Médiation Russie-Ukraine : la Turquie remplace la France

Avec les pourparlers Russie-Ukraine, la Turquie d’Erdogan prend la place de médiateur de la France en matière de crises internationales.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Médiation Russie-Ukraine : la Turquie remplace la France

Publié le 30 mars 2022
- A +

Ce mardi ont eu lieu des pourparlers entre l’Ukraine et la Russie à Istanbul. La Turquie devient de fait une médiatrice dans ce conflit européen. On peut se réjouir de voir les deux belligérants discuter et utiliser la voie diplomatique pour tenter de résoudre ce conflit qui a fait des milliers de morts militaires et civils ainsi que plus de 3,7 millions de réfugiés. Néanmoins, on peut aussi regretter la perte d’influence diplomatique de la France et des pays de l’UE.

Le double jeu turc lui offre des opportunités diplomatiques

De par sa position géographique, la Turquie a un rôle dans le pivot eurasiatique qui n’est ignoré ni des Russes ni des Américains. Dès lors, Ankara joue un double jeu visant à avoir le soutien des deux camps afin de développer son projet de puissance régionale du Proche et Moyen-Orient.

La Turquie a intégré l’OTAN en 1952. Du fait de sa nature politique de plus en plus autoritaire et de sa position d’État régional, elle a tout autant besoin de l’OTAN que de la Russie, afin d’éviter de dépendre politiquement d’un des deux camps. Mais en même temps, Erdogan comme Poutine parlent le même langage, celui de deux dirigeants autoritaires à la tête d’anciens empires à cheval entre l’Europe et l’Asie. Ils souhaitent tous deux rétablir l’influence de leur pays dans leur « étranger proche ».

À cela s’ajoute la forte dépendance de l’économie turque à l’économie russe, comme par exemple en matière de tourisme ou d’hydrocarbures. Turkish Stream/Turkstream, le projet de gazoduc entre les deux pays débuté en 2017, met bien en évidence ces liens énergétiques qui ne sont pas sans rappeler ceux que Moscou entretient avec l’Allemagne, voire l’Italie.

Dans le même temps, Erdogan s’est rapproché de Zelensky depuis son arrivée au pouvoir. La Turquie a fourni des drones de combat Bayraktar à l’Ukraine qui sont désormais utilisés dans le conflit.

Ce jeu de balancier confère de l’influence à la Turquie et lui permet plus que jamais d’être un carrefour politique, économique et civilisationnel, ce qui a permis aux dirigeants turcs de garder la confiance de leurs homologues ukrainiens et russes ; Vladimir Poutine a d’ailleurs rencontré Recep Erdogan quelques jours après le début du conflit.

Rien de surprenant que la Turquie serve de lieu de discussion.

 

Une place diplomatique qui a été celle de la France

Le cas de la Turquie montre qu’il est possible d’être membre de l’OTAN et d’entretenir des relations solides avec des pays en guerre comme l’Ukraine et la Russie. De fait, la France a longtemps occupé cette position de médiateur.

La doctrine gaulliste qui a longtemps prévalu en France au niveau des affaires étrangères a poussé le pays vers une politique nuancée. Ni atlantiste, ni prorusse, mais cherchant à être un pont envers les différentes puissances afin de défendre les intérêts français.

Cette politique réaliste a permis à la France d’avoir une influence certaine en Europe et au-delà.

Cette doctrine s’est fortement affaiblie cette dernière décennie, notamment sous la présidence Sarkozy. Ce dernier a pu jouer un rôle de médiateur dans la crise géorgienne de 2008. Mais une partie non négligeable de l’appareil d’État ainsi que des médias français se sont progressivement alignés sur les positions américaines.

Désormais, l’opinion publique se divise entre atlantiste et pro-russe et empêche le retour en force d’une position médiane.

Il est tragique pour l’Europe que ce soit désormais un régime illibéral comme la Turquie qui prenne la place de la France et des démocraties dites libérales en termes de diplomatie.

Voir les commentaires (8)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (8)
  • Ben oui, mais en France, la campagne électorale demande des grandes envolées lyriques en faveur des sujets journalistiques, tandis qu’en Turquie les élections ne sont prévues que pour 2023 et un résultat positif dans l’intermédiation pourra y être un facteur décisif…

  • Il y a fort à penser que si cette médiation réussit, la Turquie présente la facture, à savoir son adhésion à l’Europe, ya bon subventions, pour restaurer son économie mise à mal par Erdogan, et après bourrache sur l’Europe, i suite la France et Macron, envahi Chypre, financé des mouvements islamistes et des mosquées. Et comme d’habitude l’Europe se couchera, et les peuples n’auront par leur mot à dire.

  • Très belle analyse qui confirme que la France n’est plus la puissance diplomatique et politique qu’elle fut depuis qu’elle est gouvernée par des admirateurs inconditionnels de l’allié américain et qu’elle a fait le choix d’une réintégration dans les structures militaires intégrées de l’Otan, la privant ainsi de son statut de neutralité gagné de haute lutte par le Général de Gaulle … Ne pas oublier le rôle important joué par Israël dans les coulisses de ces négociations !

  • La Turquie remplace la France, c’est comme Wagner et la Russie qui remplace la France au Mali, le monde bouge et change depuis 70 ans

  • Nous ne pesons plus sur la scene diplomatique, économique, scientifique, notre système éducatif est à volo, nos hôpitaux a l’agonie, notre police deserte les banlieues pour traquer les non vaccinés etc ……… et on nous prédit encore 5 années de Macron décidément nous avons toutes la misère du monde.

  • Charles Gave avait raison et tous les indices sont là, hormis sa psychopathie, Macron est foncièrement un imbécile qui s’entoure de gens encore plus médiocres.

  • Perso, j’ai jamais rien compris à ce rôle « d’entremetteuse » de la France ! C’est du bidon ! ça a juste permis à des, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande, Macron, de se pousser du col en évitant la dure réalité française. C’est plutôt une vraie chance que notre Président n’ait pas joué le rôle de facilitateur dans ce conflit pourri.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Les Gilets verts ont bloqué le pays avec leurs tracteurs en demandant notamment que l'on n’importe pas ce que l’on interdit en France. Leurs revendications ont également porté sur l’accès à l’eau et sur la rigueur des normes environnementales françaises, qui seraient plus exigeantes que celles de leurs concurrents.

C'est la hausse du prix du gazole agricole qui a mis le feu aux poudres, en reproduisant les mêmes effets que la taxe carbone sur tous les carburants, qui avait initié le mouvement des Gilets jaunes cinq ans plus tôt.

Poursuivre la lecture
Ukraine : inquiétude sur le front et à l’arrière

Le mois de février aura vu s’accumuler les mauvaises nouvelles pour l’Ukraine. Son armée est confrontée à une pénurie grave de munitions qui amène désormais en maints endroits de ce front de 1000 km le « rapport de feu » (nombre d’obus tirés par l’ennemi vs nombre d’obus qu’on tire soi-même) à près de dix contre un. Ce qui a contribué, après deux mois d’intenses combats et de pertes élevées, jusqu’à 240 chars russes, selon Kyiv, à la chute d’Adviivka, vendredi dernier. La conquête de cette vill... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles