Tuerie d’Uvalde : le culte de l’émotion

La tuerie d’Uvalde est une fois encore prétexte à des propositions de lois inutiles et liberticides. L’émotion a complètement pris le pas sur la raison.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 6
Photo by Melanie Wasser on Unsplash

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Tuerie d’Uvalde : le culte de l’émotion

Publié le 1 juin 2022
- A +

Horrible tragédie au Texas où Salvador Ramos, un jeune homme de dix-huit ans, a choisi d’ouvrir le feu dans une école primaire, et a tué 19 enfants et 2 professeurs. Une nouvelle fois, l’Amérique est endeuillée par une tuerie de masse.

Le drame a déjà beaucoup d’impact des deux côtés de l’Atlantique tant il a été relayé par les médias qui s’épanchent sur la chronologie des faits et ce d’autant plus qu’il aura fallu un temps très long aux forces de police pour agir (plus d’une heure), laissant donc largement le temps aux chaînes d’information en continu d’arriver sur place.

Cet événement tragique intervient alors que se crispent les positions des uns et des autres au sujet de la détention d’armes aux États-Unis. En effet, tout comme l’avortement il y a un mois avec la fuite d’un brouillon sur une remise en question du jugement Roe vs Wade, la détention et le port d’arme est un sujet extrêmement clivant pour les Américains. En utilisant l’actualité, la médiatisation à outrance de ces deux thèmes sert ici essentiellement l’agenda des politiciens qui récupèrent alors ces affaires aussi vite que possible afin de faire connaître leur plateforme politique et caractériser leurs adversaires, souvent de façon aussi caricaturale que possible.

guns make us less safe

Cette année est encore plus particulièrement agitée à ce sujet alors qu’aux États-Unis approchent les prochaines élections de mi-mandat dont on murmure avec insistance qu’elles se présentent fort mal pour les Démocrates qui pourraient perdre les deux chambres. C’est donc sans surprise que fleurissent rapidement de nouveaux appels pour ajouter une nouvelle bordée de lois fédérales contre le port et la détention d’armes à feu.

Peu importe ici que l’enquête concernant le jeune tireur d’Uvalde n’en est qu’à son début, tous les cœurs purs de l’internet se sont donné le mot pour faire savoir, d’une voix unique, que « trop c’est trop » et qu’il faut absolument une nouvelle loi, de nouvelles restrictions, afin que ceci ne se reproduise plus. Et comme le rappelait très utilement Pierre-Guy Veer sur Contrepoints en mars 2021, peu importe aussi que les fusillades interviennent toutes là où la détention et l’usage d’armes sont déjà fortement restreints, voire totalement interdits, comme les écoles, les lieux publics : même si l’interdiction de ces armes n’entraîne pas de diminution des meurtres par arme à feu, il faut interdire, par principe et parce que l’émotion commande de faire quelque chose, envers et contre tout, même (et surtout ?) si c’est inutile voire contre-productif. Par exemple, la détention d’arme est très contrôlée à Chicago mais son taux d’homicide y est bien plus élevé que dans l’Indiana ou le Wisconsin, qui disposent pourtant d’une législation beaucoup plus souple.

En réalité, cette affaire démontre une nouvelle fois de façon criante que la société occidentale n’est plus celle où l’on pose des principes et des actes sur une base réfléchie, en utilisant la raison et la logique, mais qu’elle est devenue celle où l’émotion règne en maîtresse quasiment incontrôlée. Dès lors, à chaque fait divers, à chaque actualité brûlante il est fait un véritable boulevard aux émotions : tout est fait pour que l’ensemble du troupeau humain communie d’une seule voix et d’un seul mouvement dans la même émotion, qui sera canalisée toujours de la même façon afin, officiellement, de faire disparaître le problème et, plus pragmatiquement, de bénéficier à un groupe qui, lui, ne se départira ni de son sang froid voire de son cynisme, ni de sa rationalité pour tirer les marrons du feu.

Car l’émotion est mauvaise conseillère : les propositions qui s’imposent comme « solutions » lorsque cette émotion de groupe prend le pas sur la raison ne sont pas efficaces et souvent contre-productives au point de souvent nourrir la cause même qu’elles entendent combattre.

Interdire les armes à feu n’a jamais résolu le moindre problème de fusillade, à part désarmer tout citoyen capable d’agir contre la force qui lui est opposée. Même si l’émotion laisse croire le contraire, même si certains politiciens le répètent (car un mensonge suffisamment répété devient une évidence), même si des soi-disant contre-exemples sont régulièrement exhibés alors qu’ils ne changent pourtant rien aux faits, il n’y a statistiquement aucun lien entre le nombre d’armes à feu par habitant et homicides.

nombre d'armes à feu par habitant contre nombre d'homicides par habitant

Mais l’émotion commande et il en va de même pour d’autres sujets : quelle que soit la situation, il faut absolument s’agiter, faire des choses et ce, même si le résultat obtenu est désastreux. Et ce désastre sera même l’occasion de remettre une couche des mêmes agitations et des mêmes non-solutions sur le principe du « si cela n’a pas marché, c’est qu’on n’en a pas fait assez ».

