Par Philippe Silberzahn.
Pour répondre aux ruptures de leur environnement, même les entreprises les plus performantes font face à un impératif d’innovation difficile à mettre en pratique. La réponse à ces ruptures ne peut pas être posée simplement en termes de nouveaux produits et services innovants, car le développement de ceux-ci nécessite de changer la façon même dont on fonctionne. Il faut pour cela remettre en cause des modèles qui, parce qu’ils ont montré leur pertinence parfois depuis de nombreuses années, font l’objet d’une protection inconsciente.
C’est pour cela que l’injonction de la direction générale aux collaborateurs de prendre plus de risques reste souvent lettre morte. Entre la peur de remettre en question ce qui a marché, et celle de la prise de risque, il existe heureusement une troisième voie.
Cette entreprise de mécanique a connu une grande réussite depuis sa fondation et s’est imposée comme un des acteurs de référence sur son marché par la grande qualité de ses produits et services. Ce souci de qualité, alimenté par une forte culture d’ingénieur, a progressivement évolué en un perfectionnisme devenu obsessionnel, à tel point qu’il représente désormais un facteur important de ralentissement dans les projets, mais aussi des coûts.
Une énergie considérable est dépensée pour résoudre des problèmes techniques mineurs ; certains clients peu rentables sont sur-servis pour la beauté du geste. L’entreprise est désormais de plus en plus freinée dans sa capacité à répondre à un environnement rapidement changeant.
Conscient de cela, le PDG a entrepris un effort de transformation, notamment en incitant les managers à prendre davantage de risque, mais sans grand succès. Comment expliquer ce blocage ? Et que faire ?
La réponse consiste en un travail de reformulation sur deux axes :
- La source de blocage.
- L’objectif de progrès.
Formuler la source de blocage : prendre en compte les modèles mentaux profonds
Le premier axe à prendre en compte est l’immunité au changement générée par les modèles mentaux profonds de l’organisation. L’entreprise de mécanique évoquée ci-dessus voit le perfectionnisme comme la clé de sa réussite historique.
Elle a développé un modèle mental qui peut se résumer ainsi : « Nous réussissons parce que nous ne laissons passer aucun détail qui mettrait nos clients en difficulté ».
Il s’agit d’une croyance collective profonde, largement inconsciente, mais très vive parmi les collaborateurs, et qui influence profondément les comportements au quotidien. Comme tout modèle mental, il semble une évidence mais naturellement, il a ses limites. Comme l’a très bien perçu le dirigeant, et comme le reconnaissent volontiers nombre de collaborateurs, ce perfectionnisme est aussi épuisant et coûteux.
Mais pour autant, encourager la prise de risque, même très officiellement, ne résoudra rien : tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut aller plus vite pour pouvoir innover, mais l’impératif de prendre des risques est vécu comme une remise en cause du perfectionnisme. Or rappelons-le, celui-ci reste vu comme la clé de la réussite.
L’impératif de prise de risque se heurte donc au mur des modèles mentaux : lorsqu’ils entendent « Prenez plus de risques », les collaborateurs comprennent « Mettez en danger ce qui a fait notre succès jusqu’à aujourd’hui », ce qui est inconcevable.
L’organisation se sent attaquée, et elle cherche à se protéger en générant une réaction immunitaire; Personne ne prend vraiment de risque, et le perfectionnisme se poursuit de plus belle. Il faut noter ici que ce n’est pas tant ici une résistance au changement qu’une réponse rationnelle traduisant l’impératif de protection qui est premier pour une organisation.
Il faut donc commencer par travailler sur ce modèle mental de perfectionnisme (si on choisit de le nommer comme cela) et amener les collaborateurs à admettre que le souci de qualité ne doit pas nécessairement se traduire par le perfectionnisme. L’entreprise prend conscience qu’elle ne renonce pas nécessairement à la qualité si elle décide de ne plus poursuivre certains projets ou certains clients.
Les collaborateurs sont ainsi amenés à redéfinir leur grande croyance autour de la notion de qualité en lui donnant un sens nouveau et surtout des implications nouvelles. L’entreprise peut ainsi changer tout en restant elle-même. La réaction immunitaire n’est pas déclenchée car l’identité profonde a été respectée.
Tu seras un entrepreneur mon fils (Photo de Theo Savoy sur pexels.com)
Innover, c’est une prise de risques contrôlée
Le second axe concerne l’objectif de progrès. Ici, il est formulé par l’impératif de prendre davantage de risques pour faire évoluer l’organisation. Là encore, on questionnera le modèle mental très dominant selon lequel l’innovation et l’entrepreneuriat consistent forcément à prendre des risques importants.
Ce questionnement est légitime pour deux raisons.
Premièrement, les directions générales ont beau jeu d’inciter leurs collaborateurs à prendre davantage de risques, sachant que ce sont eux seuls qui subiront les conséquences d’échecs éventuels. Si on veut que les collaborateurs sortent des chemins battus et prennent des risques, la direction générale doit s’engager fermement à en assumer les conséquences.
Elle le fera par exemple en garantissant que la carrière n’en souffrira pas, voire qu’elle sera favorisée. Sans cet engagement, les collaborateurs ne bougeront pas, et ils auront raison. L’impératif restera lettre morte et tout le monde sera frustré : le PDG accusera ses collaborateurs de résistance au changement, et ceux-ci l’accuseront d’ignorer leur réalité.
Deuxièmement, le questionnement du modèle mental de la prise de risque est légitime parce que la condition pour l’innovation n’est pas nécessairement une prise de risque inconsidérée. L’effectuation, la logique d’action des entrepreneurs, a montré depuis longtemps que ceux-ci ne prennent de risques qu’acceptables.
Dit autrement, un entrepreneur définit ce qu’il peut faire en abaissant son niveau de risque jusqu’au point où l’échec devient acceptable, il procède par petites victoires : en substance, il vise petit. Si ça marche, il capitalise, si ça ne marche pas ce n’est pas grave, car il a précisément visé suffisamment petit pour cela.
Le travail sur les modèles mentaux de l’entreprise en termes d’objectifs de progrès et d’impératif de protection permet d’éviter une opposition stérile entre les deux.
Dans notre exemple ici entre prise de risque « entrepreneuriale » et perfectionnisme, se traduit par un blocage : le perfectionnisme qui nous épuise, ou la prise de risque qui nous effraie. Ce travail permet de créer une troisième voie par laquelle on peut innover de façon paisible non seulement en respectant l’identité de l’organisation, mais à partir même de cette identité comme un point d’appui.
Halte aux injonctions contre-productives !
Le déblocage n’est pas une question de méthode d’innovation, même si certaines d’entre elles peuvent être utiles. Il ne peut non plus reposer sur une approche volontariste – « Prenez des risques ! », affichant des postures ambitieuses ignorant la réalité de l’organisation et de ses collaborateurs qui subiront les conséquences de leur prise de risque. Il repose sur une compréhension de l’identité de l’organisation, c’est-à -dire une exposition de ses modèles mentaux profonds qui permettra d’identifier le point de blocage mais qui fournira aussi un point d’entrée pour la faire bouger.
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Dans une entreprise, lorsqu’un collaborateur prend un risque, 2 cas se présentent :
– le risque est couronné de succès. Alors le succès revient à sa hiérarchie.
– le risque entraine un échec. Alors la faute est entièrement porté par le collaborateur.
Il en est exactement de même pour la satisfaction du client. En conséquence de quoi, le collaborateur fait le choix du perfectionnisme (je ne serai pas cloué au pilori si le client est satisfait) plutôt que de l’innovation (je n’en retirerai rien si ça marche).
Souvent même, la hiérarchie intermédiaire brise l’innovation pour ne pas prendre de risque dont le résultat n’est pas acquis à 100%.
Cette mentalité sclérose toute créativité dans l’entreprise car il n’y a aucune motivation ni incitation réelle à innover.
Les collaborateurs ont vite compris qu’une demande d’innovation de la hiérarchie n’est qu’un moyen de management et non une réelle volonté.
Est-ce que avoir 2 gammes de produits (pro et semi-pro) n’est pas une façon plus simple d’aborder le problème ?
La gamme pro finance le développement de la gamme semi-pro, le retour d’expérience de celle-ci allège les coûts de mise au point de la gamme pro et aide à optimiser les coûts du perfectionnisme.