Ce qu’un tampon sur des passeports russes nous enseigne sur la stratégie

Un coup de tampon est apposé sur les passeports des soldats russes qui refusent de rejoindre le front en Ukraine. Voici ce que cela nous apprend.

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Ce qu’un tampon sur des passeports russes nous enseigne sur la stratégie

Publié le 2 mai 2022
- A +

La stratégie est le domaine du paradoxe, et l’un de ces paradoxes est que le plus fort n’est pas nécessairement celui qui a les oripeaux de la puissance. C’est ce que nous révèle un détail en apparence insignifiant, un coup de tampon apposé sur les passeports des soldats russes qui refusent de rejoindre le front en Ukraine.

Le tampon est imposant, il fait bien 3×5 cm, et l’encre est rouge pour qu’il soit bien visible. Il est censé être infamant. Il indique « Sujet à la trahison, aux mensonges et à la tromperie. A refusé de participer à l’opération spéciale en Ukraine. » Il est désormais apposé sur le passeport de tout soldat russe qui refuse de rejoindre le front ukrainien. Il est un des symboles par lesquels l’État marque son autorité sur l’individu. Il est normalement un symbole de force, mais il est ici une marque de faiblesse. Il ne serait pas nécessaire si les volontaires accouraient de tout l’empire russe pour rejoindre le combat. De leur côté, les Ukrainiens n’ont pas besoin de tampon, ils ont juste besoin d’armes. Le paradoxe apparent est que celui qui a les attributs de la force est en fait faible tandis que celui qui semble faible a la force de son côté.

La surprise de Xerxès

Cette situation n’est pas nouvelle dans l’histoire. En 480 avant JC, Xerxès, roi des Perses, conduit son armée à travers les Dardanelles sur le territoire grec. Derrière lui se dressent des centaines de milliers d’hommes venus de tout l’empire. Après avoir inspecté son armée, il interroge Demaratus, un roi grec qui l’a rejoint après avoir été victime d’une intrigue.

Les Grecs vont-ils résister lui demande-t-il ?
Oui, répond ce dernier. Par son courage et sa vertu la Grèce se défend contre la soumission.

La Grèce est pauvre, et son courage et sa vertu (arete) sont le produit d’une discipline basée sur la pauvreté, la sagesse et des lois strictes. Et parce que ces vertus sont apprises dès le plus jeune âge, elles sont d’autant plus profondément incarnées.

La réponse ne plait guère à Xerxès. Pour lui, et pour une longue lignée de despotes à sa suite, libre  signifie désorganisé et faible.

Symbole de force, symbole de faiblesse

Contre la puissance apparemment invincible de Xerxès se dressait pourtant une idée, celle d’une cité d’hommes libres soumis à la loi, et cette idée était déterminante. La loi (nomos) au sens de culture et de coutume, était un modèle mental qui unissait tous les membres de la cité et lui donnait sa force.

« Le Pape, combien de divisions ? » demandait Staline.

Ce à quoi répondait rhétoriquement André Glucksmann quarante ans plus tard :

« Aucune camarade. Mais si le Saint-Père est susceptible de soulever la Pologne, on peut calculer l’équivalent militaire de ses bénédictions apostoliques en cherchant combien de tanks et de policiers en annulent l’effet. »

À la fin, la puissante armée perse, dont la discipline était le produit d’une pression externe, est finalement défaite à Salamine par des Grecs inférieurs en nombre mais qui savent pour quoi ils se battent. Les modèles mentaux grecs – liberté et soumission à la loi – se révèlent plus forts que les ordres d’un despote pourtant puissamment armé.

L’équation de Napoléon

Napoléon l’observera d’ailleurs plus tard :

« À la guerre les trois quarts sont des affaires morales ; la balance des forces réelles n’est que pour un autre quart. »

Ce sont les modèles mentaux qui gagnent et qui dérangent les calculs de forces. Cela n’a rien de nouveau et nous continuons pourtant à l’oublier.

Depuis des semaines, les meilleurs experts militaires nous expliquent ainsi que les assiégés de Marioupol n’en n’ont plus que pour quelques heures. Pour l’esprit rationnel et calculateur, qui additionne les choux d’un côté et les carottes de l’autre, cette résistance n’a aucun sens, et surtout aucune chance de l’emporter face au fameux rouleau compresseur russe. Et pourtant les jours passent, et chaque jour qui passe est une victoire pour la résistance des Ukrainiens, qui savent pour quoi ils se battent, et une défaite pour les Russes, qui eux ne le savent pas, et qui sont obligés d’immobiliser quinze mille hommes tant que cette résistance continue. Créer cette asymétrie du faible au fort, c’est l’essence même de l’idée, du modèle mental. Combien de divisions ? Beaucoup !

