Les dessous des stablecoins et de la chute de Terra

À quoi sert un stablecoin ? Comment fonctionne-t-il ? Pourquoi celui de Terra s’est-il effondré ?

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Les dessous des stablecoins et de la chute de Terra

Publié le 23 mai 2022
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Article disponible en podcast ici.

Chaque crise crypto apporte son lot de drama. La dernière crise a fait chuter Terra, l’un des plus importants et médiatiques projets crypto des dernières années. Au cœur de l’écosystème de Terra se trouvait son TerraUSD, un stablecoin qui devait toujours valoir 1 dollar, mais que la crise a pourtant fait chuter à 10 cents, conduisant le projet au cimetière.

À quoi sert un stablecoin ? Comment fonctionne-t-il ? Pour celui de Terra, pourquoi s’est-il effondré ? Nous allons répondre à toutes ces questions.

À quoi sert un stablecoin

Une blockchain est certes un registre transparent et auditable par tous, mais cela reste un système clos sur lui-même.

Les programmes que l’on déploie sur blockchain (Smart Contract) ne peuvent que manipuler des actifs présents sur la blockchain. Ils n’ont aucune connaissance du monde externe et ne peuvent pas gérer les monnaies présentes hors blockchain.

Ainsi si vous avez de l’Ethereum, il faut impérativement passer par une plateforme d’échange pour les convertir contre des dollars. Cette opération vous oblige à sortir de la blockchain.

Or on aimerait bien avoir nos dollars sur la blockchain pour éviter les frais, le long processus des plateformes de change. Sans parler de notre anonymat ou de la possibilité de l’État de nous interdire les plateformes comme l’a fait Justin Trudeau avec les participants du Convoi de la Liberté.

En 2014, l’entreprise Tether a donc conçu le premier stablecoin. Il s’agit d’une cryptomonnaie, le Tether (USDT), que l’entreprise prétend valoir toujours 1 dollar.

Maintenant, si je souhaite convertir mes Ethereums en dollar, je peux rester sur la blockchain en achetant du stablecoin Tether, une sorte de pseudodollar sur blockchain.

C’est bien beau de prétendre valoir toujours 1 dollar, mais le prix est donné par le marché et Tether ne peut pas le fixer. Comment font-ils pour stabiliser sa valeur ?

Comment fonctionne un stablecoin ?

Certes, Tether ne peut pas fixer le prix sur le marché, mais il peut intervenir sur les marchés pour influencer le prix.

Premièrement, si le Tether augmente et dépasse les 1,01 dollars. Dans ce cas, très simple, Tether va créer de nouveaux stablecoins qu’il va vendre à 1 dollar sur les marchés. Le prix va ainsi redescendre à 1 dollar. C’est le cas simple, car Tether a juste à créer ex nihilo ses stablecoins et les vendre contre d’autres actifs. Il a donc une marge de manœuvre infinie.

Deuxièment, si le prix descend à 99 cents. Dans ce cas, Tether va utiliser sa réserve de change pour racheter son stablecoin à 1 dollar sur les marchés, puis le détruire. Cette réduction de l’offre va mécaniquement augmenter le prix à 1 dollar.

Contrairement à la création ex nihilo de son stablecoin, ici Tether doit échanger des dollars, euros, bitcoins, ethereums et autres pour racheter son stablecoin. La marge de manoeuvre de Tether pour contrer les pressions à la baisse dépend de sa réserve de change et de sa bonne gestion.

Suite au succès de Tether, d’autres projets sont venus proposer leurs stablecoins sur la blockchain en concurrence du Tether. Tous interviennent sur les marchés pour stabiliser le prix de leur stablecoin par un jeu de vente et de rachat.

Panorama des différents stablecoins

La clé de voûte d’un stablecoin est la bonne gestion de la réserve de change et comment l’organisme garantit au détenteur de stablecoin, la force de rachat lors de tendance à la baisse.

Pour ce faire, nous allons analyser cinq stablecoins dollar gérés par cinq projets différents. Ils sont classés selon mon avis du plus solide au moins solide.

On commence avec Binance et son stablecoin BUSD. Il est selon moi le plus sûr car Binance assure détenir 100 % de la supply (soit le nombre de stablecoins en circulation) en dollar. Un BUSD, émis par Binance, a son jumeau dollar stocké dans leur coffre. En fait, Binance peut répondre à une pression totale à la vente où tout le monde souhaite revendre le stablecoin.

Ensuite, nous avons USDC avec l’entreprise Circle en partenariat avec Coinbase. Circle prétend que 23% de la supply de son stablecoin est soutenu par autant de dollars. Les 77 % restants sont placés dans des bons du trésor américain court terme, des produits peu risqués et labélisés en dollar.

On retrouve enfin Tether, qui détient seulement 6 % de la supply en cash. Le reste va du bon du trésor américain aux actions, en passant par des dettes d’entreprises ou des métaux précieux. Et déjà, les critiques fusent sur une telle gestion. On reproche à Tether d’avoir des produits trop peu liquides voire trop dangereux pour faire face à une forte pression à la baisse. Mais pour l’instant Tether jouit de son statut de pionnier et reste de loin le stablecoin le plus utilisé et la troisième cryptomonnaie en termes de valorisation.

