Énergie : effets pervers de la régulation du marché en France

Avec la régulation de l’énergie, il y a un conflit d’usage entre les intérêts d’EDF et les intérêts propres à l’Etat en tant que puissance publique.

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Énergie : effets pervers de la régulation du marché en France

Publié le 24 janvier 2022
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Par François Turenne.
Un article de l’IREF Europe

La Commission européenne a un mérite, celui d’avoir fait céder la France sur l’ouverture du marché de l’énergie à la concurrence en mettant fin au monopole d’Engie et d’EDF. Cependant, la Commission est restée très souple. Elle a temporairement autorisé le maintien de dispositifs de régulation. Ainsi, en France l’énergie est dans un entre-deux (en partie libéralisée, en partie régulée). Ce système montre de plus en plus ses limites dans un moment de hausse exponentielle des prix. Il est coûteux pour le contribuable et limite les marges des fournisseurs.

Un système archaïque et faillible en temps de crise

En France, l’État planifie et organise le marché de l’énergie. Au travers du Conseil de régulation de l’énergie (CRE), il fixe les tarifs réglementés du gaz et de l’électricité qui s’appliquent aux deux opérateurs historiques. Forcé et contraint par la Commission européenne, l’État mettra fin en 2023 au tarif réglementé du gaz, mais pas à celui de l’électricité. Nous sommes le dernier pays d’Europe à avoir conservé des reliquats de l’époque des grands monopoles d’État. Ces mécanismes de fixation des prix au niveau national n’ont plus de sens alors que le marché de l’électricité est européanisé et que les prix du gaz se fixent sur les marchés internationaux.

Par ailleurs, la loi et le droit disposent de plusieurs mécanismes de régulation. Le gouvernement s’est appuyé sur l’article R 445-5 du Code de l’énergie pour bloquer les prix du gaz en octobre dernier jusqu’à juin prochain au minimum. Ces mécanismes ont la vertu d’être intéressants d’un point de vue électoral mais ils ne sont pas sans rappeler les pratiques des États socialistes. Les conséquences économiques de telles décisions sont importantes pour la trésorerie des fournisseurs et pour les finances publiques. Les consommateurs ne subissent pas de hausse sur leurs factures dans l’immédiat mais ils la paieront plus tard, en impôts ou sur leurs futurs contrats d’électricité et de gaz. Le terme de « blocage » des prix du gaz cache donc une réalité plus complexe.

La situation sur les marchés empire

Le CRE doit relever le tarif réglementé de l’électricité au 1er février et pour les six prochains mois. Le gouvernement s’était engagé en octobre dernier à limiter cette hausse à 4 %. Cependant, les prix de l’électricité sur les marchés, qui oscillent entre 200 et 400 euros le MWh, ne le permettent pas pour l’heure : les membres de l’autorité administrative anticipent une hausse de 40 %. Le ministre de l’Économie a promis de réduire la TICFE à pratiquement zéro, ce qui représente 8 milliards pour les finances publiques et conduirait à limiter l’augmentation des prix entre 23 et 25 %. La facture du bouclier tarifaire est en train d’exploser, le gouvernement tablait sur un coût initial de 10 milliards mais les estimations les plus optimistes se situeraient autour de 14 milliards. La situation pourrait alors devenir critique pour les finances publiques déjà mises à mal par le « quoi qu’il en coûte », des décennies d’endettement et des politiques publiques erratiques.

La gauche pointe le marché comme responsable de ces hausses mais personne n’osait critiquer la libéralisation lorsque les prix de l’électricité atteignaient péniblement 40 euros du MWh en 2020. Encore une fois, nos politiques se trompent dans leur constat. Des décennies de régulation et de contrôle des prix ont limité les marges des fournisseurs d’électricité et les placent dans une situation économique fragile. Désormais, ils doivent assumer les conséquences du blocage des prix. Tout cela pèse sur les perspectives d’investissement et d’emploi.

Les conséquences économiques sur les fournisseurs

Si la France a en partie cédé à la Commission européenne sur la libéralisation, elle a maintenu des dispositifs de régulation. En effet, pour contenter les concurrents d’EDF et éviter une séparation entre les activités de production et de fourniture d’EDF, les fonctionnaires de la Direction générale de l’énergie ont imaginé en 2009 le dispositif dit ARENH (accès régulé à l’énergie du nucléaire historique). La loi Nome l’instaura en 2010, elle oblige EDF à vendre 100 TWh d’électricité nucléaire à ses concurrents. Le CRE est chargé de répartir les TWh selon les besoins de chacun. L’ARENH garantit un prix de 42 euros/ MWh qui, en 2010, prenait en compte l’amortissement du parc nucléaire existant. Seulement EDF a, depuis, entamé « le Grand Carénage », c’est-à-dire les travaux de maintenance des réacteurs nucléaires dont le coût total (estimé à 1 milliard par réacteur) rend le prix de l’ARENH obsolète. Pire, lorsque les prix du marché sont bas, personne n’achète de l’ARENH et ne pouvant vendre ces 100 TWh sur le marché, EDF perd de l’argent. Quand les prix grimpent, tous les fournisseurs au contraire réclament de l’ARENH et EDF, ne pouvant vendre au prix du marché, perd aussi de l’argent.

Les fournisseurs alternatifs à EDF réclament une augmentation du plafond de l’ARENH alors que les prix explosent sur le marché de gros. Mais un problème de taille demeure : 17 des 56 réacteurs de notre pays sont actuellement à l’arrêt. De fait, une augmentation du plafond de l’ARENH de 100 à 120 TWh comme l’envisage le gouvernement, contraindrait EDF à acheter le surplus sur le marché de gros et à le vendre à 46 euros. Le président d’EDF estime que cela coûterait entre 7 et 8 milliards d’euros au groupe. N’oublions pas que les pertes seront comblées par… l’État, actionnaire à hauteur de 84 %. Le contribuable devrait donc repasser à la caisse.

Enfin cette crise vient rappeler la nécessité pour la France de mettre en pratique le projet Hercule voulu par la Commission, à savoir la séparation entre les activités de production d’électricité et les activités de fourniture. L’effectivité de la réforme rendrait de fait obsolète le mécanisme de l’ARENH et pourrait donner une certaine visibilité aux acteurs du marché. Le rôle de l’État dans les entreprises d’énergie doit aussi être repensé, il y a un conflit d’usage entre les intérêts d’EDF et les intérêts propres à l’Etat en tant que puissance publique. De fait, la privatisation des activités de fourniture d’EDF conduirait à une gestion moins confuse de la crise.

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  • On peut être pour un monopole géré par l’état, ça a ses avantages et ses inconvenients…
    On peut être pour un systéme libréralisé, ça a ses avantages et ses inconvenients…

    La ils nous ont pondu un « machin » qui a a peu prés tous les inconvenients et aucun avantages:
    On va payer plus cher pour polluer plus en augmentant le risque nucléaire, en étant plus dépendants de l’étranger sur cette question stratégique et, cerise sur le gâteau, en pourrissants nos paysages.

  • Article « pondu » par la soi- disant concurrence libre etc …… merci, nous avons déjà donné !!
    – Ou sont les investissements pour la production d’électricité de la part du privé ?
    – En dehors de la chasse aux subventions, quoi d’autre ?

  • Les commentaires sont fermés.

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