Ainsi, libre ne signifie pas forcément désorganisé et faible, mais les hommes libres ne gagnent pas toujours.

Après la victoire contre Xerxès, Athènes et Sparte se sont affronté dans la fameuse guerre du Péloponnèse. Athènes la démocratique finira par perdre. Pourquoi ? Parce que la cité qui se vantait de gouverner avec la loi et la raison a fini par céder au populiste Alcibiade qui a excité le peuple en se lançant dans une aventure, l’expédition en Sicile, présentée comme un coup de maître. L’expédition se solde pourtant par un cuisant échec pour Athènes, qui mène à la reprise des hostilités avec Sparte et, en -411, à la fin de la démocratie.

La force du faible

La caractéristique de la stratégie est d’être paradoxale.

Celui qui possède les attributs de la force (armée, équipements) peut se révéler faible. Celui qui semble faible (infériorité numérique, manque d’équipement) peut s’avérer fort. Car la décision n’est pas uniquement le produit d’un calcul numérique mais une question morale.

C’est pour cela que les démocraties, en apparence si faibles car désorganisées et divisées face aux despotes, peuvent prévaloir à la fin, pour peu qu’elles croient en leur modèle et qu’elles le défendent, et qu’elles ne cèdent pas aux sirènes des Alcibiade en leur sein.

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  • Ce que montre aussi le tampon, c’est que la Russie ne se considère pas en guerre : autrement, aucun soldat ne pourrait refuser de rejoindre le front

  • Curieuse histoire, dont à ma connaissance vous êtes le seul à faire écho…
    Auriez-vous l’obligeance de fournir des sources, des preuves ?
    Une photo du tampon, par exemple ?
    Et pour calmer votre parti pris, peut-être pourriez-vous vous renseigner sur les conditions de recrutement (forcé), de formation (très sommaire), et de management des troupes ukrainiennes ?
    Selon certains témoignages, le commandement est fait sans respect pour la vie des soldats, ni des civils.
    Des rumeurs insistantes sur la revente au marché noir des armes envoyées circulent…
    La première victime de la guerre, c’est la vérité.

    • La propagande russe n a aucun mal a influencer de nombreux franchouillards qui adorent le boucher du kremlin……😁😁😁😁

      -7
      • Franchouillard, boucher, je vois le niveau…
        Quand aux sources…?

      • La propagande ukrainienne incessante ne lasse guère le franchouillard, alors que s’il était équipé d’un minimum de sens critique, elle le devrait. Les bouchers sont ceux qui envoient des obus. Que ce soit avec des canons russes ou des canons généreusement offerts par la France n’entre pas en ligne de compte. Que ce soit avec un uniforme ou un simple brassard de milicien non plus. L’urgence devrait être de trouver une solution de paix. Que ceux qui s’y refusent soient payés par Zelensky, Biden, Macron, Poutine, ou leur propre ego mal informé et mal éduqué, quelle importance ?

    • La seule source que j’ai pu trouver pour cette information est le site de partage humoristique douteux 9gag. Franchement, Monsieur Silberzahn nous avait habitués à mieux en matière d’articles !

      • A ce que je comprends, 9gag est un site basé à Hong-Kong qui permet à n’importe qui de reposter anonymement n’importe quoi, en usurpant plus ou moins les droits d’auteur. D’après Amanda Hess, il ferait partie d’un « écosystème connecté de vol de blagues ».
        Ce ne poserait bien sûr pas de problème de fiabilité si l’info se trouvait aussi ailleurs. Quelqu’un a-t-il réussi à lui trouver une autre source ?

        • A propos de cette source, le mieux serait que M. Silberzahn lui-même nous la donne.
          Quand on prend le temps d’écrire un long papier à partir d’une telle information, on devrait être capable de citer ses sources… 😉

    • « La première victime de la guerre, c’est la vérité.« 
      On devrait le savoir depuis Comité Francais de liberation National de 43 ; on a assisté a un « Blanchiment « des libérateurs « avant leur presence visible !! jusqu au «  19 Mars 1962 ?
      A quoi joue une femme comme PELLOZZI , a se solidariser des BURISMA BOYS Pere et Fils?
      Toujours pas de nouvelles du Procureur SCHOKIN ?? Les
      Democrates sont des gens curieux dans le registre du faux semblants .
      Kagan dans « Foreign Affair « en est l exemple !
      Poutine joue sa diagonale du Fou !
      Tout va bien jusque la !
      Finalement Trump a moins de mort sur la
      Conscience n en déplaise
      « Aux Chaponnés médiatiques » !

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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