« Tenue républicaine » : la confusion entre le droit et la morale ?

L’expression « tenue républicaine » telle que mobilisée par le ministre de l’Éducation nationale, remise dans son contexte, ne s’inscrit pas dans une perspective juridique.

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« Tenue républicaine » : la confusion entre le droit et la morale ?

Publié le 2 octobre 2020
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Par Lauren Bakir1.
Un article de The Conversation

Lundi dernier, le ministre de l’Éducation nationale a évoqué le port d’une tenue « correcte », avant de se référer à une façon « républicaine » de s’habiller pour aller à l’école. En une semaine, cette expression a été tournée en dérision sur les réseaux sociaux et a conduit à un débat, qui n’est pas exempt de tensions, sur le choix de ce terme.

Au sens littéral, une tenue « républicaine » peut renvoyer à une tenue dont le port n’est pas interdit par les lois de la République, c’est-à-dire par le droit français en général. Deux exemples : il est interdit de se dissimuler le visage dans l’espace public, de même qu’il est interdit de s’exhiber.

Les injonctions ou les interdictions vestimentaires se retrouvent également dans le cadre du travail ou dans les écoles, par le biais des règlements intérieurs. Bien sûr, toute personne doit respecter ces différentes règles.

Néanmoins, l’expression « tenue républicaine » telle que mobilisée par le ministre de l’Éducation nationale, remise dans son contexte, ne s’inscrit pas dans une perspective juridique.

En faisant référence à une façon « correcte » de s’habiller, à une « certaine sobriété en la matière », le ministre renvoie plutôt à ce qui est acceptable ou non à l’école, à une tenue qui ne va pas à l’encontre des codes sociaux, voire à l’encontre d’une certaine forme de morale.

Une confusion entre droit et morale

Les déclarations du ministre, ainsi que les nombreux débats et déclarations qui ont suivis, entretiennent une forme de superposition des règles de droit, que chacun doit évidemment respecter, avec ce qui est socialement ou moralement acceptable, ce qui n’est ni obligatoire ni précisément défini.

En effet, ce qui relève du bon sens pour certains n’est pas du tout évident pour d’autres. Pour le cas d’espèce, le port d’un crop-top et d’un short n’est pas un sujet de discussion pour beaucoup de jeunes filles.

De la même façon, le port d’une casquette et d’un sweat-shirt n’est pas socialement blâmable pour de nombreux jeunes. Les codes sociaux sont par définition différents d’une région à l’autre, d’un quartier à l’autre, d’une classe sociale à l’autre, d’une génération à l’autre.

La seule obligation qui incombe à chaque citoyen est le respect des règles de droit, l’État de droit nous garantissant d’exprimer notre individualité tant que nos actes ne portent pas atteinte à autrui.

Ces règles de droit sont claires, intelligibles, lisibles. Appeler les élèves ou tout autre citoyen à respecter une forme de morale républicaine ne contribue ni à la clarté ni à la cohérence pour les destinataires des règles.

« Tenue républicaine » ? Comprendre le qualificatif « républicain »

Cette confusion entre ce qui est prévu par le droit d’un côté, et ce qui est recommandé, conseillé, moralement ou socialement encouragé de l’autre, existe depuis plusieurs années. En effet, ce n’est pas la première fois que le qualificatif « républicain » est mobilisé dans les discours politiques pour désigner ce qui est acceptable ou non dans la vie en société.

C’est essentiellement le cas concernant le port de signes religieux, et plus particulièrement le port du voile.

N’est-ce pas dans cette démarche que s’inscrivent, par exemple, les députés qui ont quitté l’hémicycle le jeudi 17 septembre, en signe de protestation face au port du voile par la vice-présidente d’un syndicat étudiant, pourtant conviée pour une audition et respectant parfaitement le droit en vigueur ?

La République, bastion de la morale ?

Ces positions contribuent à faire de la République et de ses valeurs une forme de morale qui entre parfois en concurrence avec le cadre juridique lui-même.

Il y a bien, et de plus en plus, une confusion entre ce que permet le droit – et la France est un État de droit –, et ce qui est recommandé, encouragé, réprimé moralement ou socialement – dont le contenu est par nature insaisissable.

Du reste, outre le paradoxe de recourir au qualificatif « républicain » à la fois pour désigner celles qui se couvrent trop (le port du voile) et celles qui ne se couvrent pas assez (le port d’un crop-top et d’un short), il faut relever que ce vocabulaire concerne le plus souvent la libre-disposition du corps des femmes.

Cette réprobation sociale, ou morale, est heureusement (souvent) délimitée aux discours. Néanmoins, la confusion qu’elle entraîne demeure blâmable dans la mesure où les vrais débats, autour par exemple de l’hypersexualisation des jeunes femmes ou du degré d’influence qu’exercent leurs proches sur elles, ne peuvent aboutir.

