Liberté d’expression : qui a peur du nouveau twitter ?

Les gens qui disent : « La liberté d’expression ? Oui, mais… attention aux débordements, on ne peut pas tout dire ! » ne sont pas des gens mesurés, mais des lâches qui donnent à leur trouille les contours flatteurs de la pondération.

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Elon Musk by Daniel Oberhaus (creative commons CC BY 2.0)

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Liberté d’expression : qui a peur du nouveau twitter ?

Publié le 30 avril 2022
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Elon Musk rachète Twitter ! L’homme le plus riche du monde s’offre ce qu’il appelle lui-même « la place publique numérique [digital town square] où sont débattues les questions vitales pour l’avenir de l’humanité. » Il y a un petit côté « moi, riche et célèbre, maître du monde » dans la façon dont s’est nouée cette affaire en quelques jours pour 44 milliards de dollars. Mais là n’est pas le reproche essentiel adressé au patron de SpaceX et Tesla.

Tout autre milliardaire plus acquis aux idées de contrôle des « discours de haine » et des fake news sur internet aurait certainement été accueilli avec joie. Mais voilà, Elon Musk déboule sur le marché de l’information et des opinions avec le dessein spécifique d’y renforcer la liberté d’expression et soudain, rien ne va plus : pour de nombreux grands démocrates autoproclamés et autres gentils woke  conscientisés, son projet reviendrait ni plus ni moins à menacer la liberté et la qualité des médias traditionnels et à soutenir Trump, le patriarcat et le suprémacisme blanc !

À propos de Trump, qu’ils se rassurent. Ce dernier a expliqué qu’il ne reviendrait pas sur Twitter mais resterait sur Truth Social, le réseau qu’il a lui-même créé. C’est du reste un élément important à prendre en compte : Twitter n’est ni la seule « place publique » au monde – j’aime penser qu’à sa façon, mon blog est aussi une petite place publique au sein de l’univers de la production et de l’échange d’idées – ni la plus importante, loin s’en faut.

De nouveau lieux peuvent apparaître, d’autres s’effondrer, car finalement, l’utilisateur (payant ou pas) des médias et des réseaux sociaux reste le roi : lui seul décide d’y participer ou pas, lui seul choisit le support qui lui convient le mieux, lui seul exerce ses préférences dans le choix de ses amis, ses publications personnelles, ses likes et ses partages. À Elon Musk de montrer que son nouveau Twitter sera digne de l’intérêt et de la confiance de ses utilisateurs actuels et futurs. La transparence qu’il compte instaurer à propos des algorithmes utilisés pour gérer l’ordre de présentation des publications joue clairement en sa faveur.

 

Elon Musk n’a pas l’intention de contourner la loi

Cependant, face à la levée de boucliers pratiquement hystérique qu’il a dû affronter depuis l’annonce du rachat, il a précisé qu’il ne comptait pas étendre la liberté d’expression en dehors des contours légaux existants, mais simplement s’interdire les censures non exigées par la loi :

Mais quand on sait à quelle vitesse les États (de l’Union européenne, en l’occurrence) s’affairent pour resserrer les barrières sociales et fiscales autour d’internet, on peut vraiment se demander si l’intervention d’Elon Musk changera quoi que ce soit à l’obligation de pensée conforme qui s’installe de plus en plus bruyamment dans les textes de lois. Comme le rappelait notre secrétaire d’État au numérique Cédric O, attention, il va falloir respecter les dispositions du tout nouveau Digital Service Act. Pas question de laisser proliférer des publications qui pourraient perturber les gentils utilisateurs :

J’ai déjà eu l’occasion de souligner dans d’autres articles combien il était difficile de définir la haine en ligne et de tracer une limite avec la liberté d’expression. Prenons l’exemple de la discrimination religieuse et du blasphème. Lorsque la jeune Mila tenait sur Instagram les propos ci-dessous :

Je déteste la religion […], le Coran, il n’y a que de la haine là-dedans, l’Islam, c’est de la merde, c’est ce que je pense […] Votre religion, c’est de la merde, votre Dieu, je lui mets un doigt dans le trou du cul, merci, au revoir.

Ces propos lui ont valu harcèlement, menaces de mort et toute la bêtise idéologique de la garde des Sceaux d’alors. Était-elle dans la haine ou faisait-elle simplement usage de sa liberté d’expression ?

