Quand Facebook alimentait les révolutions

La soi-disant découverte que Facebook alimente les débats extrémistes n’en est pas une. Mais nos sociétés fermaient les yeux quand cela concernait des pays non occidentaux.

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Quand Facebook alimentait les révolutions

Publié le 6 octobre 2021
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Par Alexandre Massaux.

Les « Facebook Files » font parler d’eux. La plateforme numérique est accusée d’avoir favorisé des contenus polémiques et souvent virulents qui suscitent de nombreux commentaires. Ce faisant, Facebook aurait « fragilisé la démocratie » selon la lanceuse d’alerte à l’origine de ces révélations.

Néanmoins il faut comprendre, à travers ces accusations, que la critique porte avant tout sur les partisans de Donald Trump. Le traumatisme de son élection en 2016, suivi de la contestation en 2020 de l’élection de son successeur Joe Biden et de l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021  ont marqué les esprits.

Pourtant, ce n’est pas une nouveauté que Facebook alimente les discours de militants politiques. De fait, cette situation a même été acclamée dans le passé quand elle contribuait à un changement de régime en faveur de Washington.

L’Ukraine, les printemps arabes et Facebook

Le rôle des réseaux sociaux, et en premier lieu Facebook, dans les mouvements de contestations du début de la décennie 2010, est bien connu et documenté. Facebook a donné un espace d’expression à des populations contestant le régime en place.

Facebook, en tant que lieu moins censuré que le reste de la société, a permis l’organisation de mouvements de protestation en Tunisie et en Égypte.

Du côté de l’Ukraine, même situation avec l’Euromaidan. Cette révolution est réputée avoir débuté avec un post Facebook du journaliste Mustafa Nayyem appelant à protester sur la place Maidan à Kiev. Facebook restera un outil privilégié des pro-occidentaux dans la guerre de l’information contre la Russie.

A l’issue de ces différents mouvements, on a assisté à des changements de régime.

Ce qui est intéressant, c’est le fait que cette utilisation politique a été vue comme positive par l’Occident. Le journal Le Point ira même jusqu’à titrer en 2013 « Les réseaux sociaux, nerfs de la guerre du Printemps arabe ». Le Monde fera pareil en 2017  : « Comment Internet a fait les « printemps arabes » ». Ce qui n’est pas faux au demeurant. Bref, l’image médiatique de Facebook est positive et est vue comme défenseur de la démocratie.

Et les extrémistes arrivèrent sur Facebook

Néanmoins comme toute révolution ou tout mouvement social, les extrémistes arrivent. Fascistes en Ukraine et islamistes dans les pays arabo-musulmans.

Et nous avons assisté à un emballement médiatique qui a abouti à une guerre de l’information. D’un côté ceux qui s’opposaient aux mouvements, avec en tête la Russie, considéraient que ces extrémistes étaient à la tête de ces mouvements. Tandis que les partisans de ces révolutions, les Occidentaux principalement, les ont minimisés.

La réalité a été entre les deux : il y a bien eu des manifestants démocratiques, mais l’influence des extrémistes a eu un rôle important et dommageable à ces révolutions. On peut citer la montée d’Al-Norsa (Al-Qaida) et de l’État islamique en Syrie qui ont contrôlé une large part du pays.

De même, en Ukraine, le bataillon Azov, un régiment néo-nazi incorporé en tant que police spéciale, suscite un vrai malaise chez les Occidentaux partagés entre le soutien et le rejet.

Le problème étant que ces extrémistes s’avèrent être actifs sur les réseaux sociaux et surtout Facebook depuis le début. Dès 2012, la sonnette d’alarme avait été tirée par des services de renseignement. Les Occidentaux en ont pris conscience que trop tard quand ils ont commencé à être personnellement touchés lors des attentats terroristes.

Ainsi activiste démocratique comme extrémistes utilisent depuis plus d’une décennie les mêmes vecteurs.

Le retour de bâton

Dès lors, la soi-disant découverte que Facebook alimente les débats extrémistes n’en est pas une. C’est le cas depuis toujours. Mais nos sociétés ont été naïves et ont été enivrées par le fait que les réseaux sociaux sont un outil d’influence. Sans se rendre compte que tout le monde pouvait l’utiliser.

Mais cette situation révèle une vraie hypocrisie médiatique et politique chez certaines personnes : faire la guerre à l’extrême-droite et aux islamistes dans son pays, mais les soutenir et fermer les yeux à l’autre bout du monde.

Les extrémistes deviennent comme les chasseurs des Inconnus : il y a les bons et les mauvais. Il y aurait pour ces personnes les bons néo-nazis/islamistes qui se battent contre le Kremlin et les mauvais néo-nazis/islamistes qui attaquent Washington.

Article modifié le 06/10/2021 à 12h28.

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  • Article très intéressant et parfaitement clair. Merci.

  • +1 S attaquer à Facebook (où tout autre outil du net ) c’est se tromper de cible. D’autres brûlaient les livres, d’autres encore blâment « l argent » c’est du même niveau. Comme si un outil avait un but … pathétique .

  • accuser de favoriser la propagation de discours polémiques..ça peut être prêter un vélo à un crétin qui sinon irait à pied..

    en fait ce que veut dire la madame…accuser de ne pas censurer les vilains.. et donc de définir les vilains. sinon de savoir qui sont les vilains..

  • C’est quand même de notoriété publique que FB flique ses utilisateurs. J’ai eu fait partie d’un groupe d’échange FB sur la santé, et les responsables du groupe interdisaient formellement d’écrire le mot vaxxin, parce que sinon FB risquait de fermer le groupe. Personnellement les vaxxins n’étaient pas un sujet, donc cette interdiction ne me dérangeait pas, mais quand même, ça pose un cadre un peu flippant.
    Plus tard, j’ai quitté FB parce que j’ai constaté que les discours politiques y étaient également de plus en plus contrôlés, avec une censure à géométrie (très) variable. Non que j’utilisais ce réseau pour parler politique, mais par principe.
    FB est une entreprise privée qui fait bien ce qu’elle veut, mais ses règles sont trop floues pour ne pas sembler arbitraires. Et surtout, cette entreprise qui se présentait au départ comme un simple moyen d’échanger, sans le moindre parti-pris, comme un réseau téléphonique, ne l’est en réalité pas, en tout cas de moins en moins.
    Certes, quand des gouvernements passent des accords avec ce genre d’entreprises privées pour « filtrer » les informations, interdisant celles allant à l’encontre d’un certain courant de pensée, il y a déjà un problème, en ce que l’État délègue à une entreprise privée une mission régalienne – à savoir celle de la justice, en principe seule apte à définir les propos franchissant la ligne rouge, et qui devraient être limités à l’appel au meurtre et à la violence – avec tout ce que cela implique d’arbitraire. C’est aussi la démission de l’État quant à sa mission régalienne – condamner les appels au meurtre et à la violence – qui conduit à ce genre de situation bancale.

    • ben voila vous avez quitté facebook..

      les polémiques sur facebook et notamment que facebook censure.. lui donne ou officialise un role de place privilégiée du débat publique… ce que facebook n’est pas.. à la rigueur un monopole de fait..

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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