Sur le web

  1. Post-doctorante, juriste, droit des religions, Université de Strasbourg.
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  • En complément, un commentaire intéressant de Peggy Sastre :
    « Croire que l’on peut exhiber ses caractères sexuels secondaires sans susciter ce pour quoi ces caractères ont été façonnés au cours de l’évolution, à savoir attirer une attention sexuelle, est au mieux naïf, au pire irresponsable. Ici, je ne blâme pas tant les jeunes filles et femmes qui pensent qu’une telle tenue est anodine, mais des décennies de féminisme culturaliste qui leur a appris soit à ignorer ce que la biologie peut dire de nos comportements, soit à sciemment le nier, voire le combattre en pensant, à tort, que nous ne serions pas des animaux, que nous serions, par une sorte de miracle, épargnés par tout ce qui se passe dans le reste du vivant. En grande partie, ce que l’on nomme la civilisation traduit une atténuation, une domestication de notre « animalité », sauf que la coincer dans un angle mort est le meilleur moyen pour qu’elle nous roule dessus. La biologiste Heather Heying parle de « féminité toxique » qu’elle définit en ces termes : « Les jeunes femmes ont un énorme pouvoir sexuel. Toute personne honnête avec elle-même le sait : les femmes dans leur primeur sexuelle et correspondant aux normes esthétiques de leur culture ont un pouvoir sans pareil. Qu’elles ne sachent pas le gérer, rien n’est moins sûr. La féminité toxique est un abus de ce pouvoir qui consiste à maximiser sa désirabilité et à réclamer un statut de victime lorsque des hommes hétérosexuels ne vous traitent pas en égales. » On ne peut donc pas demander aux hommes, d’autant plus s’ils sont jeunes, d’être les seuls à se domestiquer, cela générera forcément de la frustration et du ressentiment. Il s’agit en outre d’une des impasses les plus fondamentales du mouvement de libération sexuelle des années 1960 : croire que l’on pouvait libérer le sexe sans se libérer du sexe, c’est-à-dire faire en sorte qu’il ait le moins d’impact négatif possible dans notre vie sociale. Ce qui exige de neutraliser sexuellement l’espace public, pas de le plier aux exigences, aux stratégies d’un sexe, en l’occurrence le féminin. Ici, on ne fait que remplacer une ancienne oppression par une nouvelle, une ancienne inégalité par une nouvelle – et on ouvre la voie, au minimum, à une nouvelle ségrégation. »

    https://www.atlantico.fr/decryptage/3592489/tenue-libre-exigee–les-dangereuses-impasses-du-neo-feminisme-education-nationale-france-hommes-femmes-vetements-liberte-laurence-sailliet-peggy-sastre

    • Cavaignac, au risque de vous perturber, je me dois de vous dire que je suis entièrement d’accord avec ce que vous partagez…
      Diantre… ça fait bizarre..

    • oui on peut aussi écouter jordan peterson parler de maquillage sur le lieu de travail…

  • Pourquoi les filles ou jeunes femmes veulent montrer leurs corps (crop top) ou se cacher le entièrement le corps( Djihadistes) alors que nos garçons et jeunes hommes n’ont pas se problème. Y a t il un différence psychique entre les mâles et les femelles, une différence de GENRE

  • Sur les vieilles photos des écoles primaires des années 60, on voit plein d’élèves en short… C’était pas républicain ? Ça m’aurait surpris du Général…
    Dans le même temps, et le même espace, il n’y avait pas de mixité. Aujourd’hui, il n’y a plus guère que dans les toilettes que la République ne tolère pas la mixité !
    Bref, une « tenue républicaine », ça ne veut rien dire. Ça m’étonne du ministre de l’Éducation de sortir de telles billevesées abracadabrantesques…

    • Les garçons étaient peut-être en culotte courte dans les années 60, surtout 50, d’ailleurs, mais pas les filles principalement en jupe plissée et socquettes! Effectivement, il n’y avait pas de mixité.

  • Quand des députés, même pour la bonne cause, prennent des libertés avec la loi et la laïcité, en stigmitisant une dame qui n’outrepasse ni l’une ni l’autre…
    Quand l’institution scolaire rejette le crop top au motif que le nombril serait devenu une partie sexuée du corps…
    Quand un ministre de l’Éducation, au coeur du 21e siècle, se révèle plus amish que le maire écolo de Grenoble…
    C’est que la République est devenue bien malade !

    • Désolée, mais montrer son nombril à l’école, le haut de ses cuisses ou ses seins n’a rien à voir avec la liberté mais tout avec un exhibitionnisme stupide! Ce n’est pas la République qui est malade mais ces gamines endoctrinées par des prétendus progressistes anars!

  • Je me demande s’il faut considérer ces états d’âmes de Calimero comme un énième marronnier (c’est pourtant pas la saison ni une nécessité en ces temps) ou comme une nouvelle dérive de l’EN et du ministre de passage.

  • « La seule obligation qui incombe à chaque citoyen est le respect des règles de droit, »
    Les lycéens ne sont pas des citoyens.
    On a le devoir à leur apprendre à bien se tenir et notamment aux jeunes filles à ne pas s’habiller comme des prostituées.

  • Les commentaires sont fermés.

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Les auteurs : Nathalie Sayac est Professeure des universités en didactique des mathématiques, directrice de l’Inspe de Normandie Rouen-Le Havre, Université de Rouen Normandie. Eric Mounier est Maitre de Conférences en didactique des mathématiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC).

 

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