Au Forum financier international qui vient de se tenir à Paris, le gouverneur de la Banque de France a confirmé l’intention des banques centrales de créer un euro numérique. En même temps, dans un article récent, Le Figaro se demande : « Euro numérique : à quoi servira la nouvelle monnaie européenne ? » Excellente question, à laquelle j’ai bien peur que la réponse soit « à rien ».
Dans nos pays développés, nous disposons d’une vaste gamme de moyens de paiement : outre les chèques et les espèces, une multitude de cartes de crédit et plusieurs systèmes de paiement par smartphone, entre lesquels nous choisissons pour chacun de nos achats selon les circonstances et nos habitudes. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, après des années d’existence, les cryptomonnaies sont très peu utilisées en tant que moyen de paiement : tout en faisant appel aux mêmes gestes que les autres systèmes de paiement par smartphone, elles ne présentent pas assez d’avantages pratiques sur les systèmes existants pour justifier l’inconvénient d’utiliser une autre « monnaie » que la monnaie officielle.
Un euro numérique qui ne sert à rien
Pour les utilisateurs que nous sommes, un euro numérique ne serait rien de plus qu’une alternative à Paypal, Apple Pay, Samsung Pay, Google Pay, Paylib et quelques autres. En apportant à l’euro certains des attributs des cryptomonnaies, il contribuerait certes à dissuader encore un peu plus les usagers d’utiliser d’autres monnaies, mais son effet sur la répartition établie entre les différents moyens de paiement serait certainement très marginal.
Il existe déjà 6 euros numériques « privés », dont un seul (Stasis Euro, qui existe depuis 2018) a un volume d’échange appréciable de l’ordre de 20 millions d’euros par jour, suivi de l’euro Tether vers les deux millions, les autres étant sous les 400 000 euros. On imagine mal quels avantages déterminants la BCE pourrait offrir pour modifier significativement la donne et sortir l‘euro numérique de sa position marginale. Elle prétendra évidemment que la parité de son crypto-euro est mieux sécurisée, mais sans avancer d’argument convaincant.
L’apport le plus fondamental du phénomène des cryptomonnaies est d’avoir instauré un régime de concurrence à l’échelle mondiale dans les moyens de paiement. Dans cet environnement, et en l’absence de mesures contraignantes qui seraient par définition contraires aux intérêts des utilisateurs, les monnaies numériques de banque centrale ne sont pas compétitives et resteront peu utilisées. Quels que soient les objectifs que vise leur introduction, ils ne seront atteints que de façon extrêmement limitée.
Selon François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France « la principale raison d’être d’un euro numérique est la préservation du rôle de la monnaie publique dans une économie numérique. »
Rien de nouveau sous le Soleil
Concrètement, ça veut dire quoi ? La « souveraineté monétaire » que les pouvoirs cherchent à protéger consiste avant tout à pouvoir créer de la monnaie à volonté, ce qui suppose de forcer l’utilisation de la monnaie d’État en rendant illégal tout autre moyen de paiement. En ce domaine, l’existence d’une version numérique de l’euro ne change pas significativement la situation actuelle.
Mais la « souveraineté monétaire » consiste aussi à pouvoir contrôler en tout ou partie l’utilisation des moyens de paiement. Dans les pays civilisés, c’est d’abord pour taxer et pour lutter contre la fraude et le crime organisé. Dans les dictatures, il s’agit de surveiller et contrôler toutes les transactions de tous les citoyens.
Toute tentative en ce sens impliquerait que les banques centrales introduisent dans leurs systèmes des restrictions plus ou moins sévères qui priveraient les utilisateurs de certaines facilités inhérentes aux cryptomonnaies – protection de la vie privée, universalité, liberté de choix – et rendraient les monnaies numériques de banque centrale encore moins compétitives par rapport aux cryptomonnaies « privées ».
Au total, le développement de monnaies numériques de banque centrale, que ce soit l’euro ou d’autres, est un phénomène tout à fait secondaire, inutile pour les usagers, et qui ne contribuera que très marginalement aux objectifs des organisations étatiques. Elles ne pourraient prendre une part significative dans les paiements que si l’utilisation des cryptomonnaies était sévèrement entravée par des mesures réglementaires ou juridiques qui en détourneraient les utilisateurs.
L’euro est déjà une monnaie majoritairement numérique et toutes les infrastructures sont déjà en place. La garantie qu’offre les crypto n’est pas très utile du fait que dans l’ensemble les banques sont contrôlées et il n’y a pas beaucoup de fausse monnaie (hormis celle générée par la BCE, bien sur!)
Si le souhait des dirigeants est d’utiliser un mécanisme comparable aux cryptos “libres”, ça signifie rendre public la totalité des comptes et donc mettre au grand jours les magouilles de création monétaires de la BCE…
La monnaie serait bien tenue, ce serait louable (mais inutile), en l’état c’est suicidaire…
A moins qu’il préparent “l’après effondrement monétaire”… pour redonner confiance, un peu comme le “nouveau franc” à l’époque!