Louis Hausalter : Macron va devoir faire évoluer son dispositif d’entourages

Entretien avec Louis Hausalter, co-auteur de L’étrange victoire. Macron II, l’histoire secrète.

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Louis Hausalter : Macron va devoir faire évoluer son dispositif d’entourages

Publié le 15 juillet 2022
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C’est à croire que l’histoire est sinon cyclique, du moins ironique. Autant de dynamiques socio-économiques persistantes qui constituent des clés de lecture essentielles pour analyser le présent. Le retour du tragique, cher à Raymond Aron, avec la guerre en Ukraine, une colère sourde contre les élites et les technocrates, une archipellisation croissante de notre communauté nationale qui n’a plus de société que le nom.

L’élection présidentielle de 2022 faisait figure d’îlot de continuité, croyait-on, avec la réélection du président sortant, fait d’armes sans précédent dans la Vème République du quinquennat. Depuis, l’étrange victoire présidentielle semble s’être muée en drôle de défaite législative (semi-défaite serait sans doute plus appropriée). En constituant le premier récit à chaud de ce moment démocratique plus complexe qu’il n’y paraît, Louis Hausalter et Agathe Lambret analysent les dynamiques à l’œuvre et nous permettent de saisir l’acuité des mots de Marc Bloch : « Jusqu’au bout, notre guerre aura été une guerre de vieilles gens ou de forts en thèmes, engoncés dans les erreurs d’une histoire comprise à rebours ». 

 

Corentin Luce : Vous intitulez le livre que vous avez co-écrit avec Agathe Lambret L’étrange victoire, faisant écho au manuscrit de Marc Bloch, L’étrange défaite ; quels ont été les éléments qui vous ont incité à établir ce parallèle ?

Louis Hausalter : C’est plus un clin d’œil qu’un parallèle. Il n’est évidemment pas question de nous comparer à l’immense ouvrage de Marc Bloch. Le seul point d’écho éventuel réside dans l’adjectif étrange. Bloch a raconté et analysé à chaud, avec une très grande lucidité, ce que la débâcle de 1940 avait d’énigmatique, de déconcertant et en même temps d’évident. Nous racontons, à travers les coulisses de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron, ce qu’elle avait d’insaisissable et de gazeux, compte tenu du contexte, et pourquoi sa réélection n’a pas eu lieu dans l’enthousiasme mais dans une étrange apathie.

 

 Vous décrivez une guerre organisée, même souhaitée, entre différents clans – les “Grognards”, les “Technos” et les “Scénaristes” – souhaitant influencer le président de la République. Pourquoi apparaît-elle de manière aussi marquée à l’occasion de cette campagne ? Cela revient-il à dire que ces affrontements sont une spécificité liée à ce moment électoral ou à l’exercice du pouvoir depuis 2017 ?

Pas forcément, car une campagne présidentielle donne toujours lieu à des affrontements plus ou moins feutrés entre les différents membres de l’entourage du candidat, tout comme ces luttes d’influence sont le lot de l’exercice du pouvoir.

Mais ce que notre livre révèle, c’est la manière dont Emmanuel Macron gère ces confrontations et va jusqu’à les organiser. Il n’est pas un président sous influence au singulier, dans le sens où il n’est pas dans la main d’un conseiller qui serait son gourou, mais sous influences au pluriel, dans la mesure où il jongle entre les avis et au gré des circonstances, quitte à opter parfois pour des options contradictoires. C’est ainsi qu’il commence sa campagne présidentielle en prônant la retraite à 65 ans, une mesure inscrite dans le programme de Valérie Pécresse, et la termine en promettant la « planification écologique », chipant les mots de Jean-Luc Mélenchon.

 

Lequel de ces trois clans a le plus eu d’influence et comment cela se caractérise-t-il ?

La guerre d’influences a évolué tout au long de la campagne.

Au début, la présentation du programme a plutôt consacré les idées des Technos, menés par le secrétaire général de l’Élysée Alexis Kohler. Mais les tirs de barrage des Grognards (les politiques comme Richard Ferrand ou François Bayrou) contre les mesures les plus irritantes ont parfois amené le candidat à modérer ses positions. Et dans la toute dernière ligne droite de la campagne, Emmanuel Macron s’est décidé à descendre enfin dans l’arène, suivant l’avis des Scénaristes, ces stratèges de la communication en guerre contre les Technos. On voit donc comment le président-candidat a jonglé entre les avis, mais aussi à quel point cette campagne a été chaotique quand on en connaît les coulisses.

 

Cette fragmentation des cercles d’influence et des inspirations changeantes constituent selon vous des caractéristiques du macronisme. En somme, l’efficacité doit, en pied et vers, primer sur les idéologies…

Oui. Les proches du président nous ont souvent vanté sa « plasticité », cette capacité réelle à s’adapter aux évènements et à changer de braquet en conséquence.

Ce furent par exemple les gestes budgétaires en réaction aux Gilets jaunes ou le « quoi qu’il en coûte » au début du covid. Ils soulignent moins le revers de ce trait, qui est l’absence de véritable colonne vertébrale en termes de convictions. Certes, il existe des constantes du macronisme : l’Europe, la valeur travail, l’émancipation individuelle, la politique de l’offre pro-entreprises, une volonté de non-alignement sur le plan international… Mais cette campagne a confirmé des virages à 180 degrés, par exemple sur la relance du nucléaire, la volonté de souveraineté industrielle ou de régulation de l’immigration.

