Neal Asher est un écrivain anglais de SF (science-fiction). Il est né en 1961 à Billericay dans le comté d’Essex en Angleterre. Avant 2000, ses nouvelles étaient publiées par de petits magazines britanniques de SF et de fantasy. C’est après 2000 que sa carrière d’écrivain a pris son envol. Pan Macmillan lui a offert un contrat pour trois ouvrages et en a maintenant publié beaucoup d’autres (au Royaume-Uni, en Amérique, en Russie, en Allemagne, en France, en Espagne, au Portugal, au Japon, en Tchécoslovaquie et en Roumanie).
La majorité de ses romans se déroulent dans un futur spécifique : l’univers Polity. Ce dernier emprunte de nombreux thèmes classiques de la SF, notamment les intelligences artificielles qui gouvernent le monde, les androïdes, les esprits de ruche et les extraterrestres.
Un entretien mené par Guy d’Andigné.
Guy d’Andigné : En tant qu’auteur de SF, vous cherchez à anticiper l’avenir. Ces vingt dernières années se sont-elles déroulées comme vous l’aviez prévu ?
Neal Asher : Dans une certaine mesure j’anticipe l’avenir, mais mon but est surtout de raconter une histoire agréable avec ce sens de l’émerveillement que j’apprécie en tant que lecteur. J’extrapole sur les technologies et sur certains changements sociaux. Mais surtout, je pointe du doigt une idée et je me dis : « Et si on faisait ça, ça ne serait pas chouette ? » J’aime décrire des écologies et des créatures extraterrestres, et il est certain que nous pourrons rencontrer des phénomènes de ce genre sur Terre. Ils respecteront probablement les mêmes règles que celles de la vie sur Terre, ou ils seront plus étranges que ce que l’on peut imaginer.
J’inclus l’intelligence artificielle dans un cadre essentiellement utopique du fait de mon scepticisme à l’égard de nos propres capacités à nous orienter vers l’avenir. Mais si j’anticipais vraiment l’avenir, je ne pourrais pas me permettre les voyages plus rapides que la lumière et la transmission de matière d’un monde à l’autre dans mes livres Polity. Je me suis aventuré dans le domaine des voyages plus lents dans mes livres dystopiques Owner, mais j’ai fait la transition avec les possibilités offertes par un moteur Alcubierre fonctionnel. Le FTL (Faster Than Light, c’est-à -dire plus rapide que la lumière) est quelque chose que j’espère, mais je ne l’anticipe pas.
Je publie de la SF depuis plus de vingt ans maintenant, mais il est difficile de répondre à la deuxième partie de votre question, car la plupart de mes histoires se déroulent dans un futur lointain où elles ont tendance à ne pas être dépassées par la réalité. Je pense que l’avenir sera plus grand et moins rapide que ce qui est anticipé dans la plupart des productions de SF. Les 20 dernières années ont été pour moi une répétition du passé avec de nouveaux gadgets.
Le développement est cependant sur une courbe exponentielle et je vois arriver des changements sociaux et technologiques, mais nous sommes encore sur la partie la moins raide de la courbe. Je n’adhère pas, par exemple, à l' »enlèvement des nerds » appelé « Singularité », par exemple. La forme de notre avenir à court terme, avec Elon Musk et d’autres qui ont mis un pied dans la porte de notre système solaire, ressemble davantage à The Expanse qu’à Polity.
Compte tenu du riche univers que vous avez créé, d’où vous vient votre imagination ?
Ce qui a pu jouer en partie, ce sont des décennies de lecture de science-fiction et de science tout court. Mais l’essentiel est de vouloir raconter des histoires, de pratiquer cet art et d’aller toujours plus loin. Le cerveau n’est pas un organe séparé du corps mais en fait partie intégrante et fonctionne donc de la même manière : plus vous l’utilisez, plus il se renforce. Le cerveau a des muscles et l’un d’entre eux peut être étiqueté imagination. J’ai commencé par courir quelques centaines de mètres et, au fil des ans, j’ai fini par courir des marathons.
Lorsque vous avez commencé votre série sur la Polity et tout l’univers qui l’entoure, aviez-vous déjà une idée précise de l’univers dans lequel vous faisiez évoluer vos personnages, ou êtes-vous allé de l’avant, selon vos besoins ? Â
J’ai commencé à écrire de la fantasy et j’ai encore une trilogie et le premier livre d’une deuxième dans mes dossiers. J’ai aussi écrit un roman contemporain (toujours dans mes dossiers). C’était pour m’entraîner mais ensuite, dans les années 1980, j’ai visé la publication.
Il y avait de nombreuses petites maisons d’édition et, à ce moment-là , j’ai naturellement évolué vers l’écriture de SF, car si j’appréciais les univers imaginaires qui vont avec la fantasy, j’ai fini par préférer la logique et l’extrapolation de la SF. J’ai écrit un certain nombre de nouvelles, destinées aux petits éditeurs, et ma première a été publiée en 1989.
Les outils que j’ai créés pour raconter ces histoires sont souvent apparus dans différentes nouvelles – la transmission de matière d’un monde à l’autre par des runcibles, le Polity humain, le Golem, les intelligences artificielles, les diasporas de la Terre, la Guerre Tranquille, etc. – et ont commencé à devenir un tout cohérent, mais un tout en expansion parce que je voulais un univers dans lequel je pouvais raconter à peu près n’importe quelle histoire de SF.
Par exemple, l’idée des premières diasporas de la Terre m’a permis de raconter des histoires humaines primitives dans des environnements extraterrestres. Cette idée s’est concrétisée dans mon premier roman de SF complet, Gridlinked. Donc oui, j’ai inventé au fur et à mesure et en fonction de mes besoins, mais dans le but ultérieur de créer un milieu dans lequel je pourrais raconter toutes ces histoires.
L’univers que vous décrivez – où la notion de transhumanisme est largement dépassée, où les morts peuvent vivre longtemps après la mort, où la limite entre humains, IA (intelligences artificielles), mélange des deux et autres golems est complètement floue – est-ce un univers que vous redoutez, craignez ou appelez de vos vÅ“ux, ou simplement ce que vous imaginez être une continuation logique (ou du moins possible) de la tendance que nous voyons déjà maintenant ?Â
Ce n’est pas un univers que je redoute mais que je souhaiterais. Dans mes histoires, vous voyez les parties de l’univers où l’action, ou les histoires, se déroulent. Si vous vous trouviez dans une zone de guerre en ce moment, ici, dans notre présent, vous vivriez dans un univers de terreur. Si vous êtes sur votre iPhone en train de poster sur la justice sociale mais que vous vous arrêtez pour commander une pizza, pas vraiment. Il est intéressant de noter que cette perception étrange reflète l’Internet actuel. L’accès instantané aux mauvaises nouvelles du monde entier donne une impression de chaos et de misère, alors que la réalité de l’existence humaine n’a jamais été aussi favorable. La Polity est une utopie.
Elle est autant post-pénurie que possible, en gardant à l’esprit que la post-pénurie ne peut jamais exister puisque tout ce qui se produira sera une réaffectation de la valeur1. Par ailleurs, la mort, notre plus grand ennemi, a été pratiquement vaincue (sauvegarde intégrale, possibilité de réjuvénation, etc.).
La tendance que j’observe est une tendance de SF qui est en train de devenir réalité. La vie imite l’art. Les IA sont en train d’être développées et elles pourraient être une bonne ou une mauvaise chose (la règle du « ça entre, ça sort » s’applique ici).
Demandez à James Cameron. L’IA, qui est libérée des contraintes de l’évolution lente – les êtres de chair servant de véhicules aux gènes lents – pourrait nous dépasser, aller bien au-delà de nous-même et peut-être même nous anéantir. J’ai tendance à penser qu’étant privée de nos moteurs, elle pourrait simplement nous ignorer et donc que la crainte de l’IA est exagérée. Nous sommes supérieurs à de nombreux animaux sur notre planète. Sauf dans le cas où nous les mangeons, nous essayons de les préserver, et nous les gardons comme animaux de compagnie.
Les IA n’auront pas besoin de nous manger, alors pourquoi, sinon, voudraient-elles nous tuer ? Bien que, il faut le dire, elles pourraient nous éliminer par accident. En contrepartie, nous pourrions nous fondre dans cette technologie et devenir une post-humanité. C’est peut-être la raison pour laquelle Elon Musk, qui craint l’IA, développe Neuralink pour améliorer l’espèce humaine. Soit dit en passant, l’aspect physique de Neuralink, qui est un appareil placé derrière l’oreille avec des fils qui vont droit dans le cerveau, est précisément la manière dont je décris les augs qui apparaissent dans mes livres depuis vingt ans.
Dans l’univers humain que vous décrivez, les IA jouent un rôle prépondérant en orientant/présidant la destinée des humains et en se plaçant ainsi hiérarchiquement au-dessus d’eux. Les autres univers sont soit des colonies très hiérarchisées (chef de bande, dictateur, typiquement), soit des univers colonisés par les ennemis des humains (pradors) et donc là encore hiérarchisés. N’y a-t-il pas de place pour des univers « anarchiques » où le marché et le capitalisme le plus strict règnent en maître ? Ce serait un défi d’écriture, peut-être ?
Le marché et le capitalisme règnent dans la Polity. Cependant, je soutiens que plus une société devient riche, plus leur importance diminue. Si les machines fabriquent tout ce dont vous avez besoin, et si votre besoin de sécurité et votre peur de la mortalité sont atténués, le besoin d’accroître les richesses et le pouvoir diminue également. Cependant, bien que le besoin s’amenuise, le désir ne disparaîtra jamais tant que nous resterons esclaves de nos pulsions évolutives. D’où mon choix d’utopie : la Polity est dirigée par des IA qui existent (pour la plupart) sans ces besoins et ces désirs. C’est une dictature bienveillante et un peu une échappatoire, à dire vrai.
Je pourrais toujours essayer de créer un système plus anarchique sur l’un des mondes périphériques. Je pourrais essayer d’imaginer une société de marché et de capitalisme le plus strict. Mais tout cela tombe toujours sous le coup des hiérarchies qui ne sont pas seulement sociales mais inscrites dans notre ADN. Les hiérarchies dans nos sociétés découlent de nos besoins et de nos désirs qui sont déterminés par notre évolution. C’est pourquoi le communisme se transforme toujours en totalitarisme.
Dans le même temps, le capitalisme devient une captation des personnes et des marchés par les entreprises, comme nous le voyons dans le monde d’aujourd’hui, s’il n’y a pas de limites comme la suppression des monopoles (et quelqu’un doit le faire – normalement cette personne est au pouvoir ou le sera bientôt). En fin de compte, ce sont tous des thèmes intéressants, mais ce n’est pas mon centre d’intérêt principal.
Je veux raconter des histoires qui émerveillent. Je laisse la politique (principalement) à la vaste population d’experts en herbe qui peuplent les réseaux sociaux.
- Note de Contrepoints : Neal Asher fait référence au fait que nous vivons encore dans un monde de pénurie (l’économie étant la science de la gestion de cette pénurie – nous n’avons pas d’énergie infinie, de nourriture infinie, etc.). Si on se place suffisamment loin dans le futur et avec suffisamment de technologies, on n’a plus réellement de limite (donc de pénurie). Dans la Polity, on ne meurt de faim que par accident (pas par pauvreté). Il n’y a pas de problème de logement, par exemple. Comme il l’explique, les biens de base sont quasiment gratuits, le reste augmente en valeur de façon logique. ↩
La « post-pénurie » ? Un monde où chacun dispose de plus de ressources qu’il ne peut en désirer et qui garantie une sécurité absolue ?
Les mouvements woke et écolo me laissent à penser que l’humanité trouvera toujours une bonne raison de se f. sur la gueule : nous ne sommes simplement pas faits pour être heureux durablement.