L’immigration, un levier de croissance et d’innovation mal activé en France

Quel état des lieux sur l’immigration en France et dans l’OCDE ? Retour sur les tendances en la matière.

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L’immigration, un levier de croissance et d’innovation mal activé en France

Publié le 25 novembre 2021
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Par Francesco Lissoni et Ernest Miguélez.
Un article de The Conversation

Plaider pour plus d’immigration n’est certainement pas à la mode en France. Pourtant, c’est ce que fait un groupe d’économistes, auquel nous avons participé, dans une toute récente note du Conseil d’analyse économique (CAE), organisme placé auprès du Premier ministre et ayant pour mission « d’éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses, les choix du gouvernement en matière économique ».

À la suite d’un travail collaboratif incluant d’autres économistes, engagé depuis septembre 2020, la note conclut que l’immigration en France est moins qualifiée, moins diversifiée et moins nombreuse que celle d’autres pays développés.

Les auteurs reviennent ainsi sur le contraste entre un débat public dominé par les questions identitaires et sécuritaires, et un consensus scientifique de plus en plus solide sur les effets économiques positifs de l’immigration, surtout ceux sur la croissance économique à long terme.

Parmi ces effets, ceux qui passent par les liens entre immigration et innovation font l’objet d’un focus accompagnant la note, qui résume les résultats des études internationales les plus récentes et fait le point sur la France (d’autres focus approfondissent le rapport entre migration et finances publiques ou le marché de travail, ainsi que l’impact économique de l’accueil des réfugiés).

Paradoxe français

Comment l’immigration peut-elle soutenir l’innovation des pays d’accueil ? L’évidence empirique met en évidence trois mécanismes.

Le premier est celui du transfert des connaissances, qui a fait l’objet de nombreuses études historiques : depuis toujours, les mouvements migratoires des scientifiques, ingénieurs et entrepreneurs plus ou moins affirmés ont joué un rôle clé dans la diffusion des savoirs techniques, permettant aux pays d’accueil soit de rattraper leur retard par rapport aux pays d’origine soit de garder leur leadership en profitant de toutes opportunités d’innovation.

Le deuxième est que les jeunes migrants hautement qualifiés – surtout dans les domaines STEM (science, technology, engineering and mathematics) – complètent l’offre de travail des natifs, qui souvent ne suffit pas à satisfaire la demande des secteurs à plus haute intensité en recherche et développement (R&D). Parmi ces migrants, on retrouve en effet en grande partie les étudiants étrangers, qui à la fois soutiennent le système de formation supérieure du pays d’accueil (surtout dans les disciplines STEM) et peuvent en intégrer le marché du travail.

Enfin, la migration constitue une source de diversité au sein des équipes de R&D, ainsi que des entreprises et dans les grands centres urbains, ce que plusieurs études associent à une plus grande créativité et à plus d’innovation. Dans ce champ, la mobilité internationale interne aux entreprises multinationales joue un rôle aussi remarquable que celle caractérisant les réseaux scientifiques globaux.

Quel profit tire la France de cette mobilité internationale des talents ?

À première vue, l’Hexagone est très bien placé, étant, selon les données de l’OCDE, parmi les premiers cinq pays de destinations des étudiants internationaux, derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, et au coude à coude avec l’Allemagne. Le même constat vaut pour les scientifiques, surtout dans le domaine académique : nos évaluations, sur la base des données ORCID, suggèrent que le poids des immigrés sur le total des auteurs scientifiques (STEM et non-STEM) est presque le même en France qu’aux États-Unis et au Royaume-Uni ; et qu’il ne cesse de s’accroître, malgré des infléchissements avant l’année 2000 (figure 1).

Toutefois, quand on passe aux indicateurs plus proches de l’innovation, le panorama s’assombrit. En figure 2, on voit que le poids des inventeurs étrangers dans les brevets internationaux déposés par les entreprises et d’autres organisations françaises reste beaucoup plus limité qu’aux États-Unis, au Royaume-Uni ou au Canada. Sur cet indicateur, la France vient en outre de se faire dépasser par l’Allemagne.

Le constat est le même en ce qui concerne les dépôts de brevet par les universités, ce qui suggère que la présence internationale parmi les étudiants et les scientifiques actifs sur le sol français ne se traduit pas par une contribution à l’innovation comparable à celle d’autres pays. D’où vient ce paradoxe ?

« Système à points » canadien

La note et le focus du CAE mettent en avant différentes explications complémentaires. Parmi elles, on retrouve notamment la plus faible orientation STEM des étudiants étrangers en France en raison d’une politique d’attraction qui vise plutôt à renforcer la francophonie que la compétitivité. En outre, un manque de coordination entre politiques universitaire et migratoire complique l’accès au marché du travail des étrangers diplômés en France.

À ce propos, les enquêtes menées par le groupe de travail sur l’enseignement supérieur du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq) indiquent qu’au cours des 20 dernières années, la part des doctorants étrangers en France est passée de 27 % à 42 %, mais aussi que près de 40 % des diplômés étrangers rentrent chez eux après l’obtention de leur diplôme.

À partir de ce constat, la note du CAE formule plusieurs recommandations pour la réforme des politiques migratoires en France, dont la plupart visent explicitement à renforcer l’immigration hautement qualifiée et à y mettre au centre le système d’éducation supérieure. Parmi elles, la note propose d’intensifier la concession des « passeports talent », tout en ciblant certains pays qui ont un excédent de jeunes diplômés et restent peu représentés parmi les pays d’origine des immigrants en France.

La note suggère également d’augmenter l’attractivité de l’enseignement supérieur français aux yeux des étudiants étrangers. De même, il s’agit de faciliter la transition études-emploi en étendant l’octroi d’un titre de séjour à l’issue des études, notamment des très qualifiés, sans y adjoindre comme actuellement des critères de salaire minimum, ou d’adéquation du travail aux qualifications.

Enfin, la note prône l’introduction en France d’un « système à points » inspiré du modèle canadien, qui donne plus de poids au capital humain des candidats à l’immigration et de leur conjointe ou conjoint. Ce système s’appuie sur des indicateurs mesurés par le niveau d’études, l’expérience et les compétences linguistiques), en plus des critères habituels comme les liens personnels et familiaux, ou encore une offre d’embauche.

Il ne s’agit pas de remplacer les migrants actuels par d’autres. Cela n’arrangerait rien, car le volume de l’immigration en France est déjà faible (292 000 entrants en 2019, soit 0,41 % de sa population, là où la moyenne européenne et des pays de l’OCDE est de 0,85 % ; avec un stock de résidants à l’étranger vieillissant qui ne dépasse pas 13 %, contre 13,6 % aux États-Unis, 13,7 % au Royaume-Uni et 16,1 % en l’Allemagne). Il s’agit plutôt d’en enrichir la composition par pays et qualifications, à partir du constat que l’immigration, loin d’être un fardeau socio-économique, constitue une source puissante d’innovation et de croissance.

Francesco Lissoni, Professor of Economics, Université de Bordeaux et Ernest Miguélez, Chargé de recherche CNRS, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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  • Les robots sont bien plus utiles que les migrants pour lutter contre nos concurrents internationaux, d’autant plus qu’ils participent au redressement de nos industries et des secteurs vivriers.

  • Pour exemple :

    Prenons la Seine Saint Denis, département le plus riche de France, le Monaco Français !
    Taux de chômage le plus bas du pays
    Pas de problème de racisme ou d’antisémitisme.
    Grace à sa tranquillité, les fonctionnaires de police demandent leur mutation dans ce département dès qu’ils le peuvent.
    Toutes les femmes sont élégantes et suivent la mode avec intérêt.
    L’insécurité est inexistante, vous pouvez vous promener avec votre Rolex ou votre Patek Philippe au bras en toute quiétude.
    Les voitures de luxes sont très fréquentes dans les rues, personne ne vous remarquera.
    La Seine Saint Denis, toute l’Europe nous l’envie…

    • Autre exemple :
      Les petits pays sont reconnus pour leur pauvreté extrême, seuls les grands pays à forte immigration s’en sortent bien !

      Pour preuve :
      La Norvège
      Le Luxembourg
      La Suisse
      Monaco
      L’extrême pauvreté règne dans ces pays où la misère de ces gens fait peine à voir.

      De biens modestes habitations
      https://www.oetkercollection.com/fr/hotels/the-woodward/

      Beaucoup de femmes n’ont pas de maris

      Un modeste exemple d’immigration choisi :

      Je ne parle pas des écoles où le niveau du savoir y est affligeant du fait qu’ils ont peu d’apport extérieur.
      Enfin, ces pays ont un retard technologique très important sur les pays dit du «sud »

  • Il y a 200 écoles d’ingénieurs et soit près de 40 000 étudiants par an. Ca ne compte pas les universitaires qui sont aussi nombreux. Il n’y a franchement pas besoin d’en ajouter encore.

    Il est très difficile de trouver du travail en sortie d école quoi qu’en dise les médias. Raison pour laquelle beaucoup d’ingénieurs partent à l’étranger ou se tournent vers l’éducation nationale. S’il n’y a pas trop de chômage c’est parce que les ingénieurs sont plus dynamiques dans leur recherche et mobile.

    Quand à ceux qui trouvent un travail c est plus pour faire du travail de technicien que d’ingénieurs et pas dans leur domaine initiale.

    La France est championne dans l’industrialisation du bac+5. Ça ne sert à rien de aggraver le problème.

    Par contre on manque cruellement de gynécologues, cardiologues, médecins généralistes, dermatologues, … pourquoi la médecine est à ce point protégée et ignorée des médias et des études ?

  • « il s’agit de faciliter la transition études-emploi en étendant l’octroi d’un titre de séjour à l’issue des études, notamment des très qualifiés, sans y adjoindre comme actuellement des critères de salaire minimum, ou d’adéquation du travail aux qualifications »
    autrement dit, vous avez un diplome francais et vous vous retrouvez balayeur a mi temps payé 800 €/mois

    Il est completement delirant de vouloir supprimer ces garde fous. Car si ca va inciter les immigrants a faire des etudes dans des secteurs bouchés pour avoir le diplome et pouvoir rester quitte a faire la plonge dans un resto apres
    Et de l autre cote, les employeurs font pouvoir faire baisser les salaires car on pourra offrir a un ingenieur africain le smic par ex (j ai entendu dire que les SSII francais fond deja du dumping en embauchant des africains en « oubliant » de leur preciser que le salaire proposé est brut (et donc que leur net est nettement plus faible. les gars dechantent vitent quand ils voient le cout de la vie a paris et leur salaire net)

    • Il y a déjà dans l’IT une grande concurrence entre français et étrangers. Ça fait parti du mode de fonctionnement de certaines ESN de débaucher au Maghreb ou Liban pour tirer les prix vers le bas les salaires, tout en facturant au maximum leurs clients en prétextant la difficulté de recruter. Pourtant rien de ce qui est fait par un étranger ne peut pas être fait par un français et bien des jeunes seraient disposés à travailler.

      Si les salaires français en informatique sont parmi les plus faibles ce n’est pas un hasard et ne colle pas à l’idée qu’il y aurait besoin de main d’œuvre supplémentaire.

      Et si on se place du côté d’un migrant, c’est toujours le drame quand une mission se termine car ça signifie la fin de la carte de séjour et retour au pays alors que la personne y a fait venir femme et enfants.

  • Je ne comprends pas grand-chose à cet article.

    Je suis d’accord sur le fond : accueillir des jeunes de haut niveau, ayant une double culture et une grande volonté de faire progresser leur domaine de compétence est forcément bénéfique. Par exemple, le simple fait d’être capable de lire un article en chinois est difficile à concurrencer pour un français.

    Mais traduire ça en statistiques sortant du chapeau ne mène pas loin, à part à des affirmations étranges :

    – transfert de connaissance d’étudiants venant se former en France ?!?
    – soutenir le système de formation supérieur (qui est public – et a un coût élevé par étudiant).

    Enfin la conclusion : « Il ne s’agit pas de remplacer les migrants actuels par d’autres. » est de bon ton. Mais assez hypocrite.

    (Je ne reproche pas à l’auteur – d’origine italienne – de vouloir se détacher de toute polémique xénophobe, mais quand on parle d’intérêt économique du pays, on ne peut nier des « préférences »).

    • Je suppose que le « soutien de formations supérieures » à trait à la renommée internationale des grandes écoles et universités. Mais c’est plus une conséquence qu’un but ou un moyen.

  • L’article évoque l’immigration de travail ou d’études. Dans ce contexte, si l’immigration est choisie, il peut y avoir des conséquences positives.
    Ce n’est pas le cas en France, où l’immigration a longtemps été familiale, où le droit du sol est puissant, où les accords avec certains pays (par ex le Maghreb) n’autorisent aucune contrainte migratoire…

  • Autre exemple :
    Les petits pays sont reconnus pour leur pauvreté extrême, seuls les grands pays à forte immigration s’en sortent bien !

    Pour preuve :
    La Norvège
    Le Luxembourg
    La Suisse
    Monaco
    L’extrême pauvreté règne dans ces pays où la misère de ces gens fait peine à voir.

    De biens modestes habitations
    https://www.oetkercollection.com/fr/hotels/the-woodward/

    Beaucoup de femmes n’ont pas de maris

    Beaucoup de femmes doivent se débrouiller seules et possèdent des voitures à 2 places, faute de moyens:

    Je ne parle pas des écoles où le niveau du savoir y est affligeant du fait qu’ils ont peu d’apport extérieur.
    Enfin, ces pays ont un retard technologique très important sur les pays dit du «sud »

  • Le libéralisme, le vrai c’est « pas avec notre argent » en dehors du régalien et du consentement.
    .
    La gauche s’est servie de l’immigration pour collectiviser le pays, multiplier les gens dépendants, la bureaucratie, le pillage fiscal « social » et écraser toute contestation, y compris libérale. Ceux qui font semblant de ne pas voir cette gigantesque entreprise de prise de pouvoir et de collectivisation sont tout sauf libéraux.
    .
    Le Japon n’a aucune immigration et va très bien, le peuple suisse a voté contre l’immigration de masse et va très bien (« peu » d’immigration du sud), la France déborde et est quasi en situation de pré guerre civile avec un record mondial toute catégorie de dépenses « sociales ».
    .
    Quand le dernier logement « social », le dernier travailleur « social », la dernière aide « sociale », la dernière association « sociale » auront cessé de nous piller tout en donnant leurs voix aux socialistes qui nous pillent on pourra abattre les frontières et dans cette utopie le lion embrassera la gazelle.

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