Face à l’incertitude, soyez vulnérable

Les dirigeants doivent admettre une forme d’humilité face à la réalité, et accepter que cette vulnérabilité est en fait une force.

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Face à l’incertitude, soyez vulnérable

Publié le 11 mai 2022
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La prise de décision en incertitude est un art difficile. L’une des raisons est que dans leur grande majorité, les outils et les concepts que nous utilisons sont ceux du risque, c’est-à-dire propres aux situations répétées. Ils considèrent l’incertitude comme quelque chose dont il faut se protéger. Ce modèle mental de la protection, qui semble si logique, se révèle en fait contre-productif. Et si, au contraire, il fallait se garder de (trop) se protéger de l’incertitude ?

Ce cadre d’une grande entreprise industrielle ne décolère pas. Depuis le premier confinement, son dirigeant a fortement accentué la centralisation et exige de valider en détails toutes les décisions, même les plus opérationnelles. Les cadres intermédiaires sont frustrés et démotivés, le fonctionnement de l’entreprise s’alourdit considérablement, mais malgré de nombreuses protestations, le dirigeant n’en démord pas.

Une telle situation n’est pas vraiment surprenante. Après tout, un modèle mental prédominant du management, et que j’ai moi-même entendu de nombreuses fois exprimé par des dirigeants, est que le rôle du chef est de réduire l’incertitude pour ses équipes. La recherche en management a par ailleurs montré depuis longtemps que la réaction dominante face à l’incertitude en général, et face à un choc brutal en particulier, est celle de la protection, basée sur le renforcement des postures, plutôt qu’une remise en question des pratiques.

La pandémie a amplement confirmé ces résultats. On renforce notamment la posture prédictive en essayant de prédire « mieux », en développant l’analyse, les scénarios, et en faisant appel à toujours plus d’experts pour essayer de décrypter un avenir bien opaque. Sur le plan de l’organisation, on accentue la centralisation pour accélérer la décision et mieux la contrôler, la croyance étant que renforcer le contrôle permet une meilleure maîtrise des événements.

Même quand la tempête se calme, il est difficile de revenir en arrière. Si cette réaction de rigidification des systèmes et des postures semble logique, et qu’elle n’est évidemment pas totalement sans intérêt, elle est néanmoins contre-productive en incertitude.

L’incertitude : une question de posture

L’incertitude peut en effet être définie comme l’absence d’information objective sur un phénomène considéré. Cette incertitude provient du fait que celui-ci est très largement inédit, souvent complexe, en développement sur un temps long, et caractérisé par de nombreuses dimensions. L’épidémie de covid est un bon exemple : à la différence d’un lancé de dé ou d’un vol de voiture, son origine est difficile à déterminer.

On se ne sait pas quand elle se terminera, si elle se termine jamais. Ses conséquences sont multiples et souvent imprévisibles : sanitaires bien sûr, mais aussi sociales, économiques et politiques. Et ces conséquences se développeront probablement pendant des années à venir. Ou peut-être que l’épidémie disparaîtra dans quelques mois. Il est impossible de le savoir. La guerre en Ukraine est un autre exemple de ces phénomènes caractérisés par une grande incertitude.

Le problème d’une posture trop affirmée de protection et de contrôle est qu’à trop vouloir se protéger, on finit par s’isoler du réel. Une armure, si forte soit-elle, n’est de toute façon jamais une solution universelle, comme l’ont bien montré les désastres de la chevalerie française à Azincourt. On peut avoir une armure solide et mourir du choléra.

Le paradoxe d’une posture de protection en incertitude est donc que celle-ci accroît les risques d’échec. Mais le danger de cette posture va plus loin. En réduisant la capacité d’action au nom de la diminution du risque, elle conduit également à empêcher de tirer parti des opportunités créées par l’incertitude. Si elle est porteuse de dangers, l’incertitude est en effet également une source d’opportunité. L’incertitude existe parce que le futur n’est pas déterminé. Si il l’était, nous ne pourrions rien faire et nous ne serions que des spectateurs de « forces historiques » indépendantes.

L’incertitude est donc la condition de l’action humaine, et notamment de l’action créatrice. Elle est consubstantielle à l’action des acteurs créateurs de nouveauté dans le monde : artistes, scientifiques, entrepreneurs et innovateurs en général.

Ce que ces créateurs admettent, c’est que s’ils ne peuvent pas toujours contrôler ce qui se passe, et s’ils ne sont pas nécessairement capables de le prévoir non plus, ils contrôlent néanmoins de quelle façon ils peuvent en tirer parti. Ils acceptent de relâcher un contrôle sur la réalité, de toute façon largement illusoire, pour se focaliser sur ce qu’ils peuvent contrôler : leur propre action en lien avec cette réalité.

D’une posture de protection à une posture d’ouverture

En effet, la clé pour agir dans une réalité incertaine et changeante de façon inattendue est de garder un lien créatif avec celle-ci. Bien sûr il ne s’agit pas d’abandonner entièrement l’idée de protection, mais de ne pas réduire sa posture à la protection seule.

La seule façon de créer, ou recréer, un lien créatif avec la réalité changeante est de s’ouvrir, de laisser passer de l’air et de la lumière dans l’armure. Cela signifie, d’une certaine façon, accepter une part de vulnérabilité, celle-ci caractérisant « ce qui peut être atteint facilement ». Il faut donc accepter de pouvoir être atteint facilement par la réalité et ses surprises, avec naturellement les risques que cela comporte.

La vulnérabilité est donc une condition qui permet une meilleure connexion au réel, parce qu’elle laisse passer des choses que l’on voudrait normalement bloquer. Cela signifie que les dirigeants doivent admettre une forme d’humilité face à la réalité, et accepter que cette vulnérabilité est en fait une force.

Face à l’incertitude, changer le modèle mental du management

Bien entendu, la vulnérabilité n’est pas un concept facile à vendre aux managers. Ils ont été formés et endoctrinés à l’idée que le chef sait tout, prévoit tout et peut tout, et qu’il doit protection à ses équipes qui, elles, sont en capacité moindre de penser et d’agir et qui ont peur d’un avenir incertain. Ce modèle mental est un héritage médiéval ; il est totalement dépassé, et doit évoluer.

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  • C’est l’approche des stoiciens : ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous.
    Il y a sans doute des dirigeants un peu plus plilosophe que d’autres..

  • Ça ressemble beaucoup au concept d’antifragilitė développé par N. Taleb.

  • Les commentaires sont fermés.

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