Il existe plusieurs manières de se féliciter de l’entrée à l’Académie française de Mario Vargas Llosa. On peut saluer l’entrée du premier écrivain de langue espagnole ou d’un prix Nobel de littérature ou la perpétuation de la tradition intellectuelle libérale qui lui permet de reprendre le siège de Tocqueville.
J’ai choisi pour ma part de mettre l’accent sur les personnages qu’il met en scène dans ses œuvres. Ils ont quelque chose de spécial qui mérite d’être souligné.
La littérature de Mario Vargas Llosa
J’en sélectionnerai quelques-uns.
Dans La Tante Julia et le scribouillard, Pedro Camacho écrit des feuilletons pour la radio. Son originalité apparaît dès le début par certains des mots qu’il utilise “l’art est plus important que ton service d’Information, farfadet“ ou “je ne vous garde pas rancune, je suis habitué à l’incompréhension des gens”.
Tout de suite on voit que cet individu est ininfluençable et inapte à la communication empathique.
Il était de ces hommes qui n’admettent pas d’interlocuteurs, seulement des auditeurs.
Et tous les personnages de ses feuilletons sont du même acabit : Don Federico Tellez Unzategui, le tueur de rats ; le père Seferino Huanca Leyva, curé du bidonville ; mademoiselle Rosa dans la pension coloniale ou la Lolita de 13 ans Sarita Huanca Salaverria, aucun ne peut être taxé de conformisme monotone sans relief. En fait, on trouve de tels originaux imperméables à la pression collective du groupe dans beaucoup d’autres romans. Parfois ils sont réels, car l’auteur part toujours du réel qu’il extrapole ou mélodramatise ensuite.
Je pense au président Balaguer dans La fête au bouc, le livre qui lui a valu le prix Nobel. Ce personnage est décrit avec une finesse et une maestria remarquables : lui non plus ne se laisse pas influencer et à un moment tragique et décisif ce petit bonhomme effacé prend des décisions audacieuses avec un grand sang-froid. Il y a aussi Roger Casement dans Le rêve du celte ou encore dans un roman moins connu Le héros discret et pourtant excellent Felicito Yanaqué, patron d’une entreprise de transports et Adelaïda, la voyante.
Tous ces caractères incarnent ce que l’on pourrait appeler la “résistance au collectif”.
Mais attention ! Ils ne délivrent aucun message ni ne symbolisent aucune idée. Ils se contentent de vivre et de se débattre dans la réalité mais ils ont en eux une puissante énergie vitale qui leur permet de surmonter beaucoup d’obstacles ou d’influences. Cela ne les empêche pourtant pas de subir parfois des échecs.
Un style unique
Le style de Vargas Llosa est également particulier par ce mélange de deux caractéristiques souvent inconciliables : d’une part une emphase mélodramatique créant le suspense et d’autre part un recul humoristique révélant une relative tendresse pour ces individus.
Le contraste ou la contradiction est aussi une de ses techniques :
Il avait surpris un pickpocket débutant qui prétendait dévaliser une vieille femme, il l’avait démoli à coups de tête (le conduisant lui-même ensuite au dispensaire public pour qu’on lui recouse le visage.
Autre technique, le plongeon à l’intérieur du personnage :
Quand, encore dans son sommeil, il entendit sonner le téléphone, il pressentit quelque chose de très grave.
Ou encore :
Là, tremblant d’indignation, il observa la terrible évidence. Il n’y avait pas de doute possible : c’étaient ses filles.
Parfois sont glissés des petits détails concrets :
Il put enfin tendre la main vers le guéridon où il posait toujours son révolver… mais au lieu de l’arme il saisit son réveil : 4 heures moins 10.
Ces petits détails ont un effet légèrement comique qui permet de faire descendre d’une marche le personnage de son piédestal.
Une autre technique de rupture consiste à insérer un langage neutre, didactique ou raisonnable au milieu d’un récit agité.
Par exemple :
Ses supérieurs, alarmés, s’empressèrent de combattre ces extravagances mais celles-ci […] furent chaleureusement appuyées par dona Mayte Unzategui et comme la philanthropie latifundiaire subvenait aux besoins d’un tiers des séminaristes, ceux-là, raisons de budget qui font avaler des couleuvres, durent […] fermer les yeux et les oreilles devant les théories de….
Parmi les procédés littéraires qui parsèment ses romans je signale celui de la parenthèse comparative et comique : “mouches qui sentent le miel”, “pélicans qui aperçoivent le poisson”, “bombe atomique qui, un matin, désintègre des villes japonaises” ; et celui de la phrase qui revient rituellement : “large front, nez aquilin, regard pénétrant, esprit plein de bonté et de droiture”.
Si l’on veut comprendre ce que donne la liberté dans notre monde malgré les si nombreuses attaques dont elle fait l’objet aujourd’hui, les romans de Vargas Llosa en sont l’hymne à la fois le plus fervent et le plus amusant.
Pas de commentaire ! dommage le sujet est plus qu’intéressant. Mario Vargos Llosa est un immense écrivain et son parcours est assez fascinant.
Mention spéciale, comme le dit l’auteur de l’article à l’empathie voire la tendresse pour la plupart de ses personnages (même quand ils ont peu reluisants) ; pour moi c’est la marque d’un vrai humanisme.
Par ailleurs, Mélenchon, le “lider minimo” s’est fendu d’un tweet lamentable conspuant le fait qu’un auteur n’écrivant pas en français entre à l’Académie… tout le monde s’est que c’est le libéralisme de MVL et sa condamnation du castrisme qui lui valent l’ire de JLM.