Par Nathalie MP Meyer.
Vu de France, ce n’est pas sans surprise que l’on découvre la nouvelle coalition inédite qui va diriger l’Allemagne dorénavant. Connue sous le nom de « feux tricolores », elle repose sur l’accord de gouvernement signé cette semaine entre les socio-démocrates du SPD menés par Olaf Scholz (rouge), les libéraux du FDP de Christian Lindner (jaune) et les Verts co-présidés par Annalena Baerbock et Robert Habeck. Autant l’association SPD/Verts semble aller de soi – et Dieu sait qu’elle fait saliver notre PS et nos écologistes hexagonaux – autant l’adjonction des libéraux à cet attelage fort keynésien semble moins naturelle.
Une coalition pas si surprenante pour l’Allemagne
Vouloir marier les Verts et les libéraux dans une coalition n’est pas une nouveauté. Non seulement le candidat successeur d’Angela Merkel pour le parti de droite CDU/CSU Armin Laschet envisageait aussi de conclure une telle alliance à son profit, mais il faut se rappeler que lors des précédentes législatives de 2017, Angela Merkel comptait sur ces deux petits partis « faiseurs de roi » pour rester au pouvoir.
Les libéraux ayant rompu les négociations, elle s’est finalement tournée vers le SPD pour former à nouveau une grande coalition entre la CDU/CSU et le SPD, Olaf Scholz devenant son ministre des Finances jusqu’à aujourd’hui (dans l’attente de lui succéder comme Chancelier lors d’une investiture prévue le 4 décembre).
À l’époque, Christian Lindner avait claqué la porte des négociations en s’exclamant :
« Mieux vaut ne pas gouverner que mal gouverner. Au revoir. »
Rien de tel en 2021. Dès le début des négociations, les libéraux et les Verts se sont rencontrés de leur propre chef afin d’avancer sur ce qui les rapproche et évaluer leurs chances d’entrer dans un gouvernement formé autour de la droite ou autour des socio-démocrates, cette dernière configuration l’ayant finalement emporté.
À regarder les résultats des élections législatives du 26 septembre dernier, on aurait pu penser que le choix politique évident consisterait à reconduire la coalition sortante entre la CDU/CSU et SPD dans une sorte de fidélité à l’héritage Merkel :
Les deux grands partis sont au coude à coude et auraient la majorité au Bundestag, mais force est de constater que la dynamique est du côté du SPD alors que la droite vient d’enregistrer le plus mauvais résultat de son histoire commencée en 1945.
L’usure du pouvoir, la lassitude des électeurs après 16 ans de Merkel, une certaine continuité néanmoins assurée avec son ministre des Finances Olaf Scholz, la campagne peu inspirée d’Armin Laschet et une aspiration à l’alternance qui tend souvent à dépasser les clivages – tout ceci explique certainement pourquoi une majorité d’Allemands a manifesté d’entrée de jeu sa préférence pour une coalition « feux tricolores », 43 % d’entre eux souhaitant voir Olaf Scholz accéder à la chancellerie.
Il n’empêche que le nouveau projet de gouvernement, en donnant des motifs de satisfaction aux trois partenaires, à commencer par la répartition des portefeuilles ministériels qui accorde les finances aux libéraux et réunit l’économie et le climat en un seul ministère dévolu aux écologistes, ressemble plus à une liste hétéroclite à la Prévert qu’à un programme véritablement cohérent.
Oh, bien sûr, le texte de l’accord prévoit qu’ « au sein du cabinet, les décisions sont prises par consensus, aucun partenaire de la coalition n’est mis en minorité » et il est question de revenir dès 2023 à la plus parfaite orthodoxie budgétaire : pas de hausses d’impôt et pas question de s’endetter chaque année au-delà de 0,35 % du PIB, ce fameux frein à l’endettement prévu par la loi fondamentale allemande.
Dans le même ordre d’idée, l’âge légal de départ en retraite qui doit atteindre 67 ans à terme n’est pas remis en cause et il est même prévu d’introduire un peu de capitalisation dans le régime général. Ajoutons la légalisation du cannabis pour les adultes qui ne sera pas sans influence sur le désembouteillage de la Justice, ministère qui échoit également aux libéraux.
Mais parallèlement, le SPD apporte sa touche particulière avec une hausse du salaire minimum de 9,60 à 12 euros de l’heure, avec tous les effets négatifs que cela peut impliquer pour l’emploi des personnes les moins bien formées. Quant aux Verts, ils ont eu l’assurance que des moyens « sans précédent » seraient mis à la disposition de la politique climatique. « Idéalement », l’objectif serait de sortir du charbon en 2030 au lieu de 2038.
Comme il n’est pas question de revenir sur la sortie du nucléaire qui doit être achevée à la fin de 2022, il faut compenser par le gaz et faire monter les énergies vertes à 80 % de la production d’électricité. Un pari audacieux voire téméraire dans la mesure où le premier semestre 2021 a été marqué par une production électrique provenant à 27 % des centrales à charbon en raison d’une météo en manque de vent qui a immobilisé les éoliennes…
De la rigueur dans les comptes publics d’un côté, des dépenses de transition énergétique suffisamment importantes pour retenir l’attention des Verts de l’autre – cette coalition pourra-t-elle tenir ou bien Christian Lindner parviendra-t-il un jour plus ou moins prochain à sa conclusion de 2017 sur le fait qu’il est préférable de ne pas gouverner plutôt que gouverner mal ? À moins que ce ne soit l’austérité budgétaire qui devienne insupportable aux Verts ?
Vu de France, peut-être sommes-nous mal placés pour apprécier pleinement le talent du compromis de nos voisins allemands et leur côté pragmatique réaliste.
