Les économistes engagés et la présidentielle

Cette dérive n’est toutefois pas bien méchante, tant que l’économiste engagé ne mue pas en économiste enragé. Mais le nombre de publications engagées de la part d’économistes dit neutres peut motiver quelques interrogations.

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Les économistes engagés et la présidentielle

Publié le 28 avril 2022
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L’économiste est devenu une figure incontournable dans les campagnes présidentielles. On écoute le politique nous présenter son programme, et on consulte l’économiste pour valider la faisabilité du projet. Même le politique se doit aujourd’hui de connaître le langage de l’économiste, au cas où une question lui serait posée sur le financement des retraites par exemple. Et si en plus le politique se montre à l’aise avec le calcul de coin de table, alors c’est la cerise sur le gâteau.

L’économiste engagé

Mais il y a mieux encore. C’est lorsque l’économiste se dit tellement convaincu par le programme du candidat politique qu’il prend la décision de le soutenir. L’économiste devient alors un économiste engagé. Il affiche une couleur. Pourquoi pas. L’économiste est un électeur comme les autres. Il a le droit de penser ce qu’il pense, et de voter ce qu’il vote.

On pourrait même se convaincre que notre économiste fait ainsi preuve d’esprit citoyen. Il met au service de la nation son expertise d’économiste, tellement essentielle à la compréhension du monde contemporain. Merci donc. Après tout, si des économistes neutres et bienveillants sont séduits par le programme d’un candidat, on veut bien les entendre, nous les profanes qui nous interrogeons sur le financement des promesses de campagne.

Hélas, la démarche de l’économiste engagé n’est peut-être pas aussi lisse qu’il y parait. Idéalement, on imagine que l’économiste part d’un point A agnostique, pour arriver à un point B éclairé. Mais cela ne se passe pas tout à fait comme cela. Il semblerait plutôt que l’économiste engagé l’était quand même un peu avant, avant d’être séduit par le programme de son candidat. En clair, l’économiste savait déjà qui soutenir avant de lire les programmes.

Les travers de ce type d’économistes

La recherche académique s’est penchée sur le sujet, et nous livre quelques résultats piquants. Dans l’article « Economists aren’s as Nonpartisan as we think », les auteurs s’interrogent sur les biais des économistes dans leurs expertises en fonction de leur sensibilité politique. Il est notamment mis en évidence que c’est chez les économistes plutôt libéraux que l’on retrouve le plus de publications en faveur d’une idéologie libérale, alors que c’est chez les économistes plutôt conservateurs que l’on retrouve le plus de publications en faveur du courant conservateur.

Les auteurs resteront toutefois très prudents quant à l’interprétation des résultats, insistant sur le fait qu’il s’agit de corrélations et pas de causalités. Autrement dit, les auteurs ne disent pas que c’est parce que vous êtes libéral que vous produisez un résultat supportant l’idéologie libérale. Même raisonnement pour les conservateurs. Les auteurs n’excluent donc pas qu’il puisse s’agir d’une coïncidence. Malgré leurs réserves, on a compris le message. Et à vrai dire, on s’en doutait un peu quand même. L’économiste et l’économiste engagé font peut-être le même métier, mais pas tout à fait de la même manière.

L’économiste n’a pas de leçon de morale à donner, et il n’en donne pas. Il ne sait pas quel est le meilleur des mondes, car il ne peut pas le savoir : « on ne peut pas déduire ce qui doit être de ce qui est », dit la philosophie morale. Par contre, si vous dites à l’économiste la direction que vous souhaitez prendre, il pourra vous donner le meilleur moyen d’y parvenir, en théorie.

L’économiste peut savoir comment aller d’un point A à un point B, mais il ne peut pas savoir si le point B est le meilleur choix possible. Or, l’économiste de type engagé peut donner l’impression de savoir que B est le meilleur choix possible, le monde idéal. Ce qui est malhonnête pour deux raisons : ce n’est pas ce qu’on lui demande, ce n’est pas ce qu’il sait faire. Cette dérive n’est toutefois pas bien méchante, tant que l’économiste engagé ne mue pas en économiste enragé. Mais le nombre de publications engagées de la part d’économistes dit neutres peut motiver quelques interrogations.

 

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Créer un compte Tous les commentaires (1)
  • Avatar
    The Real Franky Bee
    4 mai 2022 at 0 h 04 min

    Les économistes – ou du moins les chercheurs – les plus à la pointe (notamment dans la branche des systèmes complexes) se mêlent peu, voir pas du tout, de politique. La plupart des gus qu’on entend dans les médias français (avec souvent une énorme pastèque) font en réalité du militantisme. Et comme la science s’accommode mal de propositions dogmatiques et tranchées, on tombe vite dans l’à peu près sur le plan intellectuel. Vu qu’il s’agit de la France (le pays qui dirigeait jadis les thèses de futurs cadres khmers rouges), la plupart des « economistes » sont sans surprise soit des néo-marxistes pour une grande majorité, soit des commentateurs Canada dry de centre-gauche pour les plus politiquement corrects d’entre eux. Quelle chance.

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