsi que le règlement européen, est contre-productive pour lutter contre le terrorisme. Pour reprendre Carl Schmitt, les terroristes sont des « sous-marins terrestres », car une frappe de ce genre peut survenir n’importe où et n’importe quand.

La crainte de cette surveillance généralisée, qui s’ajoute à la banalisation des dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun, est de voir se multiplier les injonctions administratives arbitraires, d’amener les petites plateformes à recourir aux services des géants du Web pour les détecteurs de censure automatique, ce qui diminue leurs indépendances à leurs égards et d’entraver le fonctionnement d’internet.

L’autre crainte, plus grave encore, serait l’appauvrissement du contenu sur internet, notamment en ce qui concerne la politique. La notion de « terrorisme » est très large dans le règlement 2018/0331, puisqu’elle y fait entrer, reprenant la directive 2017/541, « les actions pouvant déstabiliser le système politique », ce qui ajoute du flou et de l’arbitraire aux injonctions. En l’absence de juge, quand savoir si tel ou tel contenu vise à déstabiliser le système politique ? La notion de terrorisme est très souvent instrumentalisée par le gouvernement, on le voit notamment dans les exemples sur les dissolutions administratives d’associations.

Il est donc nécessaire d’agir sous le contrôle du juge notamment a priori et à défaut, d’avoir la possibilité de former des référés pour suspendre l’interdiction administrative. Le contrôle juridictionnel est une garantie contre l’arbitraire du gouvernement dont le contrôle de constitutionnalité, qui par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, a pu freiner voire éteindre ces atteintes aux libertés.

 

Le nécessaire contrôle juridictionnel face aux atteintes aux libertés

Un aspect essentiel de l’État de droit est le principe de légalité.

Cette théorie signifie ni plus ni moins que l’exécutif et l’administration sont soumis à la loi, aux engagements internationaux ainsi qu’à la Constitution, soumission faisant l’objet d’un contrôle par une autorité juridictionnelle (juge administratif, judiciaire et juge constitutionnel).

En ce qui concerne la censure administrative automatique, le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de se positionner dessus, notamment à l’occasion de la loi Avia (Décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2020). Le Conseil constitutionnel avait alors censuré les dispositions de la loi instituant une censure administrative automatisée (considérant 7). Le Conseil relève deux motifs de censure : la libre appréciation de l’administration et l’absence d’un recours suspensif (référé).

Enfin, il a ainsi estimé que le pouvoir de retrait et de blocage confié à l’autorité administrative portait une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication. On pourrait alors penser, ou du moins espérer, qu’en application de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel censure cette loi de transposition. Seul hic, bien que le Conseil constitutionnel reconnaît la supériorité de la Constitution sur le droit communautaire, en matière de loi transposant du droit dérivé, le Conseil a considéré qu’il ne lui revenait pas de contrôler la constitutionnalité des dispositions communautaires transposées dans la loi française, sauf si ces textes se heurtaient à une disposition expresse de la Constitution, plus précisément, si aucune disposition de la Constitution « inhérente à l’identité constitutionnelle de la France » n’y fait obstacle.

En l’espèce, on pourrait considérer que l’article 66 de la Constitution fait obstacle à cette proposition de loi, ce qui entraînera une non-conformité partielle ou à défaut, à des réserves d’interprétations minorantes au mieux, constructives au pire.

La loi présentée ici est donc inutile, « sur Internet, n’importe quelle loi de blocage peut être contournée par les personnes qui souhaitent accéder aux informations censurées. Les seuls effets de cette loi seront ses dommages collatéraux : le grand public n’aura certes plus à subir les contenus terroristes, mais il n’aura plus connaissance non plus des informations censurées abusivement » et « d’un point de vue technique, économique et humain, seule une poignée d’acteurs – les géants du Web – pourront respecter des obligations aussi strictes ».

La structure riche, variée et décentralisée du Web est vouée à disparaître.

 

Voir les commentaires (5)

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Créer un compte Tous les commentaires (5)
  • Avatar
    jacques lemiere
    5 août 2022 at 6 h 13 min

    le parti communiste exprime régulièrement la nécessité de renverser l’état voire de pendre les capitalistes..

    la lutte violente est inscrite quasiment dans ses fondements …lutte et poing levé.. le combat continue etc etc..

  • Avatar
    jacques lemiere
    5 août 2022 at 7 h 49 min

    les résistants français étaient qualifiés de terroristes.. à juste titre du pint de vue nazi..

    la violence illégitime de de l’etat… valide toujours une réponse terroriste..

    • Le terroriste ne s’en prend pas à l’Etat, il faut des c.uilles pour ça, il s’en prend à d’innocents quidams.
      Le terrorisme et la tromperie ne sont pas les armes des forts, mais des faibles (Gandhi).

  • Vais-je pleurer sur la liberté 2.0 perdue du terroriste au croissant et à l’étoile ?
    Pas mon genre.
    Alors bien sûr, quand ils sont allés chercher mon voisin et que je n’ai rien dit etc…
    Mais avant qu’ils viennent me chercher, il faudra en embaucher du fonctionnaire… et les caisses sont vides !

  • l’État n’aime la démocratie que s’il peut entièrement la manœuvrer. Quel pouvoir souhaiterait que ses « administrés » soient libres ? Les parents aussi font semblant de vouloir leurs enfants libres. Mais libres d’être eux-mêmes, de penser autrement, d’être différents ? La liberté ne se donne pas, ne s’administre pas. Elle ne se gagne qu’au prix d’un conflit avec les tenants de l’Ordre. Ce pourquoi elle est vue comme un désordre qui nécessite une police. Mille regrets pour l’internet des années 90, le village global, le forum, l’agora à la portée de tous! Il devra se poursuivre, clandestin !

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