Transformation : pourquoi il faut résister à la tentation d’aller trop vite

La clé de la transformation est de saisir qu’il s’agit d’un processus social, et qu’un tel processus a généralement une nature exponentielle.

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Transformation : pourquoi il faut résister à la tentation d’aller trop vite

Publié le 4 janvier 2022
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La plupart des plans de transformation ne donnent pas grand-chose malgré l’importance des moyens mis en œuvre. L’une des raisons est qu’ils essaient d’aller trop vite. Cette volonté d’aller vite est guidée à la fois par la peur d’échouer et par une mauvaise compréhension de la nature profonde de la transformation, qui est un processus social.

Je n’ai qu’un vague souvenir du reportage, car c’était il y a longtemps, mais il m’a marqué. La scène filmée se passe dans un centre de formation d’apprentis en mécanique. Le professeur, vieux de la vieille, donne un exercice aux élèves avec un délai très court.

En considérant le travail inachevé de l’un d’entre eux, il explique :

« Tu as voulu aller trop vite. Tu as laissé plein de choses encombrer ton esprit ; tu as vu le temps passer et tu as commencé à paniquer ; tu as fait des erreurs, et ces erreurs t’ont coûté cher. La prochaine fois, si tu veux aller vite, procède lentement pour ne pas faire d’erreur, et ainsi tu pourras terminer dans les temps. »

J’ai trouvé profonde et sage l’idée que pour aller vite, il fallait procéder lentement, et j’ai souvent observé que cette idée pouvait également s’appliquer au changement collectif.

La transformation est un processus social

Je ne suis d’ailleurs pas le seul. « Faites des choses qui ne passent pas à l’échelle ! » recommandait ainsi Paul Graham, une légende de la Silicon Valley. Autrement dit, commencez petit, n’allez pas trop vite et faites les choses à la main, n’essayez pas d’automatiser, du moins pas trop tôt. Visez des petites victoires.

La recommandation semble étrange, mais Graham est le fondateur de l’incubateur YCombinator qui a lancé, entre autres, Airbnb, Dropbox et Reddit. Au début, les fondateurs d’Airbnb pensaient qu’il suffirait de lancer leur site pour qu’il décolle tout seul. Lorsque ça ne s’est pas produit, ils ont dû aller recruter eux-mêmes les premiers utilisateurs, un par un, en faisant du porte à porte, semaine après semaine.

Ce qui vaut pour les startups vaut aussi pour l’innovation et pour la transformation, car ce sont les mêmes mécanismes qui jouent : ceux d’une construction sociale. Il s’agit de transformer un collectif. C’est quelque chose d’organique dans lequel le vecteur de mouvement n’est pas l’idée géniale mais l’individu qui incarne un nouveau modèle mental à travers son comportement.

Recruter manuellement

Si vous voulez transformer un collectif, il y a deux raisons pour lesquelles vous devez, comme une startup, recruter manuellement vos premiers « utilisateurs ».

La première, c’est qu’il s’agit de modifier des comportements. Si vous avez appris à votre enfant à se brosser les dents, vous savez que le problème n’est pas un problème d’explication. Vous lui avez expliqué depuis longtemps, avec vos mots à vous, pourquoi il fallait se laver les dents, et il l’a sûrement à peu près compris, ce n’était pas très difficile. Mais cette compréhension n’a certainement pas changé son comportement quotidien. Ce qu’il a fallu, c’est qu’il prenne l’habitude de se brosser les dents matin et soir, car ce n’était pas naturel. C’est un comportement que vous avez dû créer. Cela a nécessité un gros investissement de votre part : chaque jour, deux fois par jour, et parfois plusieurs fois, lui rappeler de se brosser les dents, sans cesse. Vous avez parfois ressenti l’épuisement et le découragement, mais vous avez persisté, jour après jour.

Il en va de même pour la transformation. Vous cherchez à changer des comportements à propos de choses qui sont souvent faciles à comprendre : le digital, la collaboration, l’innovation, etc. Cela nécessite une implication directe de votre part. C’est quelque chose qui se fait manuellement. Que seul vous pouvez faire. Vous ne pouvez pas le sous-traiter une fois que vous l’avez pensé.