Enfin pour les deux derniers, on entre dans un autre monde. Notre souhait d’être à 100 % dans la blockchain est à moitié réalisé avec Tether, Binance ou Circle. Ces entreprises reçoivent des euros, dollars, yuans contre leur stablecoin. Elles ont donc un pied dans la blockchain et un pied à l’extérieur. Elles font office de pont pour que nous puissions continuer à rester dans la blockchain.

Cependant si un stablecoin décide de recevoir uniquement des bitcoins, ethereums ou autres cryptomonnaies, alors on peut concevoir un programme sur blockchain qui va algorithmiquement gérer le stablecoin en gardant sa réserve de change exclusivement en cryptomonnaie.

Une telle approche a l’avantage d’être 100 % crypto, il n’y a pas d’entreprise centralisée et opaque comme Tether. Tout se passe sur la blockchain à la vue de tous par un programme décentralisé et transparent.

Le premier projet de ce type est le stablecoin Dia. Dia est une organisation décentralisée ayant conçu un programme déployé sur blockchain qui gère le stablecoin Dia (DAI). La supply de Dia est garantie par une réserve de change de 150 % en divers cryptoactifs. Le fait d’être surcompensé permet de garder assez de réserve même quand le Bitcoin ou l’Ethereum se déprécient face au dollar. Dia a aussi un mécanisme d’urgence si la réserve devient trop basse pour protéger les détenteurs.

Et enfin, on arrive sur le canard boiteux des stablecoins. TerraUSD fonctionne comme Dia, il est 100 % sur blockchain et géré algorithmiquement par un programme décentralisé. Sauf que, contrairement aux stablecoins centralisés qui ont 100 % de la supply dans des actifs labélisés en dollar, ou comme Dia qui a 150 % de la supply en cryptomonnaie, TerraUSD n’a que 16 % (en avril) de sa supply comme réserve de change en cryptomonnaies.

Depuis les cryptos se sont effondré, la réserve de change de TerraUSD était trop faible. Il ne restait plus qu’à lui faire une attaque à la Soros pour l’achever.

Attaque à la Soros

Il se trouve que la volonté d’avoir des actifs stables n’est pas propre qu’aux cryptomonnaies. En 1992, les pays de l’Union européenne devaient garantir la stabilité des taux de conversion entre eux. Ainsi la banque d’Angleterre devait garantir la stabilité de la livre sterling contre le franc ou le mark. Or la banque d’Angleterre avait sa réserve de change trop faible pour pallier une forte chute.

Le banquier d’affaire George Soros s’en est aperçu et a organisé une attaque financière coordonnée afin de faire plonger la livre sterling. La banque d’Angleterre n’a pas pu garder la stabilité de son actif face à une telle pression et Soros est reparti le jour même avec beaucoup de profit.

Actuellement, les rumeurs s’amplifient autour d’une possible attaque à la Soros contre TerraUSD. Les attaquants seraient des puissants fonds d’investissement qui ont décelé la faille chez TerraUSD et l’ont utilisé comme Soros en 1992.

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  • Merci beaucoup pour cet article instructif! Ce que je comprends de tout ça, et dites moi si je me trompe, c’est que le monde de la cryptomonnaie essaye de reproduire un système à la Bretton Woods, où chaque dollar s’appuyait sur une quantité d’or bien réelle. Cette fois c’est le dollar qui joue le rôle d’actif réel pour garantir la valeur du stablecoin.

    Soit. Je vois assez bien l’intérêt de l’utilisateur lambda. Cependant je ne vois pas l’intérêt du créateur du stablecoin. S’il faut, pour créer un milliard de stablecoins, immobiliser autant de vrais dollars, alors comment est-ce que les gens de chez Binance arrivent à gagner leur vie? Par définition, ils auront au mieux un rendement d’exactement 0% sur les dollars réels investis dans l’affaire. Merci pour vos éclaircisements!

    • Si Binance dispose d’un capital substantiel en dollars pour garantir la contrepartie d’un stablecoin, rien ne les empêche de placer ce capital, à condition que ce soit sur des supports d’investissement suffisamment sûrs et liquides pour faire face à leurs engagements. Par exemple des bons du Trésor qui se négocient quotidiennement sur les marchés. C’est de la gestion financière classique.
      Cela dit, ce n’est pas avec ça que Binance gagne sa vie. C’est en facturant les services fournis à ses utilisateurs. Binance prend une commissions à chaque transaction effectuée sur sa plate-forme. Le stablecoin BUSD est un produit d’appel pour faire venir des clients.

    • Ne serait-ce pas que les dollars « immobilisés » peuvent être en fait prêtés sur les marchés en respectant la nécessité de liquidité, et prêtés une seconde fois aux clients via les stablecoins qu’ils garantissent ?

  • Les commentaires sont fermés.

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