 

Alors que ce poids peut-être paroxystique de l’appareil technocratique n’avait jamais été aussi prégnant depuis 2017, les élections législatives peuvent-elles être vues comme le retour du politique, avec ce qu’il emporte de débat contradictoire et d’idéologie ?

Espérons-le ! Emmanuel Macron semble avoir réalisé, depuis les Gilets jaunes, à quel point l’enfermement technocratique le mettait en danger. C’est d’ailleurs sans doute la principale raison pour laquelle il s’est séparé d’Édouard Philippe. Mais le manque de sens politique reste criant dans son entourage. Les rares ministres qui ont pris le dessus dans la chaîne alimentaire de la Macronie sont ceux qui savent faire de la politique : Darmanin, Le Maire, Attal ou Lecornu.

 

Cette étrange victoire a-t-elle préparé la drôle de défaite que constituent les élections législatives ?

Sans doute. Nous n’avons rien prédit, mais la lecture de notre livre permet de comprendre comment cette campagne présidentielle fuyante et toute en ambiguïtés a pu créer les conditions de cette douche froide qu’est l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Comme si les Français avaient réélu Macron par défaut et voulu ensuite le lui faire comprendre clairement, en rejetant le jupitérisme du premier quinquennat.

 

Dans le prolongement de votre ouvrage, cet éclatement et ce cloisonnement des influences présidentielles sont-ils de nature à persister avec les défaites de plusieurs “Grognards”, Richard Ferrand et Christophe Castaner en tête ?

On ne se refait pas, même quand on est président…

Mais il est certain qu’Emmanuel Macron va devoir faire évoluer son dispositif d’entourages (j’emploie le pluriel à dessein). D’abord en raison des défaites que vous évoquez, et notamment celle de Richard Ferrand, véritable pilier de la Macronie et l’un des rares à lui dire franchement ce qu’il pense, comme nous le racontons dans le livre. Mais aussi parce que la configuration à l’Assemblée nationale l’oblige à porter beaucoup plus d’attention au Parlement, ce qui va à l’encontre de certains réflexes directifs observés pendant son premier mandat.

 

Quid de la guerre de succession qui est sur toutes les lèvres ? 

Pour l’instant, le résultat des législatives oblige chacun à se tenir à carreau !

Dans un tel contexte, la majorité (relative) est obligée de se serrer les coudes, et celui qui sortira du rang trop tôt s’attirera immédiatement les accusations de trahison. Mais la guerre pour le trône éclatera évidemment un jour. Nous racontons dans un chapitre intitulé « Macron après Macron » que le président ne semble pas du tout décidé à introniser un successeur. Il aurait même parlé en privé de « cannibalisme » pour évoquer la lutte qui s’annonce. Fidèle à son réflexe darwinien, il devrait laisser les crocodiles se dévorer dans un marigot où il n’a plus le droit de mettre les pieds, puisque la Constitution pose une limite de deux mandats consécutifs.

 

Louis Hausalter est journaliste politique pour le magazine Marianne, après avoir travaillé pour Europe 1. Il intervient régulièrement dans des émissions de télévision et de radio. Il est l’auteur de deux ouvrages, Marion Maréchal. Le fantasme de la droite (Rocher, 2020) et L’étrange victoire. Macron II, l’histoire secrète (2022), co-écrit avec Agathe Lambret aux Éditions de l’Observatoire.

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  • «Much ado about nothing»…
    Sinon, pour les urgences, que propose l’Homme·Éolienne… «en même temps»?

  • Qui remplacera Macron dans ans 5 ans ?
    Le marcronisme n’existe pas, il n’y a pas de doctrine politique, juste l’accaparement de la présidence par un homme qui aime le pouvoir pour sa lumière, qui aime prouver qu’il est plus intelligent que tout le monde, dont la “plasticité” est en réalité de l’opportunisme pur.
    Un successeur aura donc du mal à se réclamer d’un macronisme comme d’aucuns se prévalaient du gaullisme.
    Après lui, le retour de la politique ?

  • Macron, c’est un homme qui cherche un programme pour se faire élire. Et non pas un homme qui cherche à se faire élire pour appliquer un programme.
    Quant au “Macronisme”, c’est du vide, il n’y a rien, pas de projet, pas d’idées. A part le concept que pour atteindre la fonction suprême, il n’y a besoin ni d’idées ni de projet.

    • Mais cette situation n est pas propre au PR, lors des élections présidentielles, aucun candidat n avait de reel programme structuré a part de l argent magique. Seule peut être V Pecresse affichait un embryon de programme sérieux mais que nous voyons démenti par la proposition démagogique du groupe LR à l assemblée avec 1 litre de sans plomb à 1,5 euros !!!!

  • Le triste pays « dont le prince est un enfant »

  • E. Macron n’a pas gagné, aucune “victoire”. 61,5% des citoyens n’ont pas voté pour lui, ils ne veulent pas de lui, encore moins qu’en 2017.
    Nous en sommes là à cause de ça : la volonté des français n’est pas prise en compte. Démocratiquement parlant, il n’est pas légitime.

    • Légitime, qui le serait plus que lui… un perdant ?
      Eh oui, l’élection est un concours, pas un examen.
      En écho à votre phrase 2 : ce n’est pas parce que je ne dis pas vous êtes un génie que je pense que vous êtes un âne.

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