Le mème : un objet politique

Les mèmes ne sont pas que de simples objets humoristiques à l’apparence inoffensive ; tout au contraire, ils fonctionnent comme de redoutables objets politiques.

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Le mème : un objet politique

Publié le 17 janvier 2022
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Par Albin Wagener.
Un article de The Conversation.

Considéré avant tout comme un emblème très actuel de la (contre-) culture web, les mèmes pullulent désormais sur les boards (ces plates-formes collaboratives alternatives comme 4chan, Reddit ou 9gag) ou les réseaux sociaux – et ont même permis l’émergence de groupes de chineurs de mèmes (ou neurchi), dédiés au rassemblement de consommateurs et de producteurs de mèmes, attirant ainsi à nouveau une population plus jeune sur Facebook. Mais les mèmes ne sont pas que de simples objets humoristiques à l’apparence inoffensive ; tout au contraire, ils fonctionnent comme de redoutables objets politiques.

Mais d’abord, qu’est-ce qu’un mème ? Le terme lui-même est hérité de la controversée théorie des mèmes de Richard Dawkins datant de 1976, qui tentait d’expliquer la propagation des cultures, en les réduisant à un ensemble de comportements qui se répliqueraient et se reproduiraient à travers les individus, sans que ceux-ci n’en aient conscience, et sans qu’ils puissent en avoir le moindre contrôle. Cette théorie a été reprise et réadaptée un peu plus tard par Susan Blackmore, puis reprise par la communauté du web – sans que l’on ne sache très bien comment ni pourquoi.

Un mème, c’est ce petit signe qui combine à la fois des éléments textuels et visuels (on dira alors qu’il est graphotextuel), et qui se caractérise par sa grande viralité, sa capacité à commenter un nombre extrêmement variable de sujets et ses qualités créatives quasiment illimitées.

En d’autres termes, le même est un objet hypernarratif par excellence : il permet de concentrer des éléments narratifs de manière particulièrement efficace, et peut alors se transmettre très rapidement sur un nombre élevé de plates-formes, sans véritable autre limite que la durée de vie que les individus vont lui conférer – puisqu’il existe bien des modes en matière de mèmes.

Le rôle des mèmes en politique n’est à vrai dire pas totalement nouveau ; en effet, l’alt-right américaine a abondamment usé de mèmes pendant les deux campagnes présidentielles de Donald Trump, soutenant ainsi son candidat tout en torpillant le camp démocrate.

Certains mèmes, comme le désormais célèbre Pepe the Frog, sont d’ailleurs devenus des emblèmes du camp des suprémacistes blancs nord-américains, allant jusqu’à inspirer le tueur de Christchurch, lors du tragique attentat qui a secoué la Nouvelle-Zélande en 2019.

Un mème représentant Donald Trump en Pepe The Frog fier d’empêcher des mexicains (eux-aussi grimés de visages de mèmes très populaires) d’entrer sur le territoire états-unien
Un mème représentant Donald Trump en Pepe The Frog fier d’empêcher des Mexicains (eux-aussi grimés de visages de mèmes très populaires) d’entrer sur le territoire américain.

Pour Maxime Dafaure, on peut même parler de Great meme war (ou « grande guerre des mèmes »), dans la mesure où les milieux conservateurs et d’extrême droite utilisent largement les mèmes comme des armes de guerre communicationnelles, afin de faire passer certains discours sur les boards et les réseaux sociaux – afin de toucher des publics plus larges.

En France, nous ne sommes pas épargnés par cette tendance : la page Facebook du neurchi de Zemmour par exemple, qui était initialement considérée comme un espace humoristique de création et de diffusion de mèmes sans conséquence, s’est progressivement transformée en outil politique qui a participé à rendre l’image du candidat d’extrême droite « pop-culturisable » et potentiellement humoristique, donc potentiellement plus anodine et acceptable.

Du côté des activistes, la tendance est identique : les mèmes sont utilisés comme des outils qui permettent à des campagnes de communication de circuler de manière efficace, en touchant des publics potentiellement plus larges afin d’alerter sur des questions sociales ou environnementales, par exemple.

Les mèmes, une forme d’engagement politique ?

D’une certaine manière, la profusion de mèmes dans le champ démocratique (et au-delà) témoigne d’une réappropriation des questions politiques pour un nombre non négligeable d’acteurs ; qu’il s’agisse du rapport au travail ou aux médias, de questions de discrimination ou d’économie, toute une génération d’individus peut aisément et succinctement commenter un nombre important de sujets grâce aux mèmes – en reprenant donc la parole dans l’espace démocratique, à travers une nouvelle forme langagière. On pourrait même faire l’hypothèse que les mèmes représentent une forme d’engagement politique à part entière, par le biais de la création, de l’aspect ludique et de la dimension de partage interactif.

Dans cette optique, c’est donc plutôt une bonne chose de voir qu’en tant qu’objets culturels et politiques, les mèmes sont aussi populaires chez les publics plus jeunes : ils en disent long sur la manière dont la société a la capacité de resignifier le politique, en fonction de codes culturels sans cesse renouvelés. En d’autres termes, à chaque média et à chaque génération son langage – et ici, il s’agit de nouvelles formes particulièrement performantes qui combinent l’efficacité d’un texte court et l’univocité d’une image immédiatement compréhensible, souvent basée sur des références héritées de la culture populaire.

C’est aussi pour cela qu’il est permis de penser que les mèmes constituent une nouvelle forme langagière : ils permettent de faire circuler des affects, des états mentaux et des commentaires élaborés de manière concentrée et réduite, et immédiatement décodable par les destinataires (ce qui est encore plus vrai pour les gifs) – une nouvelle forme langagière qui se base sur son propre système de codes, qu’il faut nécessairement apprendre pour pouvoir le comprendre, puis le pratiquer.

En d’autres termes, nous avons à notre disposition une sorte de fichier.zip communicationnel, extrêmement élaboré et diablement efficace. Cette efficacité communicationnelle est due à la construction même de l’objet, qui fonctionne en articulant deux dimensions, à savoir le sujet dont traite le mème (ou topème) et l’univers culturel sur lequel le mème prend appui pour diffuser le message (ou référème).

Par exemple, les mèmes issus du Neurchi de Kaamelott, des Tintinades ou des Mesmes Moyenagescqves povr serfs et vassals sont basés sur des référèmes clairement identifiés (respectivement la série Kaamelott, la bande dessinée Tintin et l’art moyenâgeux) ; d’un autre côté, les comptes Mèmes décentralisés ou Neurchi de flexibilisation du marché du travail proposent d’échanger des mèmes sur des topèmes spécifiques, à savoir respectivement la mise en mèmes du rapport Paris/province, et les rapports entre salariés et managers dans le monde du travail. Mais dans tous ces cas, les mèmes ne manquent jamais leur objectif : proposer, sous couvert d’humour, une analyse souvent acerbe de notre société, à travers ses absurdités et ses contradictions, et donc d’en produire une critique qui n’est que très rarement dénuée de sens politique. Ainsi, avec les mèmes, rien ne sert de s’aigrir ; il faut sourire à point.The Conversation

Albin Wagener, Chercheur associé l’INALCO (PLIDAM) et au laboratoire PREFICS,, Université de Rennes 2

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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