La deuxième raison pour laquelle vous devez recruter manuellement est que le rôle des premiers individus recrutés est crucial dans le processus de transformation. Le modèle doit être incarné dans leur action au quotidien, et ils doivent ainsi en permettre la diffusion. Comme vous avez induit le comportement du lavage de dents chez vos enfants, eux l’induiront chez leurs propres enfants, et ainsi de suite.

Autrement dit, le vecteur de diffusion de la transformation est l’incarnation des premiers individus qui doivent agir en leaders, au sens de donner l’exemple par leur action. Là encore, votre implication directe va être nécessaire, et vous ne pouvez pas compter sur une petite « formation des formateurs » avec une notice explicative pour que le mécanisme s’enclenche. Cette implication directe va être très consommatrice de votre temps et de votre énergie. N’essayez pas de vous économiser en voulant aller rapidement susciter d’autres vocations. Pour reprendre le vocabulaire d’informaticien : travaillez en profondeur d’abord, en vous assurant de la réussite d’un tout petit groupe de leaders, plutôt qu’en largeur en jouant sur le nombre d’entrée de jeu. Si vous jouez sur le nombre en allant trop vite, vous construisez sur du sable, et vous vous épuisez quand l’édifice commence à se fragiliser.

Résister à la peur

Dans mon expérience d’accompagnement, le principal frein à cette approche est la peur. Peur de ne pas aller assez vite, peur d’être victime de pressions internes, peur d’échouer en n’apportant qu’une goutte d’eau dans l’océan, parce qu’on pense à tort que pour changer en grand, il faut commencer grand. Cette peur est naturelle, mais il ne faut pas y céder.

Laissez faire les autres initiatives, laissez parler, pariez sur le flot, restez discrets, continuez à recruter manuellement des leaders de façon calme et déterminée un par un. Gagnez du temps par tous les moyens.

Focus, focus, focus

Et donc ça commence à marcher : les premiers signes d’un mouvement commencent à se faire sentir. Vos recrues commencent à avoir un impact ; des histoires positives circulent ; l’énergie revient à certains endroits. C’est le moment où la dynamique s’inverse : ceux qui vous fuyaient viennent maintenant vers vous. Ceux qui étaient hostiles veulent voler au secours de la victoire. C’est la DRH qui souhaite désormais inclure un module transfo dans sa formation au leadership. C’est la communication interne qui flaire la belle histoire. C’est la DG qui vous remarque et veut accélérer le mouvement. Ce moment, c’est celui du plus grand danger pour vous. Pourquoi ? Parce que vous avez la tentation d’accélérer. Après des mois de solitude, vous sentez la possibilité du « grand jeu ». Enfin la ligne d’arrivée, et la reconnaissance qui l’accompagne. Et pourtant accélérer serait fatal. Il faut résister à la tentation, et continuer à se focaliser plus que jamais.

« Le focus, c’est dire non. Et vous devez dire non, non, non. Et quand vous dites non, vous faites chier tout le monde. » Ainsi s’exprimait Steve jobs en 1997 lors d’une intervention devenue légendaire, au sujet de son action pour redresser Apple. Comme Jobs, vous devez dire non. Non à la comm qui, après avoir ignoré le projet, veut le mettre en avant. Non aux candidats qui veulent s’engager dans la démarche et qui risquent de saturer les ressources de votre équipe que vous aurez eu la bonne idée de garder petite. Il faut accepter de faire des déçus et gérer les impatiences. « Merci, mais pour vous c’est trop tôt. On reviendra vers vous, c’est promis. » Il faut dire non parce qu’encore une fois, le vecteur de la transformation ce n’est pas vous, mais les volontaires que vous avez recrutés et armés et qui incarnent le nouveau comportement ; ce n’est que par eux qu’elle passera à l’échelle et c’est sur eux, et eux seuls, que vous devez focaliser votre action.

On l’aura compris, la clé de la transformation est de saisir qu’il s’agit d’un processus social, et qu’un tel processus a généralement une nature exponentielle : très lent au début, puis soudainement très rapide s’il a bien été construit. Votre rôle est donc de gérer cette temporalité en faisant preuve d’une discipline de fer. Comme notre apprenti, vous devez faire bien pour pouvoir faire vite.

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  • Maxime d’un grand maître d’équitation pour l’apprentissage des jeunes chevaux : « je vais très lentement car je suis pressé »

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