Les rachats d’actions ne sont pas condamnables

Contrairement au lieu commun, les rachats d'actions par une entreprise ne créent aucune valeur. Pourquoi sont-ils autant décriés alors ?
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Les rachats d’actions ne sont pas condamnables

Publié le 4 janvier 2022
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À quelques mois de l’élection présidentielle de 2022 il est de bonne guerre pour tous ceux qui s’opposent au capitalisme et à la cupidité des actionnaires de dénoncer les pratiques condamnables des grandes entreprises cotées comme les rachats d’actions. Cette dénonciation est d’autant plus performante qu’elle s’appuie sur un raisonnement qui se veut sérieux et compétent. Or, il n’en est rien. C’est ainsi que le journal Le Monde consacrait son éditorial du 24 décembre 2021 à cette pratique condamnable, selon lui, qu’est le rachat d’actions par les entreprises cotées.

Après avoir remarqué que les rachats d’actions avait fait un passage à vide au plus fort de la crise pandémique, Le Monde constatait que « les grandes entreprises cotées se remettent à racheter massivement leurs propres actions. Aux États-Unis, les multinationales ont ainsi dépensé en 2021 plus de 850 milliards de dollars (750 milliards d’euros). En France, les montants restent plus modestes, mais la tendance est en forte hausse ».

S’il est vrai que le rachat d’actions consiste pour une entreprise à racheter ses propres actions sur le marché pour ensuite les annuler dans la foulée (mais pas toujours), il est faux d’expliquer que « réduire le nombre de titres en circulation permet mécaniquement d’augmenter le bénéfice par action, ce qui a pour effet à plus ou moins court terme de doper le cours de Bourse, à la grande satisfaction des actionnaires ». Cela serait vrai si le PER (Price earning ratio) restait le même après l’opération. Mais ce raisonnement est bien trop simpliste (Voir Michel Albouy, Décisions financières et création de valeur, 3e éd. Economica, 2017).

Qu’est-ce que le rachat d’actions

En fait le rachat d’actions avec annulation des titres est une opération strictement inverse à l’augmentation de capital en numéraire qui consiste à émettre des actions contre un apport de cash à l’entreprise. De même qu’une augmentation de capital en numéraire n’appauvrit pas, stricto sensu, les actionnaires, un rachat d’actions ne constitue pas un enrichissement pour les actionnaires.

Bien sûr, l’augmentation de capital ne sera créatrice de valeur que si les fonds récoltés sont investis dans des projets d’investissement à valeur actuelle nette positive (rentabilité supérieure au coût du capital). Inversement, le rachat d’actions sera créateur de valeur si, au lieu d’investir le cash dans des projets non rentables, il est rendu aux actionnaires. À charge pour ces derniers de l’investir dans d’autres entreprises.

Mais alors, pourquoi rendre de l’argent aux actionnaires via les rachats d’actions si cette opération ne crée pas automatiquement de la richesse pour les actionnaires ? De fait, les rachats d’actions permettent de limiter l’accumulation de cash et donc de réduire les marges discrétionnaires des dirigeants qui, selon la théorie de l’agence, peuvent ne pas toujours investir dans l’intérêt de leurs actionnaires. L’accumulation de cash dans la trésorerie de l’entreprise n’est pas en soi un gage de bonne gestion. La recherche empirique sur les fusions-acquisitions montre à cet égard que les acquisitions réalisées par des sociétés disposant de trésorerie importantes sont moins rentables que celles des sociétés plus contraintes en cash.

Les rachats d’actions, un bouc émissaire

Le rachat d’actions peut aussi se justifier si l’entreprise, n’ayant pas d’opportunité d’investissements rentables, préfère rendre le capital à ses actionnaires qui pourront alors le réemployer dans d’autres firmes. Ce faisant, ces opérations de rachats, comme du reste les dividendes versés aux actionnaires, participent à la circulation du capital dans l’économie. Et c’est justement ce que ne comprennent pas certains journalistes qui écrivent : « L’objectif n’est donc plus seulement d’accumuler du capital productif, mais surtout de faire monter par tous les moyens les cours de Bourse dans le but de distribuer du cash aux actionnaires » (Le Monde du 24 décembre 2021).

La théorie financière enseigne qu’au lieu d’accumuler de la trésorerie dans des entreprises matures ayant peu d’opportunités d’investissements rentables autant redéployer ces capitaux vers des entreprises jeunes et en croissance. Cette circulation du capital est essentielle. C’est ce qui explique la montée des fonds de private equity qui investissent dans des start-up et autres licornes.

Comme de bien entendu, la critique des rachats d’actions est articulée sur les objectifs de rentabilité disproportionnés qu’exigeraient les actionnaires.

Or, cette norme de rentabilité de 15 % souvent invoquée par certains journalistes, notamment du journal Le Monde, n’existe pas comme nous l’avons montré dans un article publié en 2020 dans la revue Finance-Contrôle-Stratégie. Dans cet article nous expliquons la diffusion en France du mythe des 15 %, l’idée que les actionnaires attendent 15 % de ROE (Rentabilité des fonds propres) de leurs investissements.

Nous montrons que l’existence d’une norme de 15 % de ROE est contraire à la théorie financière et à l’évidence empirique puis, par une analyse de la presse économique, comment le mythe des 15 % s’est diffusé dans les années 1990 sous l’influence de leaders d’opinion et avec le soutien de médias influents.

Enfin, l’idée que les rachats d’actions se font au détriment de projets d’investissement à long terme des entreprises n’est pas vérifiée empiriquement. On connait de nombreuses entreprises qui font des rachats, qui investissent et sont en croissance à long terme.

La recherche en finance d’entreprise a fait depuis une vingtaine d’années de nombreux progrès et il est dommage de constater que des médias influents comme Le Monde n’en prennent pas acte et se réfugient dans une critique systématique et bien trop facile des actionnaires. Alors qu’ils devraient diffuser les connaissances scientifiques issues de la recherche en finance ils se complaisent dans des analyses superficielles et idéologiques. Ce faisant ils participent à la méconnaissance du fonctionnement d’une économie libérale.

 

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  • Je pense que les rachats d’action par endettement devraient être interdits, d’ailleurs probablement aussi la distribution de dividendes les années ou la dette augmente…

    -7
    • Les rachats d’actions par endettement permettent à une entreprise de rééquilibrer sa structure financière (rapport entre les fonds propres et la dette). Il n’y a rien de répréhensible la dedans, sauf un éventuel biais cognitif.

    • Personnellement je suis contre aussi. Simplement je vote contre ou sinon je quitte le titre. La bourse c’est pas le socialisme, pas besoin d’interdire, on peut facilement se retirer.

    • Et si vous laissiez les entreprises privées gérer leur argent et biens comme elles le souhaitent?
      Si elles se trompent tant pis pour elles: elles couleront, se feront racheter ou d’autres prendront leur place.
      Si vous rajouterez encore d’autres freins étatiques à leur gestion, vous ne ferez qu’en pousser certaines à quitter le territoire ou vous les désavantagerez par rapport à d’autres entreprisea étrangères ayant plus de possibilités de souplesse en matière de gestion.
      De plus, vous pensez vraiment que le secteur publique a des leçons de bonne gestion à donner au secteur privé?

  • Les rachats d’actions montrent tout de même que les dirigeants de l’entreprise ne voient pas de projet viables dans lesquels investir les fonds. A long terme cela montre une absence de perspectives de croissance.
    Le Monde confond cause et effet: C’est l’absence de perspectives économiques positives qui entraîne le rachat d’actions, et non pas le rachat d’actions qui cause la récession économique.

    • Oui, c’est vrai que les fonds rendus aux actionnaires montrent clairement que les dirigeants n’ont pas de projets d’investissement. Mais quid si on est dans un secteur en surcapacité de production ou si tout simplement il n’y a pas de projets rentables ? Autant alors rendre l’argent aux actionnaires pour qui l’investissent ailleurs.

  • Le probleme est un peu different. On a actuellement des societes qui n investissent pas/peu et qui distribuent le cash aux actionnaires (que ca soit par dividende ou rachat d action ne change rien). Si ces societes investissent peu, c est qu elles ne trouvent pas de projet assez rentable. et la est le probleme !
    Car a force de sous investir elle se font doubler par des societes qui elles ont investit (ex alcatel vs Huawei dans la 5G ou Carrefour/casino qui vont se faire eliminer par amazon)
    D apres l auteur, c est pas un probleme car le cash issu de carrefour pourrait etre investit dans amazon par l actionnaire. Outre le fait que ca passe par perte et profit les non actionnaires, cette theorie n est malheureusement pas verifiée. le cash de carrefour s est plus probablement dirige vers l immobilier ou d autres actions low tech

    PS: vous remarquerez que les societes qui surperforment actuellement (amazon, google, apple, facebook …) ne font pas de rachat d action ni meme ne versent de dividende (a l exception d apple). le rachat d action ets quand meme un signe que le modele eco de la société est sur une pente au moins stagnante voire declinante

    • Si quelqu’un vend des actions Carrefour et rachète des actions Amazon, c’est un changement de paradigme complet, pas du tout une substitution. Le risque non-diversifiable qui est quand même la caractéristique principale d’une action et de son rôle en portefeuille est très différent.
      Si Carrefour ou Casino se font « éliminer » par Amazon (pas du tout sûr, cela dit) cela relèvera non pas de l’allocation en portefeuille basée sur le risque par les investisseurs mais de la mauvaise allocation des fonds qui sont alloués justement aux managers.

    • Je doute que le cash de Carrefour soit réinvesti dans Amazon… Il l’est plutôt dans du private equity. Quand aux entreprises qui ne versent pas de dividendes ni ne font de rachat d’actions c’est OK si cela convient à leurs actionnaires. De toutes façon ni les dividendes ni les rachats d’actions enrichissent les actionnaires. C’est juste un choix de politique financière.

  • Il y a une conséquente littérature en finance qui montre que les rachats d’actions par les entreprises se font au détriment des intérêts à long terme des actionnaires. En clair, de nombreuses études montrent qu’en moyenne, c’est du cash jeté par les fenêtres. Ça perdure à cause du vieux problème agent-principal, qui est loin d’être réglé dans nos sociétés crony-capitalistes.

    Ceci dit, je suis d’accord avec l’auteur sur le fait que les entreprises devraient être libres de le faire : ceci est d’autant plus vrai si le taux d’imposition sur les dividendes est supérieur à celui sur les plus-values, ce qui est souvent le cas, car c’est alors un moyen de verser des dividendes sans vraiment le faire d’un point de vue fiscal.

    • Les rachats d’actions étant surtout le fait d’entreprises matures ayant accumulé beaucoup de cash, il n’est pas étonnant que ces entreprises ne surperforment pas à long terme; ce serait le cas même si elles ne faisaient pas des rachats.. En rendant le cash à leurs actionnaires elles leur permettent d’investir ailleurs, sans avoir à vendre.

  • L’objectif du Monde est bien entendu de désinformer sur l’économie de marché, libérale, capitaliste. La malhonnêteté intellectuelle est leur souci constant. Si vous trouvez ce commentaire excessif, réfléchissez par exemple à la manière dont la réalité de Chine de Mao ou les Khmers verts a été niée, consciemment pour des raisons de soutien politique. Plus récemment, la mise sur écoute, l’incarcération ou la menace d’incarcération de ses avocats, les pseudo-révélations pendant des années du candidat et puis du Président Trump par le FBI et la CIA sur base d’un dossier bidon payé par Hillary Clinton suite à une soi-disant collusion avec les autorités russes. A aucun moment, le Monde n’a expliqué qu’il s’était radicalement trompé ou qu’il avait été abusé.
    Sur le fond, le rachat d’actions n’est envisageable que parce que les fonds disponibles par l’emprunt sont abondants et bon marchés suite à la politique de taux d’intérêt ultra bas menée par les banques centrales
    L’intérêt pour les actionaires est donc nul. pour les dirigeants, l’effet d’aubaine permet une augmenttaion des cours et donc l’exercice de stocks option ou des bonus importants
    Ne pas voir ces deux éléments essentiels montrent que l’article est complètement à côté de la plaque ..

  • Les commentaires sont fermés.

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