La norme de productivité pour lutter contre l’inflation

Il faut se réapproprier la norme de productivité pour lutter contre l’inflation de notre quotidien.

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Inflation BY Michael J. Slezak(CC BY-NC 2.0)

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La norme de productivité pour lutter contre l’inflation

Publié le 18 février 2022
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Toute personne qui a eu un cours de macroéconomie a sûrement déjà entendu ce lieu commun : une baisse des prix est synonyme de dépression, la déflation entraîne une baisse des ventes, une baisse de la production, et in fine une crise économique. C’est ce préjugé auquel George Selgin s’attaque dans ce petit livre, le Hobart Paper 132, Less than Zero : The Case for a Falling Price Level in a growing economy.

L’auteur montre qu’une déflation se produisant dans une économie qui progresse, c’est-à-dire qui connaît des gains de productivité, est saine et nécessaire. Nous analyserons et ferons une recension de son travail en trois parties. Nous présenterons aujourd’hui la norme de productivité ainsi que les arguments des partisans de l’inflation, avant de poursuivre sur le contraste entre deux propositions, pour finir enfin par les illustrations des différents épisodes historiques de crise, ainsi que sur la mise en place concrète d’une norme de productivité.

 

La norme de productivité 

Dans son livre, Selgin fait d’abord un historique de ce qu’il nomme la norme de productivité, c’est-à-dire que le niveau des prix devrait pouvoir varier pour refléter les changements dans les coûts unitaires de production des biens.

Une norme de productivité est donc un modèle d’ajustement général du niveau des prix qui permettrait des variations individuelles des prix. Dans le cadre d’une norme de productivité, on empêcherait les variations de la vitesse de circulation de la monnaie (comme dans le cas de l’inflation zéro) d’influencer le niveau des prix par des ajustements compensatoires de l’offre de monnaie.1. Mais les chocs d’offre défavorables, comme les guerres et les mauvaises récoltes, pourraient se manifester par une hausse des prix à la production, tandis que les améliorations permanentes de la productivité pourraient faire baisser les prix de façon permanente.

Les économistes emploient deux notions différentes de la productivité et ne s’accordent pas sur la manière de mesurer chacune d’elles :

  • la productivité du travail qui est le rapport entre la production réelle et le facteur travail et la productivité totale des facteurs
  • la productivité totale des facteurs qui est le rapport entre la production réelle et la totalité des facteurs de production (en pratique, le travail et le capital).

 

Cependant, une chose est sûre : tout au long de l’histoire moderne, les améliorations de la productivité globale ont éclipsé les reculs occasionnels. Cela a été particulièrement vrai au cours du dernier demi-siècle. Selon une estimation largement utilisée (notamment par George Selgin), de 1948 à 1976, la productivité totale des facteurs aux États-Unis a augmenté à un taux annuel moyen de 2 %. Si une norme de productivité (totale des facteurs) avait été en vigueur durant cette période, les prix à la consommation américains en 1976 auraient été en moyenne environ deux fois moins élevés que ceux ayant cours juste après la Seconde Guerre mondiale. Au lieu de cela, le niveau des prix américains a presque triplé, masquant la réalité de la baisse des coûts de production unitaires réels.

La plupart des arguments en faveur d’une norme de productivité sont loin d’être nouveaux.

Nombre d’entre eux remontent aux écrits économiques du début du XIXe siècle et constituaient un élément de base de l’analyse économique classique et néoclassique. Parmi les économistes éminents qui ont avancé ces arguments figurent David Davidson, Evan Durbin, Francis Edgeworth, Robert Giffen, Gottfried Haberler, Ralph Hawtrey, Friedrich Hayek, Eric Lindahl, Alfred Marshall, Gunnar Myrdal, Dennis Robertson et Arthur Pigou. Au début des années 1930, les économistes de renom étaient au moins aussi favorables à une sorte de norme de productivité qu’à l’alternative de l’inflation zéro. C’est cependant un détail très peu abordé en cours de théorie monétaire (à titre personnel, en tout cas, jamais il n’en a été fait mention).

Keynes lui-même a fait mention de cette idée (qui, selon lui, était plus compatible avec la stabilité des salaires monétaires), pour finalement se prononcer en faveur d’une inflation zéro. Malheureusement, l’argument en faveur d’une norme de productivité a été pratiquement oublié à la suite de la révolution keynésienne, qui a fait de la politique du niveau des prix un objectif secondaire par rapport à celui du plein emploi. Lorsque les monétaristes ont à nouveau fait du contrôle du niveau des prix l’objet principal de la politique monétaire, ils l’ont fait en réhabilitant les anciens arguments en faveur d’un niveau des prix constant, laissant l’alternative de la norme de productivité dans l’ombre.

Les partisans de l’inflation zéro abordent rarement l’alternative de la norme de productivité. Ceux-ci considèrent le plus souvent que l’inflation zéro est la meilleure solution car toute valeur supérieure interfère avec la capacité des prix à fournir des informations sur les raretés relatives. L’alternative d’un taux inférieur à zéro, comme un niveau de prix qui baisse généralement (mais qui peut aussi augmenter par moment) en réponse à l’évolution de la productivité, est tout simplement négligée. Dans un monde où la productivité ne change pas, il est compréhensible que l’inflation zéro soit privilégiée. Mais comme le soulève justement George Selgin, la productivité souvent (et souvent pour le mieux). Il est donc préférable de laisser une légère déflation séculaire se produire, avec par moment des hausses du niveau des prix lorsque l’économie connaît des chocs d’offres défavorables.

 

Les partisans de l’inflation zéro et la rigidité des prix

George Selgin fait également l’inventaire des arguments des partisans de l’inflation zéro, en s’intéressant particulièrement au cas de Leland Yeager et autres théoriciens du déséquilibre monétaire qui proposent une interprétation moins naïve de la théorie quantitative de la monnaie. Ceux-ci sont, en réalité, sensiblement les mêmes que ceux des partisans d’une norme de productivité.

En effet, les prix ont tendance à être lents pour s’ajuster, du fait de l’existence de différents coûts.

– les coûts d’étiquetage, ou menu costs (pour une explication plus complète, voir mon article Les coûts monétaires de l’inflation). Si la littérature néokeynésienne fournit une large étude des différents coûts d’étiquetage, certains auteurs comme Leland Yeager ou David Glasner ont montré qu’une bonne partie des auteurs classiques, de vieux monétaristes, faisaient déjà le constat de ces coûts, contre la fausse croyance keynésienne selon laquelle les classiques croyaient en un ajustement automatique des prix.

– l’existence de contrats de salaire et de dette en valeur nominale fixes (cf mon article La monnaie neutre: l’apport d’Hayek)

– le dilemme du prisonnier qui caractérise la nécessité d’une déflation monétaire en cas de changement de demande de monnaie. Les vendeurs peuvent être réticents à modifier, et surtout à baisser, leurs prix en réponse à un déséquilibre monétaire, même si les coûts fixes pour le faire sont très faibles. Certains analystes associent cette réticence à la demande inélastique des produits des entreprises dont les clients doivent faire face à des coûts d’achat élevés. Yeager (1986, p. 377) l’attribue, en partie du moins, au fait que la monnaie, « contrairement aux autres biens, n’a pas de prix ni de marché propre ». (Cf mon article La théorie du déséquilibre monétaire: une histoire de chaises). Cette caractéristique fait de tout changement de niveau de prix d’équilibre une sorte de bien public. En effet, pourquoi un vendeur – surtout s’il vend un bien dont la demande est inélastique – devrait-il s’efforcer de remédier à une pénurie de monnaie en étant le premier sur le marché à baisser le prix de son propre produit, alors qu’il ferait mieux de laisser les autres baisser leurs prix en premier ? Les nouveaux auteurs keynésiens attribuent également un rôle crucial à ce qu’ils appellent les externalités de la demande globale en tant que source d’ajustement lent des prix :

 

Les gains privés et sociaux de l’ajustement des prix [suite à un choc monétaire négatif] sont très différents. Si une seule entreprise ajuste son prix, elle ne change pas la position de sa courbe de demande ; elle se déplace simplement vers un nouveau point de la courbe. Cet ajustement augmente les profits [sans tenir compte des coûts d’étiquetage], mais le gain est de second ordre. En revanche, si toutes les entreprises s’ajustaient au choc monétaire, le niveau global des prix baisserait, les soldes réels reviendraient à leur niveau initial et la courbe de demande de chaque entreprise se déplacerait à nouveau vers l’extérieur… Malheureusement, une entreprise individuelle ne tient pas compte de cet effet car, en tant que petite partie de l’économie, elle considère que les dépenses globales et donc la position de sa courbe de demande sont données. Ainsi, les entreprises peuvent ne pas prendre la peine de procéder à des ajustements de prix qui, pris dans leur ensemble, mettraient fin à une récession. (Ball et Mankiw, 1994)

 

Pour toutes ces raisons, un changement de la demande de monnaie peut avoir des effets réels, non seulement à cause du temps que mettent les prix à s’ajuster, mais au cours même de ce processus. En effet, durant ce processus, les entrepreneurs font face aux signaux d’extraction (cf mon article Comprendre les coûts de l’inflation monétaire).

Pour faire face aux dangers potentiels que représentent à la fois ces erreurs de perceptions monétaires et la lenteur de l’ajustement des prix monétaires, les partisans de l’inflation zéro cherchent à minimiser la charge supportée par le système de prix. Une politique d’ajustement de la quantité nominale de monnaie chaque fois qu’un tel ajustement permet de maintenir le niveau des prix constant (mais pas autrement) est censée y parvenir à la fois en réduisant le nombre et l’ampleur des ajustements nécessaires des prix monétaires et en réduisant l’ampleur des changements temporaires et injustifiés des prix relatifs (y compris les modifications des taux d’intérêt réels) survenant en relation avec toute perturbation monétaire.

Nous en avons fini pour la présentation de nos deux théories : il nous reste encore à les mettre en contraste, avant de présenter les différents épisodes monétaires importants sous l’oeil de la norme de productivité, et de montrer les différentes pistes de réflexion qui ont été proposées pour les mettre en application.

 

 

  1. Par exemple, Hayek a proposé de stabiliser le flux monétaire dans son article « On Neutral Money ». Cf mon article La monnaie neutre : l’apport d’Hayek
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  • Il y a quelques décennies, je me disais : plus tard, j’irais vivre « en théorie », c’est surement un beau pays où tout est parfait… Mais il s’avère, que les usages, évoluent au fil du temps, que les descriptions formalisées appelées théories ne sont qu’un support « idéologique » qui ne sont vrais qu’à l’instant T. (en matière économique)
    Par exemple, on nous parle le la loi de l’offre et de la demande, si le principe reste vrai, l’évolution des structures d’achats a en partie substitué le consommateur final par les centrales d’achats. La puissance de celles-ci auprès des industriels et producteurs a fortement modifié le paysage industriel et agricole.
    L’évolution et l’adaptabilité humaine, la recherche de profits exagérés, parfois « illicites » et démesurés altèrent les modèles théoriques. Alors vouloir reprendre les ouvrages de référence reste complexe. Parfois, (ou souvent) il vaut mieux laisser faire, juste éviter les aberrations (exagérations) plutôt que de construire des usines à gaz qui aboutissent au résultat contraire. (PS : bien évidement je ne connais pas les solutions, mais ça me parait fort complexe)

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