Les exemples récents abondent et ne peuvent que consterner par leur aspect répétitif démontrant que les foules n’apprennent rien ou, plus exactement, qu’on les entretient dans les fausses évidences.

Ainsi, l’émotion qui s’est emparée du monde après les attentats du 11 septembre 2001 a tracé un véritable boulevard pour la décision d’envahir l’Afghanistan en octobre de la même année. Vingt ans plus tard, le retrait des troupes américaines laisse un bilan absolument désastreux et seuls ceux qui ont exploité froidement et, pour le coup, avec rationalité, l’émotion du moment s’en sont sortis avec de juteux profits.

Ainsi et plus proche du présent, l’émotion qui a suivi la mort de George Floyd aura été le prétexte à récolter des fonds pour Black Lives Matter, ainsi qu’à des manifestations visant à protester contre un racisme présenté comme systémique. Ces manifestations sont rapidement devenues violentes, entraînant destructions, blessés et morts sur leur passage. Est-il difficile d’imaginer que ces événements ont accru le problème au lieu de le résoudre ? Faut-il oublier que, là encore, certains ont clairement bénéficié – financièrement – de la vague émotionnelle ainsi entretenue ?

Ainsi, l’émotion qui a suivi l’invasion russe de l’Ukraine aura été le prétexte à des sanctions massives contre une Russie largement préparée à les encaisser. Ces sanctions ont depuis montré leur inefficacité : la guerre ne s’est pas arrêtée du tout et Poutine n’a pas été débarqué par son peuple. Pire : l’Europe subit une crise économique et énergétique sans précédent et la monnaie européenne se fait étriller sur les marchés face au dollar… et au rouble.

Ainsi, l’émotion qui s’empare des internautes à chaque fusillade semble dicter des lois toujours plus dures contre les détenteurs d’armes légaux et respectueux des lois, pendant qu’on ne mesure aucune différence de comportement pour ceux qui les enfreignent. Pour rappel, il est parfaitement interdit en France de posséder une Kalachnikov, ce qui n’a empêché aucun des 129 morts et 354 blessés de la tuerie du 13 novembre 2015 à Paris. Du reste, pour ce même pays, la recherche du mot-clé fusillade dans Google News permet de se rappeler qu’elles ne sont pas l’apanage du seul Oncle Sam…

On peut multiplier les exemples mais tous pointent dans la même direction : une majeure partie des politiciens et des médias a compris qu’utiliser et attiser les émotions des foules est bien plus rentable électoralement (ou financièrement) que faire appel à la réflexion de chacun. Au bilan, d’émotion en émotion, la société occidentale s’enfonce dans le sentimentalisme et l’irrationnel, perdant un peu plus de libertés et fournissant à chaque étape toujours plus de pouvoirs à ceux qui alimentent cette tendance…


—-
Sur le web

Voir les commentaires (18)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (18)
  • Et alors qu’il n’y avait aucun problème de ce type au Canada, ce crétin opportuniste de Trudeau qui s’engouffre là-dedans : http://www.reuters.com/world/americas/canadas-trudeau-announces-legislation-prevent-buying-selling-handguns-2022-05-30/

    Allons-y gaiement…

    • Ce qui est marrant dans cette déclaration, c’est que les anciens détenteurs garderont leur arme. Du coup, il y a toujours un risque si on suit sa logique… Donc il faudrait en plus tous les désarmer ! 🙂

  • Avatar
    Diagoras L Athee
    1 juin 2022 at 14 h 34 min

    Les USA et la république Tchèque ainsi que la Pologne dans une moindre mesure, sont les derniers bastions du port d’arme en occident. A mon avis, malgré une résistance acharnée leur jours sont comptés. Les despotes sont tous en faveur de l’interdiction du port d’arme. Une dictature totalitaire ne peut pas se maintenir quand la population a le droit de s’armer. Le boulot des soudards, nécessaire au totalitarisme, devient alors beaucoup trop dangereux, et les despotes ne trouvent plus personne pour faire leur sale besogne.

    • Les âmes raisonnables ont compris qu’il n’y avait pas de lien entre le niveau d’armement civil d’un pays et les tueries de masse. Sinon la Suède et la Finlande auraient aussi leur lot de drames et la France n’aurait pas connu le « Bataclan ».
      Les mêmes âmes avisées s’épargneront de fantasmer sur les « armes qui protègent de la dictature ». Sinon le Japon, la Corée du Sud, les Pays-Bas en seraient, des dictatures, et le Yemen, l’Arabie saoudite, l’Irak seraient de riantes démocraties.
      Prenez le tableau livré par H16, donnez un grand coup de pied dedans, les drapeaux prendront à nouveau des positions totalement aléatoires et vous aurez peu ou prou un nuage identique pour le supposé lien entre armes civiles et régimes politiques.

      • Avatar
        Diagoras L Athee
        3 juin 2022 at 13 h 48 min

        Attention, j’ai dit que le désarmement de la population était une condition sine qua non du maintien du totalitarisme. Je n’ai pas dit que toutes les sociétés désarmées sont des dictatures. Si le désarmement est une condition nécessaire au totalitarisme ça ne veut pas dire que c’est une condition suffisante.

    • Une population qui s’arme ne menace pas tant un dirigeant qu’une population d’électeurs sensibles aux répétitions en boucle des médias à chaque crime de masse. Les dirigeants n’ont pas peur des armes, ils ont peur de ne pas être réélus.

      • Avatar
        Diagoras L Athee
        1 juin 2022 at 20 h 03 min

        Ne pensez vous pas que Caeucescu ou mussolini auraient du avoir peur des armes de leur peuple? Hitler a subi plus de 15 tentatives d’attentat en 12 ans… Les despotes désarment tous leurs ouailles si ce n’est déjà fait et jamais ils ne les autorisent à s’armer. sont ils tous stupides?

        • J’ai eu tort d’écrire « réélus », mais les despotes comme les élus craignent avant tout de perdre leur place et leur popularité. La peur de l’élimination physique ne joue guère, d’autant que les assassins trouvent toujours des armes, qu’elles soient ou non en vente libre.

          • Avatar
            Diagoras L Athee
            1 juin 2022 at 21 h 28 min

            Daladier a justement interdit le port d’arme en 1938 parce qu’il avait peur de soulèvements citoyens armés. Daladier vous donne tort.

            • Un exemple ne prouve rien. C’est la base.
              Base oubliée justement par ceux qui relient armement important et drames américains.
              Le tableau affiché par H16 aurait du vous en faire prendre conscience.

              • @Nobody one
                Bonjour,
                En maths niveau collège, un exemple qui contredit une théorie/une hypothèse suffit à recaler la théorie/l’hypothèse.

  • Excellent ! L’émotion n’est utilisée que lorsque qu’elle sert les intérêts des dirigeants. Par exemple, les récents « événements » du stade de France sont minimisés, déformés, et toute émotion qu’ils ont pu susciter dans la population est étouffée.
    D’une manière générale, toute loi innaplicacable à tous, sans exception, n’est pas une loi mais un règlement au profit du pouvoir. Les armes les plus efficaces sont-elles interdites à tout le monde ? Non, hommes de l’Etat et délinquants en disposent. Donc elles doivent être autorisées à tous.

  • c’est une constante des gouvernements de gauche: considérer le citoyen comme un être irresponsable qui doit être guidé. De là à lui laisser disposer d’armes, faut pas rêver !! Ainsi, en 1939, le radical Daladier priva les Français des armes qui auraient été bien utiles quelques années après!

  • « la société occidentale n’est plus celle où l’on pose des principes et des actes sur une base réfléchie, en utilisant la raison et la logique, mais qu’elle est devenue celle où l’émotion règne en maîtresse quasiment incontrôlée ». Conséquence inéluctable du glissement de la démocratie vers la société du spectacle. Conséquence secondaire : le triomphe du mensonge d’Etat.

    • @RX33
      Bonjour,
      « Conséquence inéluctable du glissement de la démocratie vers la société du spectacle. »
      C’est une conséquence du déni de démocratie.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
1
Sauvegarder cet article

Par Jacques Henry.

[caption id="attachment_205551" align="aligncenter" width="640"] zen en jean credits Arsian (CC BY-NC-ND 2.0) [/caption]

 

Il est bien connu qu'une poussière dans l’œil amplifie la moindre contrariété au point qu’on peut devenir irascible. Une petite douleur nous rend plus sensible aux émotions. C’est le cerveau qui gère nos réactions et nous devons faire preuve d’une grande maîtrise de nous-même pour dominer nos réactions.

D’ailleurs ces émotions peuvent être positives ou négatives, c’est s... Poursuivre la lecture

1
Sauvegarder cet article

« Docteur, j’ai mal partout, quand je touche mon ventre avec mon doigt j’ai mal, quand je touche mon genou j’ai mal, quand je touche ma tête j’ai mal… » ; et le docteur de répondre : « vous avez juste le doigt cassé ».

Le gouverné aussi dit avoir mal partout, mais c’est son doigt qui est cassé, son doigt démocratique.

Est-ce du spleen ou du blues qu’éprouve le gouverné, difficile de trancher. Mais le mal être est indubitable. Pourtant, nous essayons, nous nous débattons, tentons de trouver une position plus agréable, pour un mom... Poursuivre la lecture

Par Laetitia Devel[1. Anthropologie visuelle : image, photographie et culture visuelle contemporaine, Université Bordeaux Montaigne.

Un grand merci à Aurélie Chêne, Maître de Conférences en Sciences de l’Information et de la Communication de l’Université Lyon – Université Jean Monnet Saint-Étienne, pour sa relecture bienveillante et ses conseils avisés.]. Un article de The Conversation

La crise sanitaire que nous traversons l’exige : lorsque nous sortons de chez nous, dans de nombreuses situations, nous devons désormais être mas... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles