Une crise alimentaire sévère se profile à court terme. Pour certains la planète alimentaire serait même au bord du gouffre.
Une planète alimentaire au bord du gouffre
Avant la guerre en Ukraine la situation des marchés agricoles était déjà tendue pour des raisons à la fois climatiques et logistiques. Le conflit à haute intensité qui se déroule sur le sol européen n’a évidemment rien arrangé. Il met aux prises deux puissances dont les exportations cumulées représentaient récemment encore près de 30 % du commerce mondial du blé et qui apportent une contribution décisive à la fourniture d’engrais.
Or les ports ukrainiens sont désormais totalement paralysés et plus de 20 millions de tonnes de blé sont bloqués dans les silos de ce pays. Une bonne partie de ces stocks a toutes les chances d’y pourrir. De surcroît la récolte à venir non seulement va souffrir des hostilités mais ne pourra pas y être entreposée, ce qui laisse augurer de difficultés encore plus grandes en 2023. Pour l’Égypte, un pays de 100 millions d’habitants dont l’approvisionnement dépend à 80 % de ce qu’il importe de la zone russo-ukrainienne, la situation est grosse de catastrophes avec à la clef des émeutes de la faim aux conséquences politiques imprévisibles. Du fait d’une vague de chaleur particulièrement précoce et étendue, même un pays comme la France est menacé de pénurie pour des commodités aussi essentielles que le blé, l’orge, la betterave et le maïs.
Les effets contre-productifs de la fermeture
Dans ces conditions la tentation du chacun pour soi est particulièrement forte comme l’illustre la récente décision des autorités indiennes de suspendre les exportations de grains.
Partout retentissent des appels à la souveraineté alimentaire qui sont autant de manifestations de repli provoquées par la crainte de ne pas pouvoir répondre aux besoins de la population.
Cela n’est pas sans rappeler la situation qui prévalait en France au XVIIIe siècle. À l’époque chaque province gardait jalousement sa propre production de grains dont la circulation au sein du territoire était entravée par toutes sortes de règles et de taxes. Au même moment, dans deux régions voisines, l’une pouvait souffrir de disette et de prix très élevés alors que l’autre connaissait un excédent provoquant l’effondrement des cours, ce que Turgot, par un bel oxymore, appelait « la misère de la surabondance ». La solution qui s’imposait était d’établir la liberté de circulation des produits agricoles, ce que le ministre de Louis XVI tenta de faire par un édit de septembre 1774. Mais cette politique se heurta rapidement à une forte hostilité populaire motivée par la crainte des méfaits de l’ accaparement et de la spéculation. En résulta la « guerre des farines », une série d’émeutes violentes qui secouèrent le pays en avril et mai 1775. En 1776 la mesure dut être abrogée.
En 1787 une nouvelle tentative fut menée pour libéraliser ce commerce mais Necker, hostile aux libéraux, rendit la loi inopérante en 1788 dans un contexte de mauvaises récoltes. On connait la suite.
Des marchés d’autant plus efficaces qu’ils sont mieux informés
Ce bref rappel historique souligne l’inanité des mesures de restriction dont on sait que les effets sont toujours contre-productifs. Leur seul avantage à court terme est politique : à une population qui vit dans la crainte de la pénurie, elles donnent une réponse simple et lisible mais trompeuse. Avec ce signal politique on appuie en fait sur le bouton panique sans rien résoudre à moyen terme.
C’est donc à juste titre que l’OCDE continue à défendre les effets bénéfiques du commerce international et du développement des échanges internationaux dans un cadre de libre-échange.
Pour donner un ordre de grandeur, 20 % des calories alimentaires consommées dans le monde ont traversé une frontière, 80 % ne l’ont pas fait. Mais pour nombre de pays situés en Afrique et au Moyen-Orient, ces calories importées sont vitales.
Si le meilleur moyen d’assurer leur sécurité alimentaire passe par le recours aux marchés, il faut tout faire pour assurer leur bon fonctionnement et si possible l’améliorer, ce qui passe par une meilleure circulation de l’information sur les prix et les quantités disponibles.