L’Allemagne plus libérale économiquement que la France
Qui pourrait croire chez nous que les lois Hartz de réforme du marché du travail, des réformes qui se révélèrent absolument cruciales pour l’emploi (graphique OCDE ci-dessous) et le pouvoir d’achat, ont été menées en 2003 et 2005 par le social-démocrate Gerhard Schröder à la tête d’une coalition SPD/Verts ? Et pourtant ! On imagine mal une telle chose se produire en France sous la houlette d’une union Jadot/Hidalgo.
C’est pourquoi Emmanuel Macron aurait tort de se réjouir trop vite de l’arrivée à Berlin d’une coalition qui tourne la page des années Merkel. Après tout, Olaf Scholz était son ministre des Finances et les libéraux sont là pour veiller au grain. De plus, alors que l’inflation vient d’atteindre un rythme de 5 % sur un an, situation purement transitoire d’après la présidente de la BCE Christine Lagarde mais prise très au sérieux par les banques allemandes, peu de citoyens allemands sont disposés à laisser les politiques monétaires accommodantes se poursuivre encore longtemps.
Si le président français pense pouvoir obtenir un nouveau plan de relance européen, une mutualisation des nouvelles dettes dans l’Union européenne et un assouplissement des critères de Maastricht (déficit public limité à 3 % du PIB et dette publique à 60 %), et si c’est à M. Lindner investi de toutes ses capacités libérales qu’il incombe de lui répondre, il est fort probable qu’il recevra la même réponse polie mais peu empressée qu’en 2017, lorsqu’il avait foncé à Berlin dès son élection pour engager des discussions sur ces sujets.
Réformez-vous d’abord, avait dit la chancelière. C’est exactement ce que Christian Lindner pourrait lui répondre. Et c’est exactement l’état d’esprit qu’il faudrait restaurer en Europe plutôt que de laisser filer les déficits à coup d’argent magique. Mais encore faudra-t-il que la coalition « feux tricolores » tienne bon sur la rigueur budgétaire et le retour à l’équilibre des comptes publics.
Le pourra-t-elle ? C’est la question. Réponse dans quelques mois.
Christian Lindner (FDP) by Dirk Vorderstraße (Creative Commons CC BY 2.0)
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650 milliards d’€ dépensés dans la lutte contre le covid et ce n’est pas fini pour des résultats bien maigres voire contre-productifs……………
Parfois, je me demande si les politiques qui n’osent plus se désigner « libéraux » ne devraient pas adopter leur désignation d’origine « économistes » ce qui leur permettrait, à l’instar des « écologistes », de se regrouper tout en ayant une influence à l’intérieur de l’ensemble des autres formations politiques.
Je crois qu’une coalition entre libéraux et écologistes est contre nature. Les écologistes ont une idéologie forte, de type religieux, mystique. En face, les liberaux étaient indirectement inspirés pas une forme d’humanisme, ou plutôt une certaine conception de l’humanité qui est en train de s’effacer pour faire place à l’opportunisme financier. La confrontation est idéologique, spirituelle et ce sont les libéraux qui se soumettent à la vague culturelle qui menace notre identité.
Notre modèle français est perçu comme tellement anti-économique que jamais les Allemands ne seront prêts à se compromettre.
Notre idéologie sociale et culturelle se heurtera toujours au pragmatisme allemand mettant systématiquement l’économie productrice avant la redistribution sans fin de nos « donneurs de leçons ».
Dans l’espace politique international, le pragmatisme de l’Allemagne Fédérale des Länder se situe à des années lumière d’une France ultra jacobine parasitée qu’elle est par les réminiscences Bonapartistes de tous ceux qui se prétendent « les premiers de cordée… ».
Pour l’essentiel et dans les faits, une France investie par des personnages qui ne sont que des arrivistes inconséquents passés par des phases d’esbroufe et de traitrise de tous ordres!
Au fond, la France de nos « élites » se complait dans une forme de crétinisme hexagonal unique en son genre que personne ne nous envie…
Superbement tourné !
Parfois, je me demande, si on n’aurait pas mieux fait de perdre la guerre.. Mais la raison l’emporte, notre problème, ont est catholique et pas protestant, même si la religion disparaît, c’est dans nos gènes.
Les allemands ne sont pas tous protestants non plus, vous devriez relire votre histoire, en vous focalisant principalement sur la guerre de 30 ans pour ce point précis. Mais il est vrai qu’en dehors des régions qui étaient à l’époque terres d’empire (Alsace, Franche-Comté) la France n’en a peut-être pas gardé de grand souvenir…
Exemple de Land catholique, si je ne m’abuse : la Bavière. Certainement pas le plus misérable.
Mais la France l’a perdue cette guerre, c’est d’ailleurs toujours un traumatisme dans l’imaginaire collectif et les « alliés » anglo-saxons qui l’ont libérée n’ont jamais été proches de la France. Il était prévu de la mettre sous tutelle à la base.
Ceux qui risquent de souffrir de la nomination d’un vert sont, si j’en crois Bild de samedi 27 (capable du meilleur comme du pire), les agriculteurs qui vont avoir Cem Özdemir comme ministre.
On a toujours pas admis que l’endettement sans fin nous mènerait précisément au début de la faim et ce rapidement…
Ce gouvernement n’augure rien de bon et certainement pas un coup d’arrêt à la folie de « l’energie wende », actuellement les partis qui se disent « libéraux » en Europe n’ont de libéral que le nom, et confier l’économie et le climat aux verts est suicidaire : comme en France depuis Jospin, comme en Belgique depuis Verhofstadt, admettre les écolos dans un gouvernement, c’est le début de la décadence : « le vers est dans le fruit ».