 

La question des fake news

Quant aux fake news, les gouvernements sont-ils si certains de ne jamais se tromper qu’ils seraient bons juges en la matière ? Rien ne vaut la contre-argumentation pour réfuter des affirmations qui nous semblent fausses. De plus, l’expérience a montré à maintes reprises que toutes les tentatives d’interdiction n’ont jamais réussi à mettre fin à une pratique ou une rumeur et tendent au contraire à lui donner un surcroît d’intérêt.

C’est exactement ce qu’a pu constater Facebook. Régulièrement accusés de servir de trop bons vecteurs à la propagation quasi instantanée de fake news aux quatre coins du globe, les réseaux sociaux ont été sommés de faire le ménage chez eux. En 2017, les dirigeants de Facebook considéraient plutôt qu’ils n’avaient pas à être « les arbitres de la vérité », mais ils ont commencé tant bien que mal à mettre des contrôles en place et butent sur l’irrésistible charme de l’interdit ou du sulfureux désigné comme tel :

Indiquer avec un drapeau rouge qu’un contenu est faux ne suffit pas à changer l’opinion d’une personne, et peut même avoir l’effet inverse.

Mettre un drapeau rouge, ordonner des bannissements permanents – voilà ce que Musk ne veut plus faire. Après tout, les gens sont adultes. Doivent-ils être soumis à une sorte de contrôle parental toute leur vie ?

Eh bien, oui, d’après le philosophe et grand adepte des tweets comminatoires Raphaël Enthoven. Pour lui, c’est très simple, trop de liberté tue la liberté ! « Il y a quelque chose de liberticide dans une liberté totale » a-t-il affirmé sur Europe1, ajoutant qu’un Twitter sous la houlette d’Elon Musk constituait pour lui « une perspective liberticide et non pas libérale » (vidéo, 02′ 40″) :

Ah oui, parce que depuis quelque temps, Raphaël Enthoven se revendique libéral et fait partie de ces libéraux ayant appelé à voter pour Emmanuel Macron au second tour de la récente élection présidentielle. Donc, à l’en croire, nous serions plus libres dans le cadre d’une liberté d’expression encadrée ? Quel retournement acrobatique des concepts !

Rappelons d’entrée de jeu que la diffamation et les injures publiques telles que « sale arabe » ou « sale juif » décochées nommément à quelqu’un (exemples d’Enthoven dans la vidéo) peuvent donner lieu à des poursuites judiciaires.

Dans le débat sur la liberté d’expression qui nous occupe, il ne s’agit pas de cela, mais de savoir qui pourrait avoir le pouvoir supérieur de décider quelles opinions ont droit de cité et quelles autres ne l’ont pas. Inutile de vous dire qu’hormis un petit couplet de pure propagande politique sur le futur Digital Service Act, M. Enthoven ne répond pas à la question. Tout simplement parce qu’il n’y a pas de réponse satisfaisante, à part le recours à une liberté d’expression totale.

Mais en réalité, les préoccupations des inquiets face au free speech revendiqué par Elon Musk ont moins de rapport avec je ne sais quel désir d’harmonie pure et parfaite sur des réseaux sociaux où tout ne serait que luxe, calme et vérité qu’avec la volonté nettement moins louable de vouloir voir leurs idées et elles seules s’imposer à l’opinion publique. Bref, le fameux deux poids deux mesures, marque indélébile (et débile) des militants de tout bord.

J’aimerais rappeler à Raphaël Enthoven qu’en janvier 2020, date anniversaire des attentats islamistes de 2015 contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, il estimait sur Twitter que :

Les gens qui disent « la liberté de la presse ? Oui, mais… attention au blasphème ! » ne sont pas des gens mesurés, mais des lâches qui donnent à leur trouille les contours flatteurs de la pondération. Et dorment tranquilles après avoir botté en touche.

J’adhère absolument à ces propos, j’adhère absolument à ce qu’il disait à la même époque en défense de Mila que j’ai évoquée plus haut. De ce fait, j’ai d’autant moins de scrupules à lui retourner le compliment.

Les gens qui disent : « La liberté d’expression ? Oui, mais… attention aux débordements, on ne peut pas tout dire ! » ne sont pas des gens mesurés, mais des lâches qui donnent à leur trouille les contours flatteurs de la pondération. Et dorment tranquilles après avoir botté en touche.

Sur le web

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  • Enthoven :  » ne pas mettre son masque c’est contaminer l’autre »
    Le roi de la mise en abîme dénonce la violence verbale en stigmatisant une population.
    Pour info les masques sont en plastique, et à chaque inspiration/expiration l’érosion fait son œuvre et détache des micro-particules de ce perturbateur endocrinien géant.
    C’est ainsi que s’accumulent dans nos poumons des micro-plastiques, et que la déliquescence des neurones s’accélère chez les plus zélés des hygiénistes.

  • Désolé de vous décevoir, mais jusqu’à preuve du contraire, preuve qu’on cherche en vain dans les commentaires et éditoriaux, le rachat de Twitter est un non-événement.

    • Je suppose aussi que la mise en attente de modération de mes commentaires vise à me convaincre du besoin de médias non-modérés et de la grandeur et de la magnificence de Musk qui en annonce un… Alors je précise que je suis très demandeur d’une information plurielle et libre, et que mes critiques envers les promesses « électorales » de Musk ne concernent que l’absence prévisible d’effet tangible de son action pour satisfaire mes aspirations.

      • Rabat-joie pourquoi pas,
        mais parano n’est-ce pas un peu trop ?
        Vous voulez de l’information plurielle et libre mais attendez encore d’être convaincu du bien-fondé de media non-modérés…ce que la modération dans sa Grande Sagesse tente de vous convaincre en modérant vos opinions , qui ne sont finalement pas modérés puisque je les lis.
        Vous avez le droit de ne pas être d’accord avec l’opinion dominante dans ces colonnes sur Musk, même de défendre votre point de vue, ce que vous faites d’ailleurs, mais arrêtez de vous plaindre, vous êtes MichelO ou un chouineur !

        • Ben oui, ça m’arrive de chouiner, et souvent je ne devrais m’en prendre qu’à moi-même de ne pas mieux me faire comprendre. J’ai chouiné pendant la longue période d’incertitude avant que mon premier message, pourtant me semble-t-il bien anodin, ne passe la modération. J’ai chouiné parce que le dicton « Médecin, soigne-toi toi-même » tournait en rond dans mon crâne sans, me semble-t-il toujours, parvenir aux auteurs de ContrePoints. J’ai chouiné parce que je ne parviens pas à convaincre qu’il y a au moins des doutes sur le fait que Musk tiendra ses promesses, et qu’on me renvoie dans les dents, poliment comme vous ou moins poliment comme d’autres, que je ne croirais pas à l’efficacité de la liberté d’expression puisque je ne crois pas aux promesses de Musk de l’instaurer.
          Bon, allez, en ce premier mai, le musc ne doit faire penser qu’à l’odeur du muguet, cette plante qu’on offre à ses voisins amis pour fêter le travail et le printemps et exaucer leurs souhaits. Ah flûte, c’est aussi un rien toxique, voilà que j’ai rechuté 🙂 !

  • J’aimerai rappeler encore et toujours, aux ignares comme Enthoven et aux autres, que le concept de « liberté absolue » fait référence à un pouvoir de faire.
    Ce pouvoir de faire absolu n’a jamais été revendiqué que par une seule idéologie, le Marxisme, qui l’appelait « la Liberté réelle » en opposition à « la liberté formelle » des libéraux, qui est la vraie liberté, cad de poursuivre ses propres buts avec ses propres moyens en respectant les droits fondamentaux des autres.

    Donc, oui, la liberté absolue, c’est le droit du plus fort, mais c’est par le marxisme et l’étatisme qu’il s’applique, et non par la liberté tout court.

    Il faut encore et toujours lire et relire « de la liberté » de John Stuart Mill pour comprendre ne quoi est important la liberté d’expression.

  • la liberté d’expression engendre des tas de problèmes… de la violence parfois.. MAIS…

    laisse run gouvernement dire la vérité c’est PIRE…

    de façon assez rigolote le gouvernemenet l »ue agissent « commepoutine ouxi »..

    mais tu comprends c’est pas pareil…

    ce qui va toujours de pair avec la limitation de le liberté d’expression est a fin de la démocratie libérale ..CAR…
    vous comprenez un gouvernement peut et même doit dire le vrai…. à condition que ce ne soit pas trump…
    on ne peut pas avoir de démocratie libéral sans liberté d’expression

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