C’est précisément ce que permet de faire le système d’information sur les marchés agricoles (ou AMIS) créé en 2011 à l’initiative du G20.
Il s’agit d’une plateforme regroupant de grandes institutions (comme la FAO, l’OMC, la Banque mondiale et l’OCDE) pour améliorer la transparence des marchés alimentaires et encourager la coordination des politiques internationales en temps de crise.
Le constat de départ est que « le manque d’informations fiables et à jour sur l’offre et la demande de cultures et la disponibilité des exportations » ainsi que « la transparence insuffisante du marché à tous les niveaux, y compris en ce qui concerne les marchés à terme » sont les principaux moteurs de perturbations des marchés alimentaires mondiaux. Simultanément il faut assurer un meilleur « suivi des intentions de plantation, du développement des cultures et des informations sur le marché intérieur ».
L’objectif d’AMIS est donc d’identifier les meilleurs moyens de gérer et d’atténuer les risques de volatilité des prix alimentaires sans fausser les marchés. Cela passe par le recueil et le traitement de données fiables permettant d’identifier les facteurs de risque et d’y répondre non par le repli qui est synonyme de guerre économique mais par la coopération et la facilitation des échanges. On rejoint là un des fondements les plus robustes de l’analyse économique : la qualité de l’information est une condition sine qua non du bon fonctionnement des marchés.
Atténuer la fébrilité ambiante
Face aux tensions croissantes qui se manifestent aujourd’hui, il faut aller plus loin et multiplier les outils pour atténuer la fébrilité des transactions agricoles. C’est le but que poursuit l’initiative Food and Agriculture Résilience Mission (FARM). Portée par l’Union européenne, chapeautée par la France qui en assure la présidence et prise en concertation avec l’Union Africaine, elle a pour objectif de prévenir l’impact sur la sécurité alimentaire mondiale de la guerre menée par la Russie en Ukraine, un impact désastreux mais qu’on espère transitoire. Il s’agit de faire en sorte que les produits agricoles ne deviennent pas une arme de guerre servant des buts géopolitiques et à cette fin de maintenir l’offre alimentaire mondiale à un prix abordable. Cela passe par des mécanismes de solidarité entre les États. Mais cela repose aussi et surtout sur une double action pour d’une part renforcer les capacités agricoles (ce qui suppose que les mesures malthusiennes mises en place au sein de L’UE soient levées) et d’autre part lutter contre les barrières commerciales injustifiées.
On voit que face à une crise d’une ampleur exceptionnelle, les réponses appropriées sont d’ordre libéral. L’objectif est bel et bien de rendre les marchés agricoles plus efficaces à l’échelle mondiale et non d’attendre le salut d’une hypothétique souveraineté alimentaire qui n’est que l’autre nom de l’égoïsme et du repli sur soi.
L’alternative au libre-échange, c’est le lebensraum
On peut étendre le raisonnement à l’ensemble du commerce mondial. On ne peut attendre que le pire des mesures de restriction aux échanges qui fragmenteraient un peu plus le monde en zones économiques rivales comme ce fut le cas entre les deux conflits mondiaux. En pensant que des mesures protectionnistes sévères permettraient de surmonter la dépression initiée par le krach de 1929, les grandes puissances de l’époque se sont livré une guerre économique qui n’a pas tardé à dégénérer en guerre tout court.
Il faut aujourd’hui tout faire pour éviter la vertigineuse contraction des flux commerciaux internationaux survenue au début des années 1930 en se souvenant des ravages qui ont suivi. Céder à la tentation de la fermeture c’est remettre au goût du jour la conquête par la force de territoires de pays voisins riches en ressources dont le pays agresseur ne dispose pas sur son sol. L’alternative au libre-échange, ce fut dans le passé le lebensraum, la prise de contrôle par les nazis des champs de pétrole roumains, l’accaparement des blés ukrainiens. Sous nos yeux incrédules ce sont les destructions que la Russie inflige à la malheureuse Ukraine.
je dois reconnaitre que tous ces appels à l’indépendance me laisse songeur… mais en fait, sans en avoir défini les modalités , on ne peut rien dire..
si il s’agit du CHOIX de ne pas échanger avec l’etranger, c’ets une connerie..
si l’indépendance e se constate.. qu’elle est le résultat du libre choix des gens du pays.. fort bien..
car l’indépendance IMPOSEE ,comme toute autre, donc des restrictions de circulation , contrainte a un cout..
elle DOIT d’ailleurs aller de pair avec une politique « sociale »…puisque c’est une choix délibéré d’augmenter les cout des aliments.
comme d’ailleurs devraient être les interdictions IDEOLOGIQUES des pesticides ,engrais de synthèse , l’obligation du bio ou du commerce local…
sinon c’est marie antoinette et sa brioche..et ça finit mal pour la marie.
Bizarrement parce que des couillons crachent sur la mondialisation, en la présentant comme un projet, alors que c’est avant tout un fait..que certains voient des coupables…
non la libéralisation économique c’est comme les nitrates, ou le pétrole humanité doit faut lui dire merci..
l’indépendance alimentaire obligatoire, ça commence par acheter une pomme car on ne peut plus acheter une orange.. ce quoi passe encore, puis.. il faut se passer de pomme,
le pire dans c’affaire est que la france est un pays au potentiel agricole évident!!! que les paysans français crachent sur a mondialisation car ils ne se rendent pas compte que c’est la politique en général qui a plombé leur compétitivité …
quand ils se révoltent de voir u lait allemand arriver en france, ils devraient se poser la question pourquoi, il peut être moins cher!!!! et non le détruire… mais il est vrai qu’en france une ferme avec mille vaches c’est « inacceptable »…
J’observe dans la plaine de Limagne une nette augmentation des surfaces de tournesol. Coïncidence ? ça ressemble a de la réactivité non ?
La même réactivité qui a conduit à installer en 2020 une usine de masques aujourd’hui bien triste au bord de la RN12… Le libre-échange, les avantages comparatifs sans que l’Etat se mêle de les taxer, et le boycott des boycotts, il n’y aurait que ça d’efficace.
A partir du moment que ce n’est pas avec des subventions gavées de notre fric mais avec celui de celui * qui plante des tournesols ou qui décide à fabriquer des trucs en papier, moi ça me va, voire même je pourrais même mettre un billet.
Sinon, oui forcément…
* ou celui de la banque ou de ses associés )
Désolé pour les répétions.
Simple supposition je présume ? Beaucoup d’agriculteurs en Limagne sont de vrais entrepreneurs qui suivent les marchés. Ils ont remplacé le maïs par le tournesol par opportunité je pense (et en plus avec ce printemps sec la culture du tournesol est moins exigeante).
je m’adresse à MichelO
J’avoue mon ignorance des détails de la culture du tournesol, je doute simplement qu’il suffise de commander des semences de tournesol plutôt que de maïs et qu’il n’y ait pas un investissement significatif à consentir, dans des machines ou autres, qui ne demande pas pour sa rentabilisation plus que les deux ans probables avant le retour dans le jeu des producteurs historiques.
Ce n’est pas une quelconque crise alimentaire qui déclencha la révolution française. C’est l’insécurité en raison de milliers de bandits dans la capitale et quelques agitateurs politiques qui ont mis le feu. D’ailleurs plus généralement, les crises alimentaires n’ont jamais provoqué de conflit surtout à grande échelle. Elles peuvent provoquer des remous sociaux et politiques internes, apparemment pas suffisant pour dégénérer en guerre. Un peuple affamé ne se révolte pas, souvent ce sont les femmes qui manifestent d’ailleurs, il fuit ou se laisse mourir.
Je peux me tromper, j’espère que non mais la situation ne me semble pas hors contrôle.
Difficile de prendre comme référence un temps où ni les chaînes d’info continue ni les réseaux sociaux n’existaient. Désigner des affameurs, réels ou boucs émissaires commodes, à la vindicte publique est devenu un bien puissant levier avec lequel soulever le monde.
Mouais ! L’instrumentalisation n’est pas nouvelle.
Eadem, sed aliter
La devise